LA FORME DE L’EAU DE GUILLERMO DEL TORO

La Forme de l'eau

Pour être enfin reconnu par ses pairs (ne sous-estimons pas la valeur du Golden Globe qui l’a récompensé en janvier dernier), Guillermo del Toro n’a heureusement pas eu besoin de trahir les fondements d’une oeuvre développée 25 années durant. Toutefois, La Forme de l’eau marque un changement manifeste dans le point de vue adopté par l’artiste, désormais plus enclin à explorer des thématiques adultes et à se frotter aux injustices contemporaines.
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Muette et esseulée, Elisa Esposito (Sally Hawkins) est engagée comme agent d’entretien dans une base militaire de haute sécurité. Dans un laboratoire qu’elle doit nettoyer, elle découvre une créature en captivité, terrifiée et affaiblie, avec laquelle elle noue secrètement des liens. Apprenant les intentions du dirigeant Richard Strickland (Michael Shannon), qui souhaite euthanasier son prisonnier pour analyser ses entrailles, Elisa requiert l’aide de son voisin Giles (Richard Jenkins) pour mettre en place un dangereux plan d’évasion… Guillermo del Toro a toujours été obsédé par la mécanique implacable du temps, mais cette idée s’exprimait jadis dans ses films de façon frontale, avec l’apparition récurrente d’engrenages géants. Dans La Forme de l’eau, le temps semble au contraire figé, piégé par une société conformiste comme un papillon dans une bouteille. La narration s’enracine au début des années 1960, dans une Amérique gravée dans le béton et l’acier. Des montages musicaux cristallisent la ronde qui s’y joue quotidiennement, de même que des séquences a priori annexes où le cinéaste visite un pavillon bourgeois, un showroom automobile ou un diner de cartes postales. Cette vision outrageusement conservatrice est à elle seule dynamitée par une réplique faussement innocente de Richard Jenkins : « Je pense être né trop tard ou trop tôt pour ma vie. ». La galerie de personnages de La Forme de l’eau est en effet frappée dans son ensemble par une malédiction tacite : ils aspirent tous à fuir cette époque immobile, et à forger le futur selon leurs besoins spécifiques. C’est évident pour Giles, Elisa et sa collègue Zelda (excellente Octavia Spencer, dans un rôle très proche de celui qu’elle tenait dans Les Figures de l’ombre), dont l’aliénation aurait aisément pu sombrer dans la caricature (l’une est handicapée, l’autre noire et le troisième est gay). Mais c’est aussi vrai pour l’arriviste Strickland, incapable de se satisfaire du mode de vie et des limites de son temps. Son rêve pourrit hélas en permanence, comme le symbolise la carrosserie pliée de sa voiture flambant neuve, ou ses deux doigts regreffés dont la gangrène menace de se propager à tout moment.



POUR ADULTES
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