LA BATAILLE DE LA MONTAGNE DU TIGRE de Tsui Hark

La Bataille de la montagne du tigre

Après MAD MAX : FURY ROAD, vous reprendrez bien un peu de virtuosité cinétique ! Car Tsui Hark est de retour sur les écrans de cinéma français avec une formidable fresque se jouant des conventions pour livrer un spectacle où classicisme et modernité s’épousent à la quasi-perfection.
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Autrefois agitateur punk d’une industrie cinématographique hongkongaise engoncée dans la tradition,Tsui Hark est depuis quelques années le maître incontesté des blockbusters en grande partie financés par la Chine continentale. D’aucuns pourraient y voir un énième cas d’embourgeoisement idéologique et économique, surtout à l’aune de ce nouvel effort dont les racines profondément chinoises remontent à très loin. Retour en 1957, année où l’auteur chinois Qu Bo fait paraître Tracks in the Snowy Forest, un roman d’aventure s’inspirant de ses propres années dans l’APL (Armée Populaire de Libération) et qui narre comment un petit groupe de soldats débusque, par ruse et stratégie, une troupe de bandits retranchés dans un camp fortifié dans la montagne. Succès phénoménal, l’ouvrage est ensuite choisi par la femme de Mao pour devenir l’un des huit « opéras modèles » autorisés durant la sanglante Révolution culturelle pour sensibiliser le peuple à la lutte des classes et le détourner des anciennes valeurs et traditions. Puis, en 1970, sur l’ordre du Ministère de la culture, le cinéaste Xie Tieli en tire le film Taking Tiger Mountain by Strategy, dont le moindre détail scénographique (place des personnages dans le champ, axes de caméra, lumière) est pensé pour susciter une exaltation idéologique. Selon les chiffres officiels, le film aurait été vu plus de sept milliards de fois. Il faut dire que de multiples séances étaient fortement conseillées par le parti…

La vision de cette relecture harkienne est donc forcément passionnante, puisque l’oeuvre est un enjeu à la fois cinématographique et politique. Cinématographique parce qu’elle est le prolongement et l’aboutissement d’une obsession majeure du réalisateur d’Il était une fois en Chine : utiliser le 7e Art comme un outil générationnel capable d’établir un pont entre passé et présent en superposant modernité et tradition. Ainsi, dès la première scène d’action du long-métrage, l’archaïsme des conditions de combat (armes usées, peu de munitions, soldats affamés dans un décor désolé et enneigé) est dynamité par des effets ultra modernes de freeze frame et de bullet time dont l’anachronisme n’est de prime abord pas très heureux. Parce que Tsui Hark a toujours été un cinéaste qui va plus vite que ses propres films, les vingt premières minutes de La Bataille de la montagne du tigre semblent mécaniques, dépassionnées. Le prix à payer quand on entend se départir des règles élémentaires d’exposition et propulser manu militari le public dans un spectacle dont il faudra comprendre les enjeux et saisir les nuances à la dure. Chez Tsui Hark, l’implication émotionnelle a toujours été à combustion lente, parce qu’il conçoit ses récits comme des ascensions narratives où chaque étape apporte sa pierre à l’édifice dramatique. Les traumas, les motivations et les idéologies ne se révèlent que dans et tout au long de l’action, et non via des dialogues sagement placés en premier acte. Une méthode qui finit (presque) toujours par payer, comme en témoignent les formidables actes 2 et 3 d’inoubliables films comme The Blade, Time and Tide ou Seven Swords (voilà pourquoi Mad Max : Fury Road rappelle tant le cinéma de Tsui Hark). Toutefois, ici, le Hongkongais n’utilise pas uniquement la narration dans l’action comme ciment générationnel, il emploie aussi la 3D avec, enfin, une vraie maturité, y voyant comme James Cameron avant lui une arme pour donner corps à son univers, ainsi que comme un artifice esthétique qui confère au long-métrage un côté « livre de conte façon comic-book » paradoxalement et délicieusement suranné. À l’inverse, donc, de la révolution thématique de Butterfly Murders ou plastique de The Blade, et dans une logique plus proche de Seven Swords, Hark use de la modernité technologique pour insuffler un classicisme dynamique à son histoire, comme le révèle d’ailleurs le prologue semi-autobiographique où un jeune étudiant chinois quitte New York pour la Chine sous une impulsion nostalgique après avoir aperçu lors d’un karaoké quelques images de… Taking Tiger Mountain by Strategy de Xie Tieli. 

Ce qui nous amène au versant idéologique de La Bataille de la montagne du tigre, qui a donc à charge d’offrir une relecture d’une oeuvre ouvertement propagandiste. Si le scénario coécrit par Tsui Hark n’ignore pas la réalité historique des événements (les héros sont toujours des soldats de l’APL), leur traitement de plus en plus mythologique à mesure qu’avance le récit efface progressivement le contexte réaliste et politique pour nous guider dans une contrée fantasmagorique peuplée d’exploits quasi surnaturels (le palpitant affrontement avec le tigre), de méchants outrés et cabotins (un Tony Leung Ka Fai lourdement grimé accompagné de sbires rappelant les bad guys de Seven Swords) [...]

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