LA PLANÈTE DES VAMPIRES de Mario Bava

La Planète des vampires

Inédit en salle depuis sa réalisation en 1965, LA PLANÈTE DES VAMPIRES, production fauchée de science-fiction de Mario Bava, se fraye enfin un chemin dans les salles obscures de l’Hexagone via une éclatante restauration 4K. Couleurs furibardes, espaces dépouillés et abstractions massives : un bricolage poétique, macabre et kitsch transcendé par une époustouflante inspiration visuelle.
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Quentin Tarantino, Martin Scorsese, Guillermo del Toro et bien sûr l’inénarrable Nicolas Winding Refn, chacun y va de sa petite révérence et de sa petite tirade en forme d’hommage. C’est de bonne guerre, certainement profondément honnête, mais Mario Bava n’en demandait sûrement pas tant. Dans une interview datée de 1971, le cinéaste tentait d’expliquer au futur metteur en scène Luigi Cozzi comment il avait réussi à réaliser un film de science-fiction avec seulement deux rochers en plastique et quelques fumigènes. C’était à peine exagéré. L’affaire est bien entendu un peu plus complexe, mais avec La Planète des vampires, l’alchimiste Bava transforme le plomb en or. Pour la première fois de sa carrière, le magicien se coltine à la science-fiction, au space opera pour être précis, sous la forme d’une coproduction entre l’Italie, les États-Unis et l’Espagne. Le grand luxe ! Vaisseaux spatiaux, exploration de planètes inconnues, espèces extraterrestres et tout le bataclan. Avant cela, il s’était brillamment adonné au film d’horreur gothique, dont le plus emblématique reste son impeccable Masque du démon (1960), et avait aussi visité les différents genres en vogue dans l’Italie des années soixante. La méthode Bava consistait à insuffler dans le péplum, le film de vikings ou le thriller des ambiances et des personnages directement empruntés au film fantastique. La Planète des vampires ne dérogera pas à la règle. Tiré de la nouvelle Una notte di 21 ore (« une nuit de 21 heures ») signée Renato Pestriniero, le script a été façonné par pas moins de six scénaristes pour parvenir à satisfaire les parties en présence. Le partenaire American International Pictures rejette tout net le traitement du producteur espagnol Antonio Román. Puis Bava refuse le final d’Ib Melchior tout en appréciant le tour horrifique que le scénariste américain donne à l’histoire. Bref, les joies et les chagrins des coproductions internationales. D’ailleurs, Bava n’est pas au bout de ses peines et n’en revient pas lorsque l’American International Pictures lui envoie Barry Sullivan, un acteur de 53 ans beaucoup trop âgé pour le premier rôle et plus habitué aux costards de film noir et aux chapeaux de cowboy qu’aux saillantes tenues spatiales. Le scénario est donc retouché en tenant compte des aptitudes physiques de l’acteur. Pendant ce temps, Louis M. Heyward, l’homme de Londres mandaté par l’AIP, surveille les prises de vues afin de s’assurer qu’aucune nudité ne vienne voler la vedette aux deux vaisseaux spatiaux, l’Argos et le Galliot.



