Interview : Jason Blum producteur

Venu à Paris pour assurer en coup de vent la promotion d’Invisible Man, Jason Blum est sans doute le seul producteur indépendant actuel à avoir imposé sa marque dans une industrie hollywoodienne trustée par les majors. Échanges avec un homme à la tête d’un petit empire cinématographique en constante ascension.

Au moment de la sortie de La Momie, qui devait relancer les Universal Monsters, beaucoup avaient été déçus de constater que celui-ci ne faisait pas grand cas de sa créature en titre. Au moins, avec Invisible Man, vous proposez une histoire qui traite vraiment son sujet.

Oui, ce n’est pas un film sur Tom Cruise. (rires)

Il faut croire que le fait de composer avec un petit budget vous a permis de respecter le concept de départ…

Oui, et c’est pour cette raison que j’aime produire des films à petit budget. Le fait de se délester d’obligations liées aux effets spéciaux, aux cascades ou à l’action permet aux cinéastes de se concentrer sur la narration, les personnages et les comédiens. Des éléments qui, selon moi, sont la base du cinéma, et que les petits budgets permettent de mettre en valeur. 

Des films comme La Mouche ont prouvé que le genre était idéal pour traiter de thèmes sociétaux. Dans Invisible Man, la façon dont la parole de l’héroïne est contestée par son entourage rappelle celle des femmes battues parfois tristement inaudibles… 

J’adore cet aspect. On a fait la même chose avec American Nightmare qui traitait du rapport amour/haine qu’entretient l’Amérique avec les armes à feu. Get Out parlait du racisme et Invisible Man des violences conjugales… Je pense en effet que le genre est parfait pour mettre le doigt sur les problèmes qui rongent notre société. Et comme ces problèmes sont parfois très effrayants, nos films se doivent de l’être aussi, non ?

Le thème de l’Homme invisible n'étant pas nouveau, aviez-vous déjà une idée précise de ce que vous vouliez voir à l’écran, ou avez-vous laissé des cinéastes vous exposer leur vision avant de choisir Leigh Whannell ?

Je connais Leigh depuis dix ans, nous avons dû faire sept longs-métrages ensemble. Je voulais vraiment qu’il réalise un film de monstre pour moi, que ce soit un vampire, Frankenstein ou L’Homme invisible. C’est ce dernier qui a titillé son imagination et, en cela, l’idée lui revient à 100 %. Après avoir réfléchi au concept, il est revenu me voir en disant : « Et si c’était lui, le méchant de l’histoire ? Le film ne parlerait pas vraiment de lui, mais de sa petite amie qui tente de lui échapper. Et le type deviendrait invisible pour lui pourrir la vie. ». J’ai trouvé cette idée géniale, et on a fait le film. 

Le principe de l’invisibilité est une aubaine pour un budget modeste, car il n’est pas question d’ajouter des effets spéciaux à l’image, mais de faire disparaître un personnage. Ça coûte sûrement moins cher !

C’est vrai que ce personnage est parfaitement adapté à nos budgets ! (rires)

Vous deviez néanmoins faire attention à ne pas sombrer dans le ridicule que peut susciter un tel postulat s’il n’est pas soigneusement mis en images. 

Oui, et c’est la raison pour laquelle nous avons quand même eu recours à des effets spéciaux dignes de ce nom. Des effets spéciaux assez discrets, cependant. 

Les derniers films que vous avez produits – Sweetheart, The Vigil, Nightmare Island ou Invisible Man – sont très différents les uns des autres. Si l’on cherche souvent à définir votre style, on ne peut pas dire que votre influence se ressente de façon aussi forte que chez Roger Corman, Joel Silver ou Jerry Bruckheimer…


Je pense que c’est dû au fait que Blumhouse cherche à produire des films différents, originaux. Voilà ce que nous permet d’accomplir ce système de petits budgets : prendre des risques et tenter des choses que les gens n’ont pas forcément l’habitude de voir. Get Out est très singulier. Tout comme The Hunt, qui va bientôt sortir. Que vous aimiez ou non nos films, ils sont différents. 


Quelle est l’importance des projections-tests dans votre processus créatif ? Vous aimez laisser les coudées franches aux cinéastes, mais vos films étant aussi des oeuvres populaires, vous ne pouvez pas ignorer les réactions du public. 

Nos cinéastes nous accompagnent lors des projections-tests, ce qui nous permet de toujours trouver un consensus. On ne force jamais un réalisateur à faire quelque chose contre son gré, et l’expérience des sneak previews est aussi formatrice pour lui que pour nous. Je pense donc que ce type de projections est important, même si l’essentiel est, selon moi, de savoir suivre son instinct, de prendre en compte l’avis des autres sans pour autant tout miser sur les notes données par le public. 


Il vous arrive aussi de donner un coup de pouce à des films n’ayant pas de rapport avec le genre, comme Whiplash. Faites-vous tout de même attention à ne pas trop vous disperser pour conserver l’esprit de la marque Blumhouse Pictures ? 

C’est une bonne question. J’essaie de choisir des projets sur lesquels la présence de notre logo ne serait pas trop incongrue, si vous voyez ce que je veux dire. Du moins, il faut que ce ne soit pas trop choquant pour moi. Quoi qu’il en soit, j’essaie de privilégier les films sombres et originaux, et ce sont finalement des notions qui peuvent s’appliquer à presque tous les genres auxquels nous nous sommes frottés. De fait, nos films ont forcément un côté provocateur. 


À l’instar d’Invisible Man, votre remake de Black Christmas s’attaquait à un sujet d’actualité plutôt sérieux. Savez-vous pourquoi le film de Sophia Takal n’a pas été bien reçu lors de sa sortie ?

Aucune idée. Quelle est votre théorie ? 


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Commentaire(s) (3)
danysparta
le 19/03/2020 à 13:56

J'aime beaucoup certain films produit par le monsieur mais j'arrive jamais à savoir si le mec aime plus l'argent ou le cinéma. Un peu des deux j'imagine. Alors okay la méthode est maline comme tout, petit budget pour la prod et grosse distribution pour faire de gros bénèf mais aussi donner une vraie visibilité aux petites pépites face aux gros mastodontes. Mais je trouve que, si parfois un petit budget force les réal à plus d'inventivité et d'originalité je trouve parfois les budgets limite radin, se qui empêche une forme plus ambitieuse des long métrage.

Li belle bièsse
le 24/03/2020 à 01:56

FANTASY ISLAND est l'exemple parfait de ta réserve, Dany. Ceci dit, inutile de nier que, intéressé ou pas, Blum secoue le cocotier afin de sortir le fantastique américain de son ronronnement lénifiant.

danysparta
le 24/03/2020 à 13:28

Pas encore vu FANTASY ISLAND mais ça ne saurai tarder. Et oui Blum reste une bonne alternative pour le fantastique ou l'épouvante à l'américaine avec les prod A24 qui ont un autre style certes, ça compense le manque d'idées des grands studio ou des remakes inutiles produit par Raimi.

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