KNOCK KNOCK + THE GREEN INFERNO d’Eli Roth
KNOCK KNOCK
Dans son autobiographie intitulée The Good, the Bad and the Very Ugly, l’actrice Sondra Locke ne se montre pas vraiment tendre vis-à-vis de Death Game (aka The Seducers), qu’elle balaie d’un revers de la main. À l’écouter, le réalisateur tâcheron Peter S. Traynor se serait montré tellement indécis lors du tournage que le comédien Seymour Cassel refusa carrément d’effectuer la postsynchronisation du film, obligeant in fine ses employeurs à recourir à une doublure vocale peu convaincante. Pourtant, en dépit de ses évidents défauts narratifs et techniques, Death Game (renommé Ça peut vous arriver demain en France) est parvenu, grâce à un cocktail de déviances sexuelles émoustillant, à s’assurer une aura culte auprès d’une poignée de fans de cinéma psychotronique.
Eli Roth, grand amateur de péloches oubliées et/ou méconnues (il évoquait Avere vent’anni de Fernando Di Leo durant la promotion de Hostel – chapitre II), n’a donc pas oublié cette série B moralisatrice dans laquelle un homme marié succombe aux charmes des deux jeunes femmes (Locke et la pulpeuse Colleen Camp) qu’il a recueillies chez lui un soir de pluie. De prime abord inoffensives, bien qu’un peu farfelues, ses invitées vont vite dévoiler leur vrai visage : celui de tortionnaires prêtes à séquestrer le pauvre type qu’elles viennent de convaincre de se livrer à une partie à trois. Une trame qui sert aujourd’hui de point de départ à Knock Knock, remake assumé mais officieux, sur lequel Traynor et ses comédiennes sont crédités à titre honorifique en tant que producteurs exécutifs, les droits de Death Game s’étant depuis longtemps perdus dans la nature. Très fidèle au déroulement de son modèle, Knock Knock permet à Roth de s’éloigner des torture porn auxquels il est depuis toujours malencontreusement associé. Notamment parce que la menace quasi divine planant sur le héros se trouve cette fois dans son propre foyer (fini les bivouacs en territoires hostiles, cf. Cabin Fever, Hostel et The Green Inferno) et que la violence s’illustre ici de manière plus psychologique et insidieuse.
Moins brutal donc, Knock Knock lorgne du côté des thrillers domestiques des années 90 auxquels Roth semble faire du pied durant l’obligatoire scène d’exposition dévoilant le quotidien idyllique du fringant Evan Webber (Keanu Reeves). Un bonheur symbolisé par une gigantesque maison faite sur-mesure, une forteresse dorée que Roth scrute au moyen d’amples mouvements en Scope comme pour mieux souligner l’harmonie « mathématique » d’un espace de vie cristallisant tous les fétiches d’une réussite « à l’américaine » (saluée par les deux « intruses » incarnées par Lorenza Izzo et Ana de Armas, moins affolantes que le duo du film original). Reste que les apparences sont forcément trompeuses et Knock Knock épingle très vite les contradictions de ce quadra embourgeoisé tiraillé entre la « maîtrise » de sa vie d’adulte (Evan est architecte et dit ne pas croire au destin) et les lointains souvenirs d’une jeunesse hédoniste (durant laquelle il était DJ et gentiment porté sur les stupéfiants). Violé (quoi que…), torturé et humilié par ses geôlières, ce WASP propret règle son pas sur celui des personnages types du cinéma d’Eli Roth : impeccables en surface, vautrés dans un confort de petit blanc et parfaitement sûrs de leur morale. On saluera à ce titre la manière dont le réalisateur parvient, une fois encore, à faire monter graduellement la tension, là où tant de ses collègues s’empresseraient de griller les feux rouges, histoire d’en mettre plein les yeux à des spectateurs trop pressés. Loin de l’image de fan boy bourrin qui lui colle malheureusement à la peau, le scénariste/réalisateur de Cabin Fever sait également se faire subtil, notamment dans sa direction d’acteurs et dans la « chorégraphie » des va-et-vient incessants de son personnage principal, piégé comme un rongeur à l’intérieur d’une jolie cage qu’il a lui-même conçue. Et si, finalement, son comportement contestable est la source de tous ses malheurs (il aurait suffi d’un « non » pour éviter tout ça), Eli Roth se garde de tout jugement moral péremptoire, préférant rire – jaune – de l’ironie cruelle de la situation (« C’est vous qui êtes venues chez moi ! J’ai rien demandé ! » clame Webber, dont le seul crime est de se révéler… imparfait). Dommage cependant que l’écriture parfois pataude d’Eli Roth et de ses coscénaristes Guillermo Amoedo et Nicolás López (ses nouveaux partenaires artistiques depuis Aftershock – l’enfer sur terre et The Green Inferno) vienne surligner certains éléments à grand renfort de dialogues et d’inserts pas toujours utiles… Heureusement, ce qu’il perd en finesse, Knock Knock le rattrape largement en suspense et en férocité, notamment durant son épilogue ravageur où il brocarde – au son des Pixies – l’obsession des réseaux sociaux à laquelle personne ne semble, aujourd’hui, échapper… à commencer par Eli Roth lui-même, qui n’a jamais cessé de raconter les travers de sa génération pourrie gâtée tout en se complaisant aussi, parfois, dans ce confort capitaliste. Paradoxal et passionnant.
