Interviews Mike Flanagan réalisateur & scénariste et Trevor Macy producteur
INTERVIEW MIKE FLANAGAN RÉALISATEUR, SCÉNARISTE ET MONTEUR
Des subtilités d’un montage organique à des morceaux de bravoure tonitruants, en passant par l’espèce de sampling qu’il a opéré sur les images de Kubrick, l’auteur de Doctor Sleep nous livre certains des secrets d’une oeuvre où transparaît parfois une empathie pour les monstres les plus infâmes.
Le récit de Doctor Sleep a une forme particulière. Pendant longtemps, c’est comme un montage parallèle géant…
Il s’agissait d’un défi scénaristique, c’est clair. Quand j’ai lu le livre, il m’a sauté aux yeux qu’il y avait ces trois histoires disparates, tressées ensemble de manière graduelle. Elles ne sont vraiment intriquées les unes dans les autres qu’à la fin, et en termes de structure, je trouvais cela assez fascinant. Mais dès lors, je savais que je devais accorder beaucoup d’attention à chacune de ces trois lignes narratives – le film de Dan, celui d’Abra, et celui de Rose. Si je faisais bien mon boulot, je pouvais récolter les fruits au moment de l’acte final. Mais pour en arriver là, je savais que ce serait dur. Et que cela nécessiterait aussi une bonne période d’exposition, plus longue que dans d’autres longs-métrages que j’ai faits.
Il y a des moments de résonance entre les trois lignes narratives, comme lorsqu’Abra laisse tomber les cuillers qu’elle avait mises en lévitation au plafond. Cet aspect s’est concrétisé lors du montage ?
Le raccord dont vous parlez figure parmi les plus rapides de Doctor Sleep. Quand Abra fait tomber les cuillers, on passe à Dan se réveillant dans son bus et à Rose devant son camping-car. Ainsi, les trois personnages habitent le même instant du film, bien qu’ils soient dans des coins complètement différents du pays à ce moment-là. Il s’agit d’une de mes scènes préférées dans le premier acte de Doctor Sleep, c’est clair. Dans son roman, Stephen King suggère souvent que Rose, Abra et Dan sont liés les uns aux autres à un niveau subconscient. J’ai donc essayé d’exprimer cette espèce de sentiment flottant en travaillant sur les transitions entre les trois lignes narratives. À la fois lors de l’écriture et pendant le montage, où je me suis appliqué à trouver le bon rythme. Je suis content que cela ait marché sur vous, car c’est une des choses qui m’ont demandé le plus d’efforts.
À côté de cette approche allusive, vous osez des choses très spectaculaires, comme les coffres situés dans le psychisme de Dan…
Depuis Ouija : les origines, je n’avais pas tourné de film conçu pour une large distribution en salles. J’avais donc pour priorité de donner un caractère très cinématographique à Doctor Sleep, en particulier dans l’illustration des passages les plus métaphysiques du roman. Celui-ci utilise en effet des environnements visuels pour représenter l’esprit des personnages : celui d’Abra ressemble à une chambre à coucher remplie de placards à dossiers, tandis que celui de Rose est davantage une cathédrale. Quant aux coffres recelés dans la psyché de Dan, cela m’a beaucoup amusé de les transposer carrément dans l’hôtel Overlook, où une bonne part de sa personnalité a été formée, et presque forgée, durant son enfance. Car mon idée était de citer Kubrick par endroits, tout en inventant un langage visuel qui soit propre à Doctor Sleep.
Votre producteur Trevor Macy nous a dit que votre but était de reproduire le style cinématographique de Kubrick. Vous pouvez en dire plus ?
Je ne dirais pas que j’ai essayé de reproduire son style. À vrai dire, j’ai même tenté de l’éviter à tout prix, car je ne suis pas et ne pourrai jamais être Kubrick. Bien sûr, j’ai voulu recréer certaines scènes de Shining. Néanmoins, ce n’était pas de l’imitation mais une célébration, si vous voyez la différence. Ce que Trevor évoquait à mon avis, c’est que j’ai glissé de nombreux hommages, allant jusqu’aux cadrages et aux mouvements de caméra spécifiques à Kubrick. Pour autant, dans la majeure partie de Doctor Sleep, je me suis au contraire efforcé d’imposer ma propre esthétique. Même si je sais bien que cette dernière a été formée par l’amour que j’ai toujours éprouvé pour le cinéma de Kubrick.
Disons que la partie située à l’hôtel Overlook est une sorte de remix de Shining, dont les éléments sont recombinés d’une nouvelle manière…
Comme je suis fan, c’était l’occasion d’organiser un grand feu d’artifice final avec toutes les images de Shining que j’adore. J’aime donc beaucoup le mot de remix que vous avez choisi : j’ai effectivement repris des éléments pour les placer dans un contexte différent. Mon idée était de montrer une nouvelle façon de déambuler à travers l’hôtel, axée sur le sentiment que l’on a lorsqu’on revisite les lieux de son enfance. C’est pourquoi Dan est le personnage pivot de toute cette partie de Doctor Sleep.
Vous avez emprunté des images de Shining, comme le fameux plan où des flots de sang s’échappent d’une porte d’ascenseur ?
Le seul bout de pellicule filmé par Kubrick que nous avons utilisé, c’est le plan sur la voiture roulant à flanc de montagne. Nous avons effacé numériquement les autres véhicules, et ajouté une lumière nocturne et de la neige. Tout le reste a été recréé par nos soins. Certes, nous avions inclus l’image originale de l’ascenseur sanglant dans le teaser de Doctor Sleep, mais c’était parce que notre propre plan n’était pas encore terminé. En fait, nous ne pouvions pas utiliser le cadrage d’origine, car Kubrick avait placé sa caméra au ras du sol. Or, dans Doctor Sleep [...]
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