INTERVIEW RIAN JOHNSON RÉALISATEUR & SCÉNARISTE

Que J.J. Abrams soit engagé pour relancer la saga Star Wars n’était pas une grande surprise en soi. Que Rian Johnson soit propulsé à la tête du très redouté Épisode VIII, c’était déjà plus étonnant. Lucasfilm et Kathleen Kennedy ont a priori joué l’audace en confiant leur bébé de 200 millions de dollars à un auteur fondamentalement indé, dont la créativité éclataient tout au long de Brick et de Looper. Alors que les productions de Rogue One et Solo ont connu de sacrés remous, et que Colin Trevorrow s’est vu retirer le contrôle d’Épisode IX, on était en droit de s’interroger sur la marge de manoeuvre de Johnson en coulisses des Derniers Jedi… Pourquoi ne pas directement lui poser la question ?
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Vous venez du cinéma indépendant et Looper avait un budget moyen. Comment vous êtes-vous adapté à la logistique d’un tel blockbuster ?

C’est une des premières questions que je me suis posées en arrivant sur ce projet. C’est étrange, mais l’ampleur du film ne s’est pas vraiment ressentie durant le processus de création. Ce n’était pas un obstacle en tout cas. Les ressources dont je disposais ont facilité mon travail, à vrai dire. Plus de temps et plus d’argent, ça vous facilite la vie. Mais au départ, j’avais vraiment peur de me retrouver au milieu d’une énorme machine, de devoir traîner un dinosaure derrière moi. Est-ce que ça allait me limiter dans ma marge de manoeuvre ? En réalité, c’était tout le contraire. Il n’y a pas que des questions d’argent ou de temps, d’ailleurs. J’ai eu accès à des artistes incroyables. J’avais l’impression d’avoir une fusée accrochée à mon dos.


Tous les fans de Star Wars se disent : « Je suis sûr que Rian Johnson a dû se compromettre à un moment ou un autre, que Disney est tout le temps au-dessus de son épaule. Ça ne sera jamais un film d’auteur. ».

C’est ce que je pensais aussi au début, et je crois qu’à la place des fans, je serais tout aussi méfiant. Je ne sais pas comment faire pour qu’on me croie, mais j’insiste, cette collaboration s’est idéalement passée. L’ambiance n’était pas si différente des films indépendants sur lesquels j’ai pu travailler. Le tout, c’est de savoir collaborer. Qu’on soit réalisateur, exécutif du studio ou producteur, si on se pointe dans l’idée de se faire des ennemis et d’imposer sa vision des choses à chaque seconde, on est baisé. Peu importe le montant du budget. On va vous faire passer un sale quart d’heure, et ça va se ressentir dans le film. Pourquoi faire ça ? Il faut être prêt à collaborer.


Et il le faut d’autant plus que c’est ici une machine énorme. Vous avez ILM, le creature shop de Neal Scanlan, l’équipe des designs dirigée par Doug Chiang…

Oui, bien sûr ! 


À l’époque de Ray Harryhausen, tout était décidé par une seule personne. Aujourd’hui, c’est une armée, et tous les artistes impliqués dans un tel blockbuster sont des génies en puissance. Mais dans ce contexte, comment donner à l’ensemble une vraie personnalité ?

Il suffit de faire le film, en fait. C’est difficile à décrire, mais le processus en lui-même n’avait pas l’air… comment dire… Vous vous souvenez de Pacific Rim ? Eh bien, c’était un peu la même chose. Vos mouvements contrôlent sans effort cette machine colossale, et il faut la manier à plusieurs. C’était vraiment ça. Jamais je n’ai eu l’impression de me retrouver au pied de la Statue de la Liberté, en me disant : « Comment vais-je pouvoir faire bouger cette chose ? ». La taille de la machine ne m’a pas empêché d’obtenir ce que je voulais, ni de donner au film une vraie personnalité. Et au bout du compte, quand on tourne un long-métrage, ça reste une expérience intime. Peu importe le nombre de fonds verts, les créatures qui vous entourent ou l’échelle des décors. Une scène vit ou meurt en fonction du jeu de deux acteurs qui créent un moment dramatique et intéressant devant la caméra. Ça, ça ne change pas. C’est à ça que l’on juge si le film mérite d’être tourné ou non. 



