Maxime Chattam : « On peut plus facilement faire une littérature qu'un cinéma de genre à la française »

Depuis plus d’une vingtaine d’années, Maxime Chattam se confronte à l’horreur criminelle pour nourrir ses thrillers et délivrer des œuvres denses, sourcées, assaisonnées de pistes théoriques en rapport avec les évolutions des méthodes d’investigation… ou des pires lubies en vogue chez les tueurs en série. Son dernier roman, La Constance du prédateur, ajoute une nouvelle figure horrifique traumatisante à un panthéon déjà bien rempli. 

Il y a de nombreux échos entre La Constance  du prédateur et L’Âme du Mal, votre premier roman. Suggérez-vous que non seulement rien ne va mieux, mais que tout empire ?

En réalité, tous mes livres contiennent systématiquement des références aux autres romans, des clins d’œil parfois tellement légers qu’il n’y a que moi qui peux les repérer. Le chapitre final de La Patience du Diable ressemble beaucoup à celui de L’Âme du Mal, avec ces tueurs en série qui partagent un même état d’esprit au fond de leur cellule. Parce que je sais depuis longtemps qu’un jour, j’écrirai un livre qui fera des passerelles entre ces éléments.


Vous allez faire un Avengers avec vos meilleurs tueurs ?

Voilà, exactement. (rires) Bon, j’essaierai d’avoir un meilleur scénario et moins d’effets spéciaux – j’ai vraiment décroché des derniers Marvel, j’ai de plus en plus de mal. Il était évident qu’en me lançant dans La Constance du prédateur, je ne pouvais pas faire comme si L’Âme du Mal n’existait pas. Au contraire, je m’en suis servi de caisse de résonance.

Vingt ans plus tard, je ne suis pas le même, je n’écris pas de la même manière. Le récit est beaucoup plus sensible et ouvert à l’émotion que ne l’était L’Âme du Mal. Il procède de choix personnels, comme celui d’une héroïne issue d’une saga de trois livres dont il faut également tenir compte. J’ai hésité à écrire cette histoire aux États-Unis avec un nouveau héros ou en reprenant un personnage que j’adore, celui d’Un(e)secte, mais il m’a semblé plus approprié de la situer dans la continuité du parcours de Ludivine Vancker (héroïne de quatre livres de l'auteur – NDR), donc en France.


Justement, l’un des aspects les plus frappants du livre est son ancrage dans des territoires français très identifiés, dans l’esprit de ce qu’avait pu faire Maurice G. Dantec dans Les Racines du Mal

Merci de la comparaison, on parle quand même d’un chef-d’œuvre. Oui, ça ne peut pas être un décor comme un autre, pour plein de raisons différentes. Il faut qu’elle existe, cette France. Il est question d’accents, de régions, de particularités, de décors. Les procédures aussi sont françaises. Je connais les profilers américains, j’ai longtemps bossé le sujet, mais là, depuis quelques années, je travaille pas mal avec la gendarmerie. Je suis allé voir le Département des Sciences du Comportement, ils m’ont ouvert leurs portes et expliqué mille façons de faire. J’en ai tenu compte.

C’est un roman de genre ancré en France, qui parle de la France, qui en assume pleinement l’identité et s’en sert. Le décor des mines abandonnées de l’est parle à tout le monde, même à quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds. Pour les passages à Bordeaux, je n’en ai pas fait des caisses, j’ai baissé d’un cran dans le régionalisme parce que cela impactait le rythme. C’était contre-productif. Mais c’est un élément tout de même présent, l’héroïne passe par la Dune du Pilat, ce sont des paysages identifiés.

J’essaie de faire vivre notre territoire et je nourris mon récit en gardant ce rythme, ce suspense et cette façon de faire typiques d’un thriller. Des caractéristiques qui viennent de la littérature américaine, on ne va pas se mentir. C’est un mariage des deux. Jean-Christophe Grangé l’avait très bien fait dans Les Rivières pourpres, tout comme Serge Brussolo dans les années 1980. J’ai essayé de jouer avec ces codes-là. 




Scènes de crimes de Frédéric Schoendoerffer.


