Interview : Rupert Wyatt réalistaeur, coscénariste et producteur

Apparu discrètement sur l’échiquier international avec l’excellent Ultime évasion (2008), l’Anglais Rupert Wyatt surprend son monde avec son ambitieux reboot de La Planète des singes en 2011. Tenu éloigné des plateaux de cinéma par quelques projets mort-nés (Halo, Gambit) et sa relecture/suite télévisuelle de L’Exorciste, il revient aujourd’hui avec Captive State, petite perle de SF adulte sur laquelle il avait beaucoup de choses à nous dire…
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Quelle a été l’étincelle qui a donné vie à Captive State ?

J’avais envie de mettre en scène une nouvelle version de la révolution américaine du XVIIIe siècle dans un contexte contemporain, mais sans pour autant donner l’impression de faire un film historique. Ce qui m’a amené à l’idée de parler d’une cellule de résistance, et donc au genre du film d’espionnage. Donc, Captive State a beau être un film de science-fiction, l’étincelle qui lui a donné vie vient du passé. 


Ce scénario, que vous avez rédigé avec votre épouse Erica Beeney, est une mécanique très précise, où les actes de nombreux personnages isolés se complètent pour dessiner un puzzle plus large dont il est impossible d’ôter une pièce sans que l’ensemble ne s’écroule. Lors du tournage, ce type de narration très exigeante laisse-t-elle la place à l’improvisation ?

À 100 % ! J’ai toujours vu en Captive State une oeuvre « hypernarrative » (terme qui peut désigner une narration éclatée composée de multiples sous-intrigues – NDR), comme une structure en toile d’araignée peuplée d’une multitude de personnages, dont certains ont des rôles cruciaux à jouer tout en n’ayant droit qu’à un temps de présence limité à l’écran. Mais il faut réussir à donner de l’épaisseur à ces personnages, malgré le peu de temps qui leur est alloué. Leur parcours est assez éloigné du voyage initiatique typique, à la Joseph Campbell. Il nous fallait donc toujours jouer sur les détails, les nuances, les petits gestes, et seuls les acteurs pouvaient me fournir ça, cette matière qui donne corps à un protagoniste sans pour autant se reposer sur une backstory étoffée. On a donc beaucoup improvisé pour aller chercher ces petits détails dont j’avais besoin.


Et durant le montage du film ? Encore une fois, vu la précision du scénario, avez-vous pu jouer librement avec le rythme et l’agencement des scènes sans mettre en péril la cohérence du tout ?

J’imagine que vous connaissez l’adage : pour faire un film, on le « crée » trois fois. Une première fois à l’écriture, une seconde fois au tournage et une troisième fois au montage. Et particulièrement dans la salle de montage, où on réécrit constamment le langage narratif du film. Pour Captive State, je vous avouerais que cette étape a été très difficile. Il fallait constamment réaligner les trajectoires de certains personnages dans le sens global de l’histoire, car ces personnages menaient une existence très détachée des autres protagonistes, et le lien entre tous ces gens n’apparaît qu’à la toute fin du film. Nous étions donc très prudents lorsqu’il s’agissait de bouger des éléments ou d’en ôter, car nous savions que nous étions en train de construire un château de cartes. J’ai dû abandonner des scènes, des sous-intrigues, certains personnages avaient un rôle plus consistant dans l’histoire. Par exemple, la trajectoire dramatique initiale de Gabriel (incarné par Ashton Sanders – NDR) était plus riche. Certains collègues policiers de Mulligan (incarné par John Goodman – NDR) avaient également plus de temps de présence.


Justement, parlons de John Goodman. La réussite du film doit beaucoup à sa performance : il doit se montrer assez mystérieux pour qu’on ne devine pas son objectif, assez charismatique pour qu’on ait envie de suivre son parcours, et assez ambigu pour qu’on puisse s’interroger sur l’honnêteté de ses motivations. Comment avez-vous travaillé avec lui pour donner corps à ce personnage complexe mais pourtant très intériorisé ?

Quelque part, on peut même dire qu’il joue deux rôles simultanément. C’était assez délicat à concrétiser, aussi bien pour moi en termes de direction que pour John en matière de performance. Nous nous sommes essentiellement reposés sur sa fonction première, celle d’un flic investi d’une mission, qui est d’annihiler une cellule de résistance implantée dans le quartier où il vit et exerce. On l’a donc dépeint comme un homme qui croit en la loi et l’ordre, qui fait son travail du mieux qu’il le peut. Ç’a vraiment été le moteur de John : il jouait essentiellement ce gars-là. Et puis il y a la seconde couche de son personnage, son dilemme moral qui le pousse à constamment questionner sa place dans ce monde et au coeur d’une institution corrompue, son amour sincère pour u [...]

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