
Xavier Gens : "On parle toujours du 'marché' et je déteste ce mot"
Farang
Habitué des pages de MadMovies (il nous parlait notamment de Cold Skin dans le numéro 323 et de Gangs of London dans le numéro 343), Xavier Gens n’a pas eu le temps de s’ennuyer ces dernières années. Nous avons retrouvé le cinéaste sur le plateau de son prochain film, un prometteur shark movie produit par Netflix, pour revenir sur les enjeux stylistiques et commerciaux de Farang…
Vous avez commencé à travailler sur Sharks alors que vous tourniez Farang. Toutes proportions gardées, bien sûr, c’est une démarche à la Spielberg !
C’est une grosse comparaison, je suis très flatté, mais c’est vraiment à mon échelle. Même si Farang est mon projet et que je l’ai coécrit, j’ai voulu garder un côté artisanal et me dire : « OK, on enchaîne, on shoote immédiatement autre chose. ». Il faut savoir faire tourner sa propre boutique afin qu’elle reste vivante d’un projet à l’autre.
Les films sont mouvants, c’est comme un magma qui ne demande qu’à exploser. Tant que la lave est encore là, tu continues d’avancer. Tant que le plaisir créatif est là, il ne faut pas le laisser s’échapper et j’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers des projets un peu fous, du moins hors système, hors marché. On parle toujours du « marché » et je déteste ce mot. J’aime faire des propositions atypiques et montrer qu’il y a un espace aujourd’hui pour que des choses différentes puissent exister.
Il y a dix ans, c’était impossible, je n’arrivais pas à trouver ma place, mais aujourd’hui, les geeks ont gagné. On arrive à trouver notre place et on nous demande ! C’est vraiment l’avènement des plateformes qui a provoqué cet appétit pour le genre et la différence.
Un projet a-t-il fait l’effet d’un déclic dans votre carrière récente ?
Oui, Papicha. Je l’ai produit indépendamment avec ma boîte et mes associés Grégoire Gensollen et Patrick André. Ça racontait la jeunesse de ma femme, Mounia Meddour, et je voyais le potentiel de cette histoire en tant que film d’auteur, domaine qui est à l’opposé de mon style habituel. Je regarde autant de cinéma de genre que de cinéma dit « classique », donc je me disais qu’il y avait un vrai film à faire là-dessus.
On a commencé à s’en parler vers 2012. En 2014, Mounia a bouclé une première version du script. Pendant le tournage de Budapest, je lui ai proposé d’aller en Algérie pour faire des repérages et essayer de démarrer la production. On est partis en mode guérilla, tous les deux, on a trouvé des partenaires et le film s’est fait petit à petit. On ne s’attendait pas du tout à la carrière qu’il a pu avoir ensuite. Ç’a été fait avec les tripes, le cœur.
Quand on a terminé Papicha, il n’a pas été acheté tout de suite. On l’a montré au comité de sélection du Festival de Cannes qui nous a invités dans la catégorie Un certain regard. Ça a donné une vraie carrière au long-métrage, on a ensuite gagné des prix au Festival d’Angoulême et plusieurs Césars en 2020…
Il a fait 300.000 entrées alors que c’était un tout petit film « hors marché » que personne n’attendait. Ça a complètement rebattu les cartes.
En parallèle, j’ai fait Gangs of London. Entre Papicha et Gangs…, adoubé par Gareth Evans, j’ai tout de suite vu que je pouvais monter plus facilement mes projets. C’est fou, je l’ai senti du jour au lendemain ! Juste après les César, tout le monde nous appelait car mes projets circulaient déjà depuis un moment dans différentes sociétés. C’est comme si j’étais sous la pile et que soudainement, on m’avait fait passer en haut de cette pile.
C’est là que Farang est né : le scénario était là depuis un moment, mais tout à coup, on a trouvé le financement. Même chose pour d’autres projets qui arrivent derrière, qui font la queue : mon film de requins, un autre en Afrique du Sud que j’aimerais tourner l’année prochaine et un gros film d’action que je suis en train d’écrire avec Jude Poyer et l’une des scénaristes de Gangs of London.
Ce qui est génial, c’est que je n’ai plus à me dire que je vais devoir travailler dans une économie ultra réduite. J’ai fait mes premiers films dans avec peu d’argent, mais j’avais des ambitions inadaptées au budget dont je disposais. Souvent, ça pouvait donc être un peu bancal, maladroit, parce qu’il n’y avait jamais suffisamment de moyens et qu’on y allait quand même.
Aujourd’hui, je peux dire aux producteurs : « Il faut ces moyens-là pour faire ce film de cette manière-là », et j’obtiens généralement ce dont j’ai besoin. Ça donne une liberté et un confort que j’aimerais vraiment conserver, tout en espérant que cela crée un appel d’air pour d’autres réalisateurs.
Farang est une sorte de prototype dans l’industrie aujourd’hui. On pourrait lui reprocher de ressembler par certains aspects aux productions EuropaCorp d’il y a vingt ans, mais ce genre de films peut non seulement ramener du public dans les salles, mais aussi faire revenir le cinéma de genre sur grand écran pas seulement par le biais de l’horreur, mais aussi du thriller. La France a été un grand pays de thrillers, même si ça s’est étiolé au fil du temps.
Le film d’action que je prépare avec Jude est très proche de Classe tous risques de Claude Sautet. Il faut à mon avis renouer avec les racines du polar français et se réapproprier ses codes.
Xavier Gens (au milieu avec le [...]
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