MISE À MORT DE L’INTÉGRALITÉ DU CASTING
Pris dans une tempête magnétique, les deux vaisseaux atterrissent tant bien que mal sur une planète inconnue. À partir de là, le Mal se répand au contact d’une ancienne race extraterrestre et les membres de chaque équipage ne sont plus tout à fait ce qu’ils prétendent être. Jeu de massacre et triomphe de l’imagination façon Bava. Si Dan O’Bannon se souviendra de La Planète des vampires en écrivant le script d’Alien, il est clair que Mario Bava se rappellera du très paranoïaque L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel. Sur le plateau, l’artisan fait preuve d’une inventivité étrangère au commun des mortels et supervise à tous les étages. Un aquarium, du sable, de l’encre, une maquette. Hop ! Voilà un gigantesque astronef posé sur un astre étranger. Pour les marais de lave en fusion, un tuyau d’air comprimé planté dans de la polenta savamment éclairée fera largement l’affaire. Eugenio Bava, le père, s’occupe des miniatures et le jeune Carlo Rambaldi, futur designer de l’E.T. de Steven Spielberg, sculpte. On recycle et on réutilise à l’endroit ou à l’envers les éléments de décor. Jeux de miroir, effets spéciaux réalisés à même le plateau, techniques artisanales et astuces au service de la mise à mort ou presque de l’intégralité du casting. Car il y a quelque chose de résolument implacable, d’inéluctable dans La Planète des vampires. Comme s’il s’agissait pour Bava de rendre compte d’un désastre inévitable digne d’une tragédie grecque. N’attendez pas de l’Italien qu’il génère l’angoisse, qu’il fasse preuve d’un certain réalisme ou qu’il oeuvre à la crédibilité de son intrigue. D’ailleurs, au bout de quelques minutes il sera impossible de déterminer avec précision dans quel vaisseau se situe l’action et le nombre de membres de l’équipage. Du coup, même chose pour les victimes. En revanche, il n’y aura pas de meilleur guide pour entrainer le spectateur dans un enfer baroque et cauchemardesque éclaboussé de vert, de rouge, de bleu et de jaune. Dans La Planète des vampires, des cadavres d’astronautes sortent de leur tombe au ralenti, on essaye de temps à autre d’ouvrir une porte à l’aide d’un diapason et d’étranges spationautes vêtus de combinaisons de cuir, curieux mélange entre un uniforme SS et une tenue de motard, déambulent dans des espaces high-tech dépouillés, austères et éclairés par des bulbes de couleurs criardes. Une fois dehors, ce ne sera que fumigènes colorés pour noyer la pauvreté du budget. Ambiance mortifère et auscultation de la tombe. Une poignée de dollars pour un film de science-fiction morbide dérivant sur la dissolution de l’individu. N’empêche que le Bava pagaie comme personne sur le Styx. Il en connaît chaque contour et chaque affluent. Dans une interview parue le 7 mai 1980 dans le journal Libération, l’auteur affirmait : « Il n’y a qu’une seule conclusion à une vie d’homme et la mort est le seul thème qui vaille la peine d’y penser. ». La Planète des vampires ne viendra pas contredire la déclaration du bonhomme. Bien au contraire.


Prof. THIBAUT






INTERVIEW 
NICOLAS WINDING REFN
« PRÉSENTATEUR » DE LA RESTAURATION
Les mots d’un admirateur 

L’auteur de THE NEON DEMON a utilisé sa notoriété pour favoriser la résurrection de LA PLANÈTE DES VAMPIRES. Il nous dit toute sa vénération pour cette oeuvre dont il décèle l’influence dans l’un de ses propres films, en traçant un parallèle inattendu !

La Planète des vampires est votre Mario Bava préféré ?

Probablement, même si j’ai aimé tous ses films. Du moins, tous ceux que j’ai vus. Car je ne connais pas l’intégralité de sa carrière : je ne suis pas une encyclopédie ambulante du cinéma, je laisse cela à d’autres. (rires) Parmi les Bava que j’ai vus, je trouve cependant que La Planète des vampires est celui qui a quelque chose d’unique et d’intemporel, ce qui explique pourquoi il continue de trouver de nouveaux publics 50 ans après sa réalisation. C’est un film de science-fiction très inventif et imaginatif. Mais c’est aussi une histoire de maison hantée, c’est de l’horreur, c’est un whodunit où les personnages se demandent qui va être le tueur caché parmi eux, comme dans les Dix petits nègres d’Agatha Christie. En revoyant La Planète… hier soir, j’ai également été frappé à nouveau par la bande-son. L’orchestration est à la fois classique et avant-gardiste : elle semble d’abord typique de la science-fiction de cette époque, puis elle dévie vers les toutes premières formes de musique électronique. Cela donne une impression d’intemporalité, de même que la photographie, dont la palette de couleurs est tellement vibrante. Comme je le dis souvent, il y a des tas de photogrammes du film dont vous pourriez faire une galerie de pop art, si vous projetiez ces images. Et, vous savez, c’est très bien réalisé, avec une direction artistique géniale dans sa manière minimaliste d’utiliser l’espace. Enfin, vous avez les costumes de cuir. C’est très sexy, et extrêmement contemporain. Si une grande maison de mode faisait aujourd’hui une collection en cuir, je suis sûr que cela ressemblerait à La Planète des vampires.

Vous qui avez été attaché à un projet de remake de

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