Interview : Yann Gonzalez

Son film est inclassable… eh bien, ses goûts aussi. Le réalisateur d’Un couteau dans le coeur nous parle de ses influences, qui naviguent insolemment entre le bis, le porno underground, et aussi le cinéma d’auteur seventies le plus pointu.
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Quelle a été la genèse du film ? 

Après mon premier long Les Rencontres d’après minuit qui était assez contemplatif et un peu dans les nuages, j’avais envie de quelque chose de plus électrique, de plus urbain. De plus efficace et accessible aussi – même si, au final, je ne suis pas sûr que cela le soit. (rires) En tout cas, Un couteau dans le coeur joue davantage avec les codes du genre, et est plus identifiable d’une certaine manière. Bref, quand j’ai entendu parler du personnage réel d’Anne-Marie Tensi (une pionnière du X gay en France – NDR), je me suis dit que ce serait une bonne porte d’entrée pour emmener le film vers le thriller, vers l’histoire d’amour passionnelle, violente. Je me suis cependant vite éloigné de ce qu’elle était dans la vraie vie, c’est-à-dire quelqu’un de plutôt dur, évoluant dans un univers un peu glauque. En fait, ce n’était pas un personnage très romantique. (rires) Je voulais au contraire qu’un principe de plaisir, et de joie, préside au film. J’ai donc gardé seulement quelques éléments, dont l’élément central de la relation entre Anne la productrice et Loïs la monteuse. L’idée était que la passion pouvait aussi passer par le cinéma, et je crois que ce qui irrigue tout le film, c’est ce lien indéfectible entre les images et la vie.


Entre les images et la mort, aussi…

Déjà, j’avais depuis longtemps l’envie de faire un vrai film d’horreur. De plus, j’ai fait pas de mal de recherches avec l’aide d’Hervé Joseph Lebrun, qui est un peu le spécialiste du porno gay français, et il s’est avéré qu’il y avait eu une histoire de meurtre non élucidée dans l’entourage de Tensi. Je crois que c’est son comptable qui a été retrouvé assassiné, et les versions diffèrent d’un témoin à l’autre : certains disent qu’il a été retrouvé empalé avec un manche à balai. Euh… apparemment, ce n’est pas la version de tout le monde. (rires) De toute façon, l’important était que ce milieu-là s’avérait suffisamment dangereux et sauvage pour que des meurtres en série puissent y avoir lieu de façon crédible. Et surtout, le tueur me permettait de créer une figure qui soit un peu le double noir d’Anne. Ce sont deux rages qui concordent : une rage amoureuse et une rage meurtrière. Encore une fois, l’amour et la mort se rejoignent là-dedans.


Cette convergence est fixée dès le premier meurtre, entrecoupé d’images X défilant sur une table de montage…

Le motif principal du film, c’est vraiment le montage parallèle. Cela n’arrête pas d’entrelacer les tonalités, de naviguer entre les agissements du tueur et l’histoire d’amour, entre les images et la réalité. Effectivement, il fallait que ce motif soit annoncé dès le premier meurtre. Mais dans chaque assassinat, il y a une idée forte de mise en scène qui propose une certaine couleur, qui nous amène quelque part, tout en ayant un lien organique avec le caractère de la victime.


Techniquement, comment avez-vous fabriqué les extraits de faux films X ?

Ils ont été tournés en pellicule 16 mm, et nous avons ensuite dû retrouver de vieilles tables de montage 16 de l’époque. Enfin, nous avons gonflé ces images en 35 pour pouvoir les projeter dans la salle de cinéma où se déroule la fin de l’histoire. En fait, rien n’a été fait en postproduction numérique sur Un couteau dans le coeur : tout a été conçu comme à l’époque, comme à la maison. C’était vraiment important pour nous car il s’agit sans doute d’un des derniers films à être fabriqué ainsi, en utilisant tout un savoir-faire lié à la pellicule et qui est en train de se perdre. Les autres séquences ont donc été tournées en 35 mm, car je voulais que la reconstitution des années 70 s’effectue presque uniquement par le biais du cinéma, des lumières de cinéma de l’époque, avec leurs néons bleus et verts. Je pensais souvent aux premiers longs-métrages d’Alain Corneau, à Simone Barbès ou la vertu de Ma [...]

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