Interview : Steven Soderbergh réalisateur
Une fois encore, vous vous attaquez avec Paranoïa à un genre nouveau, même si l’on reconnaît clairement votre style.
Comme je suis le point commun de tous mes films, j’imagine en effet qu’ils me ressemblent. Mais, ce qui m’intéresse, c’est d’explorer autant d’histoires, de genres et de personnages que possible. Je continue de lire des livres, de voir des longs-métrages et des séries, pour y trouver l’inspiration ou quelque chose d’inédit d’un point de vue créatif. En cela, je suis quelqu’un de très actif. Après, c’est à vous de me dire si mes oeuvres sont connectées entre elles, ce qui est sans doute le cas puisque j’en suis responsable. Mais je ne le fais pas consciemment.
Comment choisissez-vous un projet ? En fonction d’un aspect technique sur lequel vous voulez expérimenter, ou ce dernier découle-t-il du scénario que vous avez déniché ?
Un peu des deux. Beaucoup de facteurs entrent en jeu quand je cherche un projet. Dans le cas de Paranoïa, il s’agit d’un film que je souhaitais faire depuis longtemps, presque 20 ans déjà. Je travaillais avec un scénariste, un ami à moi, sur une histoire que je décrirais comme un thriller psychologique, quelque chose qui ressemblait déjà pas mal à Paranoïa. Nous avons bossé dessus pendant des mois, mais comme nous ne sommes pas parvenus à trouver une fin satisfaisante, nous avons abandonné l’idée. Mais j’ai toujours eu envie de trouver un script similaire. Un jour, mon ami James Greer – l’un des coscénaristes de Paranoïa – m’a appelé pour me demander si j’avais du travail pour lui. Je lui ai dit que s’il pouvait m’écrire un script de genre, je le tournerais immédiatement. Ces deux dernières années, j’ai testé de nouvelles technologies et je voulais trouver la meilleure façon de les utiliser. En y repensant, j’ai toujours eu le sentiment que le projet allait être réduit au statut de « film tourné avec un iPhone ». Cela rappelle ce que l’on nomme le « biais de confirmation » : certaines personnes vont ainsi avoir un a priori sur le film alors que son aspect technique n’a finalement que peu d’intérêt. Pour le spectateur, ça n’a pas d’importance de savoir quelle caméra j’ai utilisée. Personnellement, je pense que l’iPhone était nécessaire pour me permettre d’obtenir le style que je recherchais. Reste que je me demande si je n’aurais pas dû garder le secret et dire que j’avais tourné avec une Bolex 16 mm, histoire de voir comment le public aurait réagi. C’est intéressant de voir la façon dont les gens changent leur regard sur une oeuvre à partir d’une telle information.
Certains se sont demandé pourquoi vous avez choisi un iPhone, alors que des appareils photo reflex ou des caméras de petit gabarit vous auraient donné tout autant de liberté. Vous vouliez profiter de la profondeur de champ accrue offerte par la petite taille du capteur de l’iPhone ?
C’est ça. Si vous prenez une caméra dont le capteur est un peu plus large que celui de l’iPhone, vous aurez alors besoin d’un pointeur (personne chargée de la mise au point de l’objectif – NDR). Les différences de taille entre les capteurs d’un iPhone et d’un reflex sont suffisamment importantes pour m’empêcher de placer ma caméra là où je le voulais, comme lors de ces moments où je souhaitais l’accrocher directement sur les acteurs. C’était la meilleure façon d’avoir une qualité d’image optimale avec une caméra aussi petite. J’ai donc décidé d’utiliser l’énorme profondeur de champ de l’iPhone comme un véritable outil me permettant de composer mes plans et mes séquences. Je préférais l’employer à mon avantage plutôt que de chercher à faire croire que je tournais avec une autre caméra. L’important, c’est vraiment de trouver l’outil qui va vous aider à atteindre votre but de la meilleure façon possible.Si je devais le refaire, je ne m’y prendrais pas autrement. Ce que j’ai obtenu me satisfait vraiment et si les gens ont un problème avec l’aspect visuel du film, je ne peux que leur dire que le résultat ressemble exactement à ce que je voulais obtenir. Peu importe la caméra, le film devait ressembler à ça.
Vous faites partie de ces cinéastes qui ne se préoccupent pas du « prestige » de leur matériel, alors que certains apprentis réalisateurs sont obsédés à l’idée d’avoir une « vraie » caméra dans les mains pour se sentir légitimes.
Si vous avez une bonne idée, alors rien d’autre n’est important. Mais je pense que de ce point de vue, les mentalités commencent à changer, même si j’ai bien sûr rencontré des gens comme ceux que vous décrivez, des gens convaincus qu’à moins d’avoir le matériel le plus cher du marché, il leur est impossible de faire un film. Ça n’a jamais été mon cas, sans doute parce que j’ai débuté par des films tournés en Super 8 puis en vidéo, et que j’utilisais tout ce qui me passait entre les mains. Je trouve la technologie moderne très excitante.
Paranoïa a beau être une pure série B, vous critiquez néanmoins les méthodes de certains acteurs du milieu hospitalier, un peu à la manière de ce que vous faisiez sur Effets secondaires.
Cet aspect était déjà à l’origine du projet que James m’avait décrit. De fait, le film a un pied dans la réalité. Une réalité américaine du moins… Ce sous-texte permet à Paranoïa, selon moi, de ne pas être totalement « jetable » une fois son générique de fin terminé. En fait, James a eu cette idée après avoir fait un check-up médical. Il s’est amusé du fait que la personne qui s’occupait de son cas aurait pu retourner ses propres propos contre lui, car certains des termes que vous utilisez engendrent immédiatement des protocoles q [...]
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