Jamie Lee Curtis : « Le sujet de "Halloween Ends" ne pourrait pas être plus actuel »

Halloween Ends

Aussi vénérée que Sigourney Weaver par les amateurs de cinéma de genre, Jamie Lee Curtis s’était exprimée pour la dernière fois dans nos pages en novembre 1998, à l’occasion de la sortie de Halloween, 20 ans après. Nous avons profité de sa venue en France pour discuter des enjeux de Halloween Ends et de la vision de David Gordon Green, tout en revenant sur les moments forts d’une carrière qui, de À couteaux tirés à Everything Everywhere All at Once, continue de nous surprendre.

Je dois vous l’avouer : je vous ai découverte dans Un fauteuil pour deux quand j’avais à peine huit ans.

Si ce sont les premiers seins que vous avez vus dans votre vie, c’est parfait. Je suis heureuse que ce soient les miens. (rires)


Ce sont les premiers qui m’ont marqué au cinéma ! Mais dans les années 1980, en France, on avait quand même pas mal de pubs où des filles dénudées se caressaient avec du gel douche.

Ah, aux États-Unis, on était loin d’avoir ça ! C’était plutôt « ban the nipple ». On est en train de parler de nichons, là, n’est-ce pas ?


Oui, on vient de commencer notre entretien avec ça. Pourquoi pas !

(rires) Vous savez pourquoi je suis dans Un fauteuil pour deux ? John Landis réalisait un court documentaire sur le cinéma d’horreur composé de bandes-annonces des années 50. Ça s’appelait Coming Soon. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de la narration et il m’a appelée. À l’époque, j’étais la Scream Queen ! Je ne l’avais jamais rencontré auparavant. J’ai travaillé quatre jours sur le projet, dans le backlot d’Universal Studios. Le texte était très descriptif, il y avait un peu de dialogues…

Mais clairement, quelque chose s’est passé à ce moment-là. John a senti quelque chose de drôle à mon sujet. Quand ils castaient Un fauteuil pour deux, il est allé voir Paramount pour leur dire : « Pour le rôle féminin, vous êtes prévenus, j’engage Jamie Lee Curtis. ». Ils étaient là : « Attendez… Quoi ? Bien sûr que non ! ». Ils n’étaient pas contents du tout, mais John a eu gain de cause. Rendez-vous compte : je dois ma rencontre avec John, donc une grande partie de ma carrière, au cinéma d’horreur ! Si je n’avais pas joué dans Halloween et tout ce qui a suivi, je n’aurais pas narré ce documentaire. Et sans Coming Soon, je n’aurais jamais fait Un fauteuil pour deux. Je ne remercierai jamais assez John ; il a changé ma vie.


Parlons un peu de Halloween Ends. David Gordon Green dépeint une Amérique très crédible. Le film parle de la manière dont la paranoïa, la haine et la peur peuvent s’emparer d’une population à la manière d’un virus. Ce n’est pas la première fois qu’on vous retrouve dans un film traitant de ce sujet. Même dans une comédie comme À couteaux tirés, il y a une dimension sociale et politique très importante. Avez-vous contribué à rendre la trilogie de David Gordon Green aussi subversive que possible ?

Je pense avoir eu une influence limitée, mais ce sont évidemment des sujets qui me tiennent à cœur. Quand je serai morte et quand vous serez plus vieux, vous reverrez cette trilogie comme une œuvre socialement et politiquement très puissante. Elle est avant-gardiste, à mon avis ; David Gordon Green et Danny McBride ont fait preuve d’une prescience étonnante et pourtant, aucun d’eux n’est un militant politique.

En 2016, ils ont écrit un script qui parle de rage et d’émancipation féminines. C’est devenu un sujet absolument énorme deux ans plus tard ! Avec le second opus, ils se sont intéressés à l’indignation sociale et à la violence des foules, et on a vu ça se concrétiser avec l’invasion du capitole. Halloween Ends parle du poison de la colère et de paranoïa, et ça ne pourrait pas être plus actuel. Nous vivons dans un monde terriblement divisé. On vient de le voir avec l’élection d’un parti néo-fasciste en Italie. On ne devrait pas se contenter de dire que c’est de la folie. C’est le résultat de quelque chose et il faut réussir à analyser ça pour avancer.

Je pense que cette trilogie est importante, qu’elle s’inscrive ou non dans un genre : elle décrit l’impulsion d’un vrai changement politique. Je n’écris pas ces films, je les interprète. Je ne prends donc aucun crédit, il revient entièrement à David et Danny. Ils ont su écouter le monde et le commenter avec pertinence.



Jamie Lee Curtis en pleine discussion avec David Gordon Green dans l'un des décors de Halloween Ends.

Ceci étant dit, ces films existent grâce à vous. Vous auriez pu dire non quand on vous les a proposés. John Carpenter aurait pu refuser, lui aussi. 

Oui, j’ai appuyé leur voix par association, en étant Laurie Strode et en parlant de tout cela en tournée promo. Avez-vous vu ce mème où on me voit répéter le mot « trauma » des dizaines de fois en interview ? C’est hilarant ! Mais c’est un exemple de ma participation et de la manière dont j’ai essayé d’explorer ces thèmes. [ATTENTION SPOILERS] Tout ce que j’ai apporté à Halloween Ends, c’est à la toute fin, quand on perçoit une possibilité d’espoir. J’ai vraiment insisté pour que ce soit dans le film. [FIN DES SPOILERS]


Vous aviez déjà refermé deux fois ce chapitre de votre carrière dans Halloween, 20 ans après et Halloween : résurrection. Le traitement de Laurie Strode dans le premier semble assez différent du film de 2018. Chez David Gordon Green, elle est prête à prendre les armes dès le début. Dans 20 ans après, elle se cache.

Je pense qu’elle se cache aussi dans la nouvelle trilogie. Elle se cache au grand jour, mais elle se cache quand même.


Elle est quand même plus proche de Sarah Connor que de la Laurie de 1998.

Là-dessus, on est totalement d’accord !


Elle commence donc la trilogie comme Sarah Connor, mais dans le dernier opus, elle décide dès le début du film de déposer les armes. C’est une évolution très intéressante…

Oui, une dé-évolution.


… qui va à l’encontre du schéma hollywoodien classique. On a tendance à suivre un héros qui va s’armer de plus en plus, mentalement et physiquement, au fil de son périple.

[ATTENTION, SPOILERS] Elle se désarme d’ailleurs dans son combat contre Cory. Elle jette son revolver au sol. [FIN DES SPOILERS] J’ai compris, en lisant le script, pourquoi au début du film elle a une lueur de vie en elle. Le second film démarrait tellement haut en intensité qu’on ne pouvait pas refaire la même chose. On ne peut pas mettre des obstacles encore plus grands sur son parcours. Il lui fallait du temps pour qu’elle puisse faire le deuil de sa fille.

Le mieux qu’on puisse faire face au Mal absolu, c’est lui dire : « Va te faire foutre. Je vais vivre et je n’ai plus peur de toi. ». Pendant l’Holocauste, les Juifs ont survécu en défiance de ce qu’on leur a fait. Les gens qui survivent à une violence extrême, s’ils sont bien accompagnés [...]

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