Justement, dans la bande-annonce des Derniers Jedi, les money shots sont tous des gros plans de visages, et non des explosions.

Exactement ! Des gros plans de visages. C’est ce que tout bon film doit avoir. Si les personnages ne fonctionnent pas, peu importe qu’on ait les plus grandes scènes de destruction de l’Histoire du cinéma. On s’en fichera. À ce sujet, il m’est arrivé quelque chose quand nous avons monté les scènes de batailles spatiales. Mon monteur Bob Ducsay et moi avons très rapidement compris que si nous restions trop longtemps sur les vaisseaux, le public allait se déconnecter des enjeux humains. Il fallait revenir le plus souvent possible à l’intérieur des cockpits. Tout est basé sur les visages.


Et vous vous rapprochez d’ailleurs très près des visages, si l’on en juge par ce plan sur les yeux de Poe Dameron. 

Très, très près. Quand on revoit le tout premier film, l’histoire est racontée à travers les plans de réaction, et non à travers les plans de vaisseaux. C’est le coeur de Star Wars. Et c’est pour ça qu’on se passionne autant pour les grandes scènes d’action de la saga. Ça peut paraître évident, mais quand j’ai commencé à travailler sur les morceaux de bravoure, je me suis d’abord penché sur la géographie des séquences, les trucs cool que les vaisseaux pourraient faire… J’ai eu une révélation en postproduction, en réalisant combien les visages étaient primordiaux.


Vous n’avez pas découvert ça pendant les prévisualisations ?

Non, parce que dans les prévisualisations, on joue avec des versions factices des personnages. On se retrouve avec des graphismes dignes d’une vieille Xbox, donc on ne peut se connecter à rien. On se concentre par conséquent sur ce qui semble important à cette étape : le mouvement des véhicules et de la caméra. Mais quand on assemble la séquence des mois ou des années plus tard, on risque de s’ennuyer si l’on ne pense pas à réajuster les enjeux dramatiques. On a fini par couper pas mal de plans de vaisseaux spatiaux pour revenir le plus souvent possible sur les personnages.


Aujourd’hui, beaucoup de films sont clairement définis à l’avance durant l’étape des prévisualisations. Et ce n’est pas forcément le réalisateur qui supervise ces animatiques.

Oui, je sais, et c’est pour ça que beaucoup de gros films ont tendance à se ressembler. C’est dommage, car quand on a de telles ressources, on peut être flexible. C’est la première fois que je travaille avec des prévisualisations, mais j’ai abordé ça avec le même esprit que pour mes films précédents. J’ai commencé avec des story-boards. Il était hors de question pour moi de tendre un script à l’équipe des préviz en disant : « Faites-moi une séquence à partir de ça. ». Non, j’ai tout story-boardé et nous avons étudié chaque plan avec l’équipe des animatiques. Nous avons fait des ajustements avant le tournage, et beaucoup d’autres au montage. Tout se décide finalement dans la salle de montage. On peut se permettre de couper des choses au dernier moment si le film fonctionne mieux sans. En gros, on passe des mois à peaufiner ses plans, mais quand le bateau commence à couler, on essaie de ne pas couler avec lui ! (rires) Il ne faut pas avoir la moindre pitié vis-à-vis d’une scène qui ne marche pas. Il faut la balancer par la fenêtre et utiliser les rushes d’une autre façon. 


L’une des photos de tournage les plus diffusées des Derniers Jedi vous montre en train de tester un cadre avec une focale 50 mm. Y a-t-il encore de la place pour l’improvisation ou les idées de dernière minute sur le plateau ?

Oui, bien sûr ! Les moments les plus intimes avec les personnages se découvrent souvent sur le plateau.


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