Jean-Baptiste HERMENT
THE GREEN INFERNO
Après quelques présentations en festivals aujourd’hui lointaines (deux ans déjà), The Green Inferno sort enfin chez nous, ne bénéficiant cependant pas d’une distribution en salles, mais d’une sortie e-cinéma, pour employer le terme à la mode désignant la VOD. Et pour cause : le film est d’une telle violence graphique qu’il n’est clairement pas destiné aux cases étriquées proposées par les exploitants. À ce titre, Eli Roth n’a pas menti sur la marchandise et se vautre dans le gore avec une générosité digne de Cannibal Holocaust et Cannibal Ferox, les films de Ruggero Deodato et d’Umberto Lenzi auxquels The Green Inferno rend hommage sans pour autant les piller bêtement. Mais si contempler cette résurrection du bis cannibale italien est un authentique plaisir de gosse pour qui en a connu les grandes heures, il n’en va, semble-t-il, pas de même pour d’autres. Contre toute attente, le long-métrage a reçu un accueil glacial de la part de bon nombre de spectateurs, pourtant amateurs de tripaille (même si Roth prétend le contraire, cf. interview). Rien de très étonnant à cela : au-delà d’une brutalité dont l’apparente complaisance s’inscrit dans une volonté transgressive qui renvoie une fois encore au cinéma italien et notamment à La Grande bouffe et Affreux, sales et méchants (un personnage se masturbe devant ses camarades pour « faire retomber la pression », un autre, pris d’une crise de diarrhée, défèque avec force bruitages gastriques), le discours d’Eli Roth n’a pas changé depuis Hostel et reste profondément politique, n’en déplaise à ceux qui le taxent de fanboy dégénéré. À ce titre, le cinéaste souffre de la même incompréhension que son confrère Zack Snyder, lui aussi politiquement très incorrect sous ses atours de gentil geek.
Fidèle à lui-même, Roth adopte pour The Green Inferno une structure narrative identique à celle de Hostel et s’attarde volontiers sur ses personnages avant de leur faire subir les pires outrages. Étudiante idéaliste et fille d’un membre des Nations Unies, Justine (Lorenza Izzo) décide de rejoindre un groupe d’activistes écolos mené par Alejandro (Ariel Levy), un bellâtre charismatique montant une expédition au Pérou afin de stopper la déforestation qui met en danger la vie des indigènes. Objectif : s’attacher aux arbres pour empêcher que les bulldozers ne les détruisent et diffuser en direct leur action sur le Net afin d’alerter l’opinion publique. Malgré l’intervention musclée de la milice locale, leur mission remporte un franc succès, mais le retour au pays se solde par le crash de leur avion en pleine jungle amazonienne. Capturés par une tribu cannibale, ils sont mis en cage en attendant d’être torturés et dévorés vivants. Alejandro va alors révéler une facette peu recommandable de sa personnalité…
Après s’en être pris aux touristes et aux nantis partis s’encanailler dans les pays de l’Est pour profiter de la pauvreté afin d’assouvir leurs instincts bestiaux, Eli Roth s’attaque donc à ces altermondialistes qui stigmatisent la colonisation et l’interventionnisme, mais pensent que décider du sort de gens dont ils ignorent la culture tout en piétinant leur territoire avec une condescendance toute bourgeoise est un acte humanitaire. Le réalisateur prend pourtant bien garde de ne pas sombrer dans le marxisme primaire en esquivant toute schématisation : si Alejandro est bel et bien un misanthrope manipulateur, Justine est une gosse de riches certes naïve, mais dotée d’un bon fond, même si les épreuves qu’elle traverse vont l’endurcir jusqu’au point de non-retour. Reste que le message est limpide : le capitalisme est le Mal, même quand il pense faire le Bien. Et cette fois-ci, c’est lui qui se fait manger, au sens primal du terme. Une vision du monde carrément subversive de la part d’un cinéaste américain, raison pour laquelle Roth, trop agressif et paradoxal pour vraiment intégrer le système hollywoodien, est allé mettre son film en boîte au Chili avec une équipe locale et des indigènes d’autant plus crédibles qu’ils n’avaient jamais vu une caméra de leur vie. Ce tournage guérilla a beau occasionner quelques maladresses au niveau du rendu technique (problèmes de mise au point, raccords parfois hasardeux), Roth n’a rien perdu de sa maîtrise de l’espace et s’en donne à coeur joie en décor naturel, épaulé par une bande-son épique et anxiogène qui rappelle celle de Brad Fiedel pour L’Emprise des ténèbres. Ce n’est sans doute pas un hasard : que ce soit dans son atmosphère ou son propos, The Green Inferno évoque à bien des égards le chef-d’oeuvre de Wes Craven. Dommage que la fin du film fasse appel à une pirouette stimulante mais trop abrupte, et que Roth n’ose pas aller aussi loin dans le sexe que dans le gore. Car il s’en faut de peu pour qu’il signe un nouveau classique du genre. Il n’empêche que livrer un tel spectacle de nos jours prend des allures d’acte de foi, un peu comme celui accompli par The Lords of Salem il y a trois ans. D’ailleurs, qui d’autre aujourd’hui que Rob Zombie et Eli Roth sont dignes d’être considérés comme de véritables auteurs du cinéma d’horreur ?
Cédric DELELÉE
INTERVIEW ELI ROTH
RÉALISATEUR, SCÉNARISTE ET PRODUCTEUR
Le gore et la morale
Inactif derrière la caméra depuis la sortie en 2007 de HOSTEL – CHAPITRE II, Eli Roth revient en force avec KNOCK KNOCK et THE GREEN INFERNO. Deux oeuvres très différentes, mais étroitement liées dans leur façon de dévoiler les interrogations morales d’un cinéaste qui, à l’instar du cérébral Pascal Laugier, n’hésite pas à utiliser les codes du genre pour disséquer les failles de ses semblables.
Dans l’interview que vous avez accord&ea [...]
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