
Interview Robert Eggers réalisateur & scénariste
Par bien des aspects, The Lighthouse s’avère très différent de The Witch, même si l’on y retrouve des similitudes thématiques ou formelles. Vous vouliez consciemment vous démarquer de votre premier film ?
D’abord, il faut savoir que faire un film de genre – ou du moins qui s’apparente au genre – permet de trouver des financements, ce qui est toujours appréciable ! (rires) Dans le cas de The Lighthouse, c’est mon frère Max qui a eu l’idée du projet, peu avant que je tourne The Witch. Cela faisait alors trois ans que j’essayais de monter ce dernier, et mon frangin m’a parlé d’un scénario qu’il était en train d’écrire, « une histoire de fantômes située dans un phare. » J’ai tout de suite pensé : « Quelle bonne idée ! », et l’atmosphère de ce récit s’est immédiatement imposée à moi. Je voyais du noir & blanc, de la rouille, de la brume et deux gardiens de phare dans un décor isolé… Ces éléments étaient assez éloignés du script de mon frère, mais c’est pourtant ce que j’avais à l’esprit. Un mois plus tard, je lui ai reparlé de ce projet et comme il m’a avoué être dans une impasse – « dans la merde » selon ses propres mots –, je lui ai proposé de m’y coller. Et le film que vous avez vu est né ! Quand The Witch a fini par se faire et qu’il a été question de trouver un projet pour lui succéder, j’ai passé un coup de fil à Max pour lui dire qu’on allait faire The Lighthouse, d’autant que mes autres projets avaient peu de chances d’aboutir. Et pour ce qui est des similitudes entre les deux films, je dirais qu’elles sont inévitables. Prenez les écrits de Shakespeare, Dickens ou Twain : ils reprennent toujours des éléments liés à l’époque de leur conception. Idem pour Edgar Allan Poe, qui a sans cesse réécrit la même histoire. Bon, pour un journaliste, c’est normal de chercher à trouver des similitudes dans mon travail, même si ce n’est pas toujours évident de mon point de vue. Quoiqu’en y réfléchissant un peu, je peux déceler quelques points communs entre les deux films…
À l’évidence, vous êtes de ces cinéastes capables de changer de style de film en film. Chez vous, c’est le scénario qui semble donner le ton…
Il est clair que j’apprécie certains univers tandis que d’autres me laissent totalement froid. De fait, mes deux films traitent d’histoires qui me touchent : si The Witch et The Lighthouse sont des contes folkloriques et mythologiques, c’est parce que j’aime tout ce qui a trait à l’occulte, les religions ou l’Histoire… Ces sujets m’excitent encore plus que le cinéma, à vrai dire. J’ai beau adorer le 7e Art, jamais je ne ferais une comédie romantique juste pour tourner un film, je préférerais encore écrire un livre sur mes sujets fétiches ou me lancer dans la peinture, même si je suis un piètre artiste. Entendons-nous bien : j’adore le cinéma, j’adore tourner des films, mais je dois absolument aborder des sujets qui me touchent ou m’excitent.
Mais les histoires qui vous plaisent ne s’inscrivent pas forcément dans des tendances très grand public. Comment faites-vous pour motiver les producteurs ?
Déjà, je viens d’être papa, et j’essaie de me montrer raisonnable d’un point de vue financier, comme ça je n’ai pas besoin de travailler sur un gros film de franchise. De toute façon, même si j’avais un jour envie de faire un film à gros budget, les studios ne voudraient sûrement pas de moi ! (rires) J’ai la chance de pouvoir tourner des films qui me passionnent, et je ne changerais ça pour rien au monde. J’aimerais, bien sûr, raconter des histoires qui ne se déroulent pas uniquement dans un décor unique, mais je préférerai toujours avoir le contrôle sur un projet plutôt que de faire des concessions afin d’obtenir un budget plus important. Toujours.
The Lighthouse contient une dose non négligeable d’humour. C’est assez rare dans ce type d’exercice de style un brin conceptuel…
Cet aspect était déjà présent lors de la phase d’écriture, même si je me souviens avoir été surpris que ma femme ait autant ri en lisant le script. Max et moi avons toujours vu The Lighthouse comme une histoire assez drôle ; c’était pour moi l’occasion de faire une sorte de mea culpa après The Witch, qui se prenait vraiment au sérieux. Mais The Witch avait besoin de cette approche, alors que dans le cas de The Lighthouse, j’ai senti qu’il fallait injecter un peu d’humour. Ce qui est amusant dans les films de Tarkovski, c’est qu’ils contiennent généralement très peu d’humour alors que Dostoïevski, son maître à penser, était quelqu’un d’hilarant. Je me suis donc dit [...]
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