LA LUNE DE JUPITER de Kornél Mundruczó

La Lune de Jupiter

Oubliez Justice League et Thor : Ragnarok : le « film de super-héros » le plus ambitieux du mois nous vient de Hongrie, et déploie un dispositif de mise en scène digne des Fils de l’homme. Amateurs de récits fantastiques évanescents, de chorégraphie au millimètre et de plans-séquences virtuoses, préparez-vous à un sacré parcours de montagnes russes.
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Alors qu’il tente de passer le seuil de l’Europe aux côtés de centaines de migrants, le jeune Syrien Aryan est froidement abattu par un agent de police zélé. Après quelques secondes de mort clinique, le réfugié se réveille en lévitation, virevoltant telle une figure christique au-dessus d’un marais hongrois. Recherchant son père dans un camp, Aryan attire bientôt l’attention de Stern Gabor, un médecin habitué à piller les économies des migrants en échange de quelques soins de fortune. Opportuniste, Stern voit dans les fabuleux pouvoirs de son nouveau patient une manière de rassembler une somme dont il a besoin pour un projet mystérieux…


DU FUTUR AU PRÉSENT
Dans l’interview qui suit, Kornél Mundruczó révèle que les liens entre La Lune de Jupiter et la récente crise migratoire qui a frappé l’Europe et le Moyen-Orient sont purement accidentels, le script ayant été développé dès 2013. À l’origine, le long-métrage devait brandir son élément fantastique central dans un contexte d’anticipation. Ceci étant posé, il est fort probable que le cinéaste ait repositionné son approche formelle au regard de l’actualité brûlante de son synopsis. Les innombrables et très longs plans-séquences qui émaillent La Lune de Jupiter jouent ainsi sur la notion d’instantanéité et dégagent un sentiment d’immersion difficile à obtenir avec un découpage cinématographique classique. Avec Les Fils de l’homme en 2005, Alfonso Cuarón était certes parvenu à adapter ce type de langage visuel au registre du cinéma futuriste ; ses images de migrants en cage, de camps insalubres et de présence policière anxiogène devançaient même la grande Histoire d’une petite décennie. Si Mundruczó nie tout lien de parenté volontaire avec le chef-d’oeuvre de Cuaron, La Lune de Jupiter en est clairement un prolongement, voire une relecture au présent de l’indicatif.



L’ART DU POINT DE VUE
Utilisée de façon ostentatoire, la figure du plan-séquence peut souligner la superficialité d’un long-métrage, comme c’était le cas dans Target et Terminator renaissance de McG. Maîtrisée et savamment dosée, elle peut au contraire soutenir un projet sensoriel complexe, comme l’ont prouvé I Am Cuba, Les Fils de l’Homme, Gravity, La Guerre des mondes de Steven Spielberg, la plupart des films de Martin Scorsese, Prédictions d’Alex Proyas ou récemment Creed de Ryan Coogler. La Lune de Jupiter s’inscrit clairement dans cette seconde catégorie, chaque prise de vue continue ayant un objectif dramatique bien précis et des résonances thématiques multiples. Long de six minutes, le premier plan-séquence du film permet à Mundruczó de condenser les défis narratifs des deux heures à venir. La scène s’ouvre de façon objective : pendant une vingtaine de secondes, un cadre fixe contemple l’avancée d’une file de migrants dans une nuit opaque. Soudain la caméra saisit au vol deux personnages et s’engage à traverser la forêt à leurs côtés, le film passant dès lors à une narration semi-subjective. Vingt secondes encore, et le duo est séparé ; la caméra s’accroche alors à l’épaule du jeune Aryan, cette fois-ci de manière totalement subjective.


LE POIDS DU DOUTE
En une prise, Mundruczó expose donc la misère d’un peuple d’anonymes, puis d’une famille, avant de se concentrer sur un orphelin en devenir. Tandis que l’angle émotionnel se resserre, la prise se prolonge au-delà du possible : les migrants tentent de franchir le fleuve en canots, sont repérés par la police, essuient des tirs et sont obligés de plonger, tentent d’atteindre l’autre rive en nageant parmi les cadavres… Lorsqu’Aryan atteint la surface (toujours sans coupure), une légère ellipse se fait sentir, le soleil ayant entretemps commencé à se lever. Digne de la scène du dîner de Massacre à la tronçonneuse (nuit à l’entrée, soleil au dessert), cette petite distorsion temporelle renforce l’intensité du périple, mais annonce aussi en filigrane le rebondissement fantastique qui attend le public dès le plan suivant. Il serait vain de lister toutes les expérimentations visuelles de La Lune de Jupiter, mais chacune apporte sa contribution émotionnelle au récit, tout en accompagnant les doutes du public vis-à-vis d’un élément fantastique franchement nébuleux. Entretenant le mystère, Mundruczó s’efforce toutefois de crédibiliser ce que ses personnages décrivent comme un « miracle ». Lorsque Stern découvre les pouvoirs d’Aryan, l’incrédulité du médecin ( [...]

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