Et forcément, à la lecture, vient la frustration de ne pas avoir l’équivalent de telles histoires sur les écrans.

On peut plus facilement faire une littérature de genre à la française parce qu’il est plus facile d’y croire. Le lecteur va remplir tous les blancs avec sa vision, sa perception, il va se raconter l’histoire de la façon qui lui convient à partir du moment où le récit fonctionne. En revanche, au cinéma, on ne peut pas remplir les blancs, on prend ce qu’il y a à l’image. Il y a déjà une question de moyens. On peut faire du genre avec très peu de budget, mais c’est casse-gueule dans certains domaines et selon ce qu’on veut raconter. À 1 ou 8 millions, ce n’est pas le même film.

Et comme on donne moins d’argent en France pour le genre et qu’on subit la comparaison avec les Américains, la moindre petite production US dispose d’un budget pharaonique par rapport à nos productions fauchées. On ne fait pas les choses de la même manière, on n’a pas les mêmes durées de tournage, les mêmes enchaînements de plans, il faut faire des scènes plus statiques, on a moins le temps de soigner certaines choses, comme les décors… Bref, toutes ces problématiques font que d’un point de vue pratique, c’est plus difficile à faire.

Ensuite, il y a ce que les Américains appellent la suspension d’incrédulité : quand c’est américain, parce que l’action se déroule dans un lieu lointain et en raison des références culturelles ancestrales ancrées depuis plusieurs décennies via les films et la littérature, c’est accepté, ça marche. Avec les États-Unis, tout est possible.

Pour L’Âme du Mal, j’aurais très bien pu situer le récit en France. Je suis un fou du Scènes de crimes de Frédéric Schoendoerffer, je trouve le film génial, mais je me suis dit à l’époque que l’histoire que je voulais raconter était tellement dingue qu’elle marcherait moins bien en France. Comme j’avais la double culture, ce n’était pas compliqué pour moi de faire un choix ou l’autre. J’ai fait celui de l’Amérique.

Et ça passe. Le cinéma de genre français se doit de sur-crédibiliser certaines choses pour qu’on y croie. Mais une fois qu’on a dit ça, il y a des tas de contre-exemples. Méandre de Mathieu Turi fonctionne avec son petit budget, avec des tas de petites choses marrantes, malines. Quand Alexandre Aja fait Haute tension, c’est hyper efficace. Il faut aussi des réalisateurs qui ont une patte, un savoir-faire par rapport aux petits budgets, et qui vont parvenir à créer une identité forte. Il faut de la personnalité.

Le jeune public d’aujourd’hui a été nourri au cinéma de genre, avec dans le lot quelques tentatives françaises. Il est plus ouvert. J’ai bon espoir pour les dix prochaines années.


Il y a pourtant eu une vraie culture du polar en France jusque dans les années 1980…

Oui, mais c’était très identifié français, on était dans le « polar polardeux », avec des codes. C’était du polar social, politique, très ancré à gauche, qui se souciait assez peu de son rythme et plutôt de ce qu’il avait à dire. Puis, à un moment, c’est redescendu, parce que cette vague a été balayée par l’émergence du polar à l’américaine.

Quand, dans les années 1990, Mary Higgins Clark, Patricia Cornwell, ou John Grisham ont déferlé, on a découvert une autre façon de lire. Sont arrivés le thriller, le suspense, la documentation, la rigueur absolue dans les intrigues. Des auteurs comme Brussolo ou Grangé se sont engouffrés dans la brèche et ont cartonné. Il y a bien sûr eu Dantec avec Les Racines du Mal, mais Dantec, c’est la passerelle, il est entre les deux, héritier du polar à la française et en même temps du savoir-faire à l’américaine.

La force des Racines du Mal est justement de ne pas être un pur thriller, il a une chose à raconter, un fond à développer. C’est le bouquin de la transition entre ces deux mondes.


Vous avez suivi la carrière de Dantec ?

Oui, ça a vrillé, on peut le dire.



Haute tension d'Alexandre Aja.


Quand on lit Villa Vortex, il est permi [...]

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