Interview : Guillaume "Run" Renard

Interroger Guillaume « Run » Renard, c’est un peu comme une évidence : le créateur de Mutafukaz dessinait des couvertures fictives de Mad Movies quand il était petit. D’où cet entretien extrêmement touffu sur la genèse de cet univers et les difficultés, mais aussi les joies, de le porter à l’écran.
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De ta naissance à la BD Mutafukaz, que s’est-il passé ?

(rires) Ça risque d’être un peu long. Alors… Je suis de 1976. Quand j’étais gamin, on n’avait pas accès au cinéma comme aujourd’hui. Du coup, on lisait des magazines comme Mad Movies, et on bloquait sur une image pendant un ou deux ans en se faisant le film dans notre tête. Et j’habitais dans une cité à côté d’une base aérienne. Souvent, le soir, avec un pote, on regardait le ciel et on voyait des lumières dans la nuit… Le genre de truc qui débloque un tas de trucs dans l’imaginaire. Et donc naturellement, j’ai toujours été attiré par le fantastique, la SF, l’ufologie. Très jeune, je me suis mis à lire des bouquins d’ufologues, sans pour autant y croire. Mais ça me passionnait. Puis est venue la révélation : Invasion Los Angeles de John Carpenter, qui m’est resté dans la tête super longtemps. Plus tard, j’ai fait les Beaux-arts en section Arts graphiques. J’ai toujours dessiné, non seulement des couvertures de Mad, mais je faisais aussi des BD des films que j’allais voir. J’ai fait partie de la génération qui a découvert l’anime japonaise à la télé sans savoir ce que c’était, puis qui a maté le Club Dorothée. Et donc, j’ai découvert aux Beaux-arts comment m’exprimer de plein de façons différentes. J’ai pu faire de la gravure, de la mosaïque, de la photo… Tout ça m’a bien ouvert l’esprit et, bizarrement, m’a aussi éloigné de la BD et de la culture pop. Puis j’ai fait une quatrième année à Nancy. Là, tout le monde se connaissait et moi, je me sentais exclu des groupes. Je ne suis quasiment allé à aucun cours. Et pendant que j’étais dans ma chambre d’étudiant, j’ai commencé à créer la version zéro de Mutafukaz. Pour la petite anecdote, j’avais une copine qui habitait Paris. On ne pouvait pas se voir parce qu’on n’avait pas un rond, et du coup, on s’écrivait des lettres, car c’était l’époque où on s’envoyait encore des lettres. J’avais créé pour elle seule un petit fanzine dans lequel sont apparus les prototypes de Vinz et Angelino. C’était vers la période de Halloween, j’avais donc imaginé un personnage avec une tête de citrouille et un autre avec une tête enflammée… Au fur et mesure, je me suis attaché à ces personnages, et comme j’avais du temps à tuer, je me suis dit : « Et si j’en faisais quelque chose ? ». Au début, c’étaient des petits strips, puis un fil rouge a émergé, qui combinait toutes les influences que j’avais emmagasinées depuis que j’étais petit : l’ufologie, le film noir – car à l’époque, je découvrais aussi le cinéma de Hong Kong, John Woo et tout… Je m’en foutais, je mélangeais tout, en plus il n’y avait que moi qui la lisais, cette BD. Forcément, l’école de Nancy m’a proposé un redoublement, vu qu’ils n’avaient pas vu ma ganache de toute l’année, et j’ai refusé. À l’époque, des potes bossaient dans une agence multimédia qui s’appelait Teamchman et qui bénéficiait d’une hype de malade au niveau international. Je suis allé les voir, j’ai présenté mon book – enfin ma BD Mutafukaz –, et ils m’ont pris. On avait un jour par semaine pour développer notre propre univers. J’ai alors lancé un site Internet Mutafukaz, avec des petites animations – il existe encore d’ailleurs. J’ai continué à creuser cet univers, mais sans finalité. Je commençais à connaître les personnages, une storyline se dessinait, qui est en gros celle que l’on connaît aujourd’hui, à savoir un mélange entre Invasion Los Angeles et Les Envahisseurs, mais dans un univers personnel, constitué d’un brassage de toute ma culture. Et il se trouve que ce site a eu un petit succès, ça a intéressé ma boîte, et je leur ai proposé de me foutre la paix pendant cinq mois, le temps que je crée un court-métrage animé. C’était en 2002. Ils ont accepté, on s’y est mis à trois avec deux potes/collègues, et on a fait ce court qui s’appelait Opération tête noire. À notre grande surprise, il a fait le tour du monde des festivals et on a été repérés. Mais au bout d’un moment, j’ai compris que malgré l’affection que j’avais pour Teamchman et les gens qui bossaient dedans, il fallait que je m’en aille, d’autant qu’on était devenus une boîte de prod’ pour d’autres studios de créa alors qu’à la base, on était nous-mêmes censés être un studio de créa. Donc je suis parti en me disant que j’allais essayer de faire un truc dans la bande dessinée, avec une grande naïveté, car je considérais à l’époque l’univers de la BD franco-belge comme sclérosé, et je me disais que, potentiellement, Mutafukaz allait intéresser des gens. Sauf que non. Ç’a été une petite traversée du désert durant laquelle je me suis remis en question. Puis un jour, un pote qui n’avait pas le permis m’a demandé de le conduire à un entretien d’embauche chez Ankama, qui était une boîte de jeu vidéo. En arrivant, je me suis présenté en expliquant que j’avais fait telle et telle chose, et notamment ce court appelé Opération tête noire, et il se trouve qu’Anthony Roux, le boss d’Ankama, le connaissait. Je vois que son regard s’illumine et il me dit : « Qu’est-ce que tu en as fait de cet univers ? ». Je lui raconte que j’essaye d’en faire une BD, et il répond : « Ben ça tombe bien, je suis en train de monter une maison d’édition. Viens la faire chez nous ! ». J’ai pas mal réfléchi puis j’ai décidé de signer avec Ankama pour le tome 1 de Mutafukaz. Mais on n’avait pas de distributeur, on a donc fait le tour des salons et festivals. Ça a commencé à prendre. La BD est arrivée chez un gars haut placé de la Fnac. C’était vraiment pas sa came à la base, mais apparemment, il a été agréablement surpris et l’a placée coup de coeur de la Fnac. Ç’a envoyé un signal aux distributeurs qui ont compris qu’Ankama avait une vraie volonté de devenir une maison d’édition. Et c’est là qu’Anthony m’a proposé de l’aider à développer le label et de devenir directeur de collection. En deux ou trois mois, je suis donc passé du gars qui désespérait de voir sa BD dans les rayons de la Fnac à auteur publié et directeur de collection. Vo [...]

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