Interview Rian Johnson réalisateur & scénariste

Après avoir squatté la couverture du numéro 313 à l’occasion des Derniers Jedi, Rian Johnson revient dans les pages de Mad Movies pour évoquer la genèse de son nouveau long-métrage, un whodunit qui surprend surtout par des résonances politiques acides et une épaisseur émotionnelle rare. À lire évidemment, de préférence, APRÈS avoir vu le film.
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La séquence d’ouverture détourne un code inhérent du whodunit. Lorsque la femme de chambre découvre le corps, vous entamez un travelling avant vers l’actrice qui s’apprête à hurler… mais lorsque son plateau commence à tomber, celle-ci lance un « merde ! » en le rattrapant. 

(rires) Oui, elle le rattrape ! Je suis content que vous me parliez de ça ! 


Vous vous servez clairement de ce plan pour dire au public : « Attention, on ne va pas aller dans la direction habituelle. ». 

C’est un avertissement, une manière de leur dire : si vous attendez quelque chose de précis, vous devriez y réfléchir à deux fois. Le whodunit est un genre tellement codifié que j’ai voulu commencer sur l’un de ses plus gros clichés, avant de faire un pas de côté.


La mise en scène et le scénario sont organiquement liés durant tout le film. 

Les deux premiers plans sont très parlants pour moi : le film s’ouvre sur un plan de manoir terriblement classique, et dans le second plan, on voit arriver dans le champ un mug très moderne, avec un slogan très mielleux : « Ma maison, mes règles, mon café. ».


Tout ça était dans le script ?

Oui, absolument. Certains détails ont néanmoins été ajoutés à l’étape des story-boards. 


Vous confirmez donc que le mug était dans le script original ?

Oui, il y était !


Ce petit détail est utilisé de façon très intelligente. On le voit clairement au début du film mais on le perçoit comme un gag. On l’oublie, et il réapparaît dans le tout dernier plan de façon totalement irrésistible.

(rires) Oui, et ce mug symbolise la construction de toute bonne intrigue policière qui se respecte. Le plus grisant dans ce type de récit, c’est quand l’élément clé était sous notre nez depuis le début. Tout ce qu’on voit dans la dernière demi-heure, quand Benoît Blanc retrace l’ensemble du crime, n’est satisfaisant que si l’on reconnaît chaque élément en jeu. J’adore ce genre de scène, car c’est très cinématographique. On peut enchaîner les flashes-back de façon très créative.


Beaucoup d’éléments pourraient être considérés comme LE twist du film. Il y a plusieurs retournements de situation qui s’enchaînent et s’entremêlent, comme des poupées russes.

Je dois vraiment insister sur le fait qu’À couteaux tirés est basé sur mon amour pour les romans d’Agatha Christie. Quand on décrit le film comme une subversion de l’oeuvre de Christie, ce n’est, à mon avis, pas tout à fait vrai. En réalité, c’est Agatha Christie qui a bouleversé le genre avec chacun de ses premiers livres. À chaque fois, elle trouvait des moyens de tout réinventer. Il est amusant de voir à quel point le genre était conscient de lui-même dans les années 1920/1930. Dans les premiers livres de Christie, il y avait toujours un personnage qui disait qu’il adorait les intrigues criminelles ! Christie faisait des choses très méta, elle avait des idées de retournements de situation qui me ridiculisent encore aujourd’hui. 


S’il y a bien un code que vous subvertissez, c’est celui de la poursuite en voiture. C’est une anti-poursuite, en fait.

Oui, une poursuite au ralenti. Je me suis dit que je ne pourrais jamais rivaliser avec les maîtres du genre. 


Par exemple William Friedkin ?

Exactement. Et il y a une blague au milieu de tout ça qui me fait beaucoup rire : elle a une voiture totalement merdique. J’ai essayé de trouver un pay off satisfaisant.


Avez-vous tout de même envisagé de tourner une poursuite spectaculaire ?

Oui, bien sûr. Quand j’ai écrit le film, j’ai compris que j’avais besoin de cette séquence en voitures. On passe tellement de temps dans des espaces fermés qu’on a besoin de sortir à un moment ou un autre. Mais quand j’ai commencé à conceptualiser la scène, je me suis vraiment demandé comment je pourrais me distinguer de tout ce qui existe déjà.


Il y a tout de même quelque chose de passionnant dans cette séquence : elle aide le film à déplacer l’intrigue dans un nouveau décor, tout en respectant le point de vue et l’émotivité de l’héroïne. Le film voyage littéralement avec elle dans ce nouvel environnement.

On a toujours besoin de voyager avec les personnages. C’est très important d’un point de vue dramatique. Il faut permettre au public de prendre l’air, surtout quand tout le premier acte ou presque consiste en un long interrogatoire mené par Benoît Blanc. 


Parlons-en, justement. Dans cette longue séquence où Blanc est au piano, vous utilisez des plans très figés sur les interrogés. C’est presque mécanique.

Nous avons tout de même [...]

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