Ted Raimi : "Dans les années 80/90, aucun acteur ne voulait avoir un film d'horreur sur son CV"

Durant l’écriture de notre ClassicEvil Dead, nous avions pu nous entretenir avec Ted Raimi, acteur révélé en 1987 sous le costume en latex de la deadite Henrietta. Nous avons découvert un orateur cultivé, attachant et généreux. Une seconde discussion s’imposait, ne serait-ce que pour poser sur le papier des anecdotes restées trop longtemps secrètes. De Twin Peaks à Spider-Man, de Wes Craven à Bernard Rose, de Larry Drake à Harrison Ford, cet acteur aussi discret que talentueux se confie dans les pages qui suivent comme jamais auparavant…

Pourquoi êtes-vous devenu acteur ?

Quand j’étais enfant, je lisais beaucoup. J’étais un intello très discret. Je lisais de l’horreur, de la science-fiction, des thrillers, mais je ne me voyais pas devenir acteur. Je me suis dirigé vers ce métier d’une façon très symptomatique de l’état d’esprit de Detroit ; je n’avais aucune vocation artistique. Au contraire de beaucoup d’artistes qui, dès le début, disent des choses du genre : « Je dois jouer, je dois danser, je dois écrire ! ». Nope. Pas pour moi.

Pendant très longtemps, j’ai enchaîné des jobs absolument horribles. J’ai fait la vaisselle, j’ai validé des tickets de bus, j’ai été caddie de golf, j’ai bossé dans un refuge pour chiens abandonnés, puis j’ai été embauché comme assistant de production. J’insiste, tous ces boulots étaient horribles. Alors que je travaillais dans cette petite société de production à Detroit, l’un de mes amis m’a conseillé de jouer dans un film d’entreprise. Je me permets de préciser : les films d’entreprise constituent la plus grande part de la production audiovisuelle mondiale. Et de loin ! La quantité d’argent qui circule là-dedans est hallucinante. J’ai donc auditionné, car pourquoi pas ?

Je n’avais rien d’autre de sérieux à faire… et j’ai eu un rôle. J’ai tourné pendant une demi-journée, entre 8 h et midi. C’était pour General Motors, vu qu’on était à Detroit. Tout s’est bien passé, c’était super facile. Je n’arrivais pas à croire que mon après-midi était libre. Je suis rentré chez moi et le lendemain, j’ai retrouvé mon job d’assistant de production, en alternance avec mon boulot de plongeur. Et deux semaines plus tard, j’ai reçu un chèque. Je n’en croyais pas mes yeux : ce montant correspondait à deux semaines et demie de plonge, pour une demi-journée de travail ! Je me suis dit : « Je veux faire ça ! ». À partir de là j’ai commencé à prendre des cours de comédie.



L'officier Travis Hackett, protagoniste inquiétant du jeu vidéo The Quarry.


Vouloir gagner sa vie, ce n’est pas incompatible avec le talent ni avec la volonté de faire des bons films. Lance Henriksen a bâti sa carrière ainsi.

J’ai d’ailleurs retrouvé Lance très récemment sur le jeu The Quarry ! Je suis très fier de ma performance là-dedans et j’adore travailler avec Lance. Je l’avais croisé pour la première fois sur le plateau de Chasse à l’homme de John Woo. J’étais débutant à l’époque. Le revoir trente ans plus tard, c’était vraiment quelque chose. Il joue mon père dans le jeu. 


Avant Evil Dead 2, vous avez acquis une certaine expérience au théâtre.

Oui, à 20 ans, j’avais probablement joué dans une vingtaine de pièces différentes, dont une poignée de comédies musicales. J’avais pris des cours pendant un an et demi et mes professeurs étaient excellents. J’ai choisi un cours spécialisé dans le mouvement, que la plupart des étudiants regardaient de haut. Ils n’y voyaient aucun intérêt, car il s’agissait littéralement d’apprendre à bouger pendant un semestre entier. J’ai appris à modifier mon style de marche en fonction du rôle, à affecter psychologiquement le public grâce à ma posture. J’ai appris qu’on juge souvent les gens en se basant sur leurs gestes et j’ai trouvé ça fascinant.


Où dormiez-vous pendant le tournage d’Evil Dead 2 ?

On m’a logé dans un motel très bon marché, ce qui ne me gênait pas forcément. Après tout, je n’avais que 20 ans.


Vous êtes-vous longuement préparé avant d’interpréter cette vieille dame cadavérique ?

Je n’ai pas vraiment abordé Henrietta comme une vieille dame. Le maquillage de Mark Shostrom était tellement efficace que la vieillesse du personnage ne faisait aucun doute. J’ai surtout essayé de souligner sa féminité et je me suis beaucoup entraîné pour ça. Il y a peu de plans où on me voit marcher, en fin de compte, mais ça donne une vraie texture au film.



Henrietta, une deadite qui aimerait s'évader de sa cave (Evil Dead 2).


Votre apparition dans Darkman est particulièrement marquante. Le plan où votre personnage est écrasé par une voiture est incroyable.

Ce plan a été tourné au ralenti puis accéléré au montage. L’équipe a fermé un boulevard à Hollywood – à l’époque, on pouvait encore se permettre ce genre de choses. Je me souviens que mon frère Sam m’a expliqué la scène : « Ta tête va sortir de l’écoutille d’égout et ces voitures vont rouler tout autour de toi. Tu ne risques rien parce qu’elles vont rouler lentement et parce que ce sont des pilotes professionnels. ». « Attends, ma tête est au niveau du sol ? » « Oui, mais ce sont des professionnels. » Tous ces pilotes sont venus me voir pour me détailler leur procédure, mais ça ne m’a pas vraiment rassuré.

Juste avant le plan, j’ai dû descendre dans les vrais égouts de Los Angeles pour tourner la scène où Liam Neeson torture mon personnage. Alors que je prends mes marques, je vois un gars en costume orange avec un détecteur à la main. Il le tend dans tous les sens, me regarde et commence à grimper vers la sortie. Je l’interromps : « Excusez-moi. Que faites-vous ? ». « Oh, je vérifie s’il y a des gaz toxiques. » « Comment ça ? » « Eh bien, dans certaines bouches d’égout, il y a des gaz toxiques ou explosifs et je voulais juste voir si vous étiez en sécurité. » « Oh. Et je suis en sécurité ? » « A priori… » (rires)

Un peu plus tard, on a tourné le plan des voitures. Bien sûr, c’est la caméra qui me fonce dessus, pas un pneu. Et la dolly avançait à 5 km/h, donc je devais crier au ralenti !


Sur Darkman, vous avez également eu la chance de travailler avec Larry Drake.

Larry était un « actor’s actor ». En d’autres termes,il préférait le processus du jeu d’acteur au résultat final. C’est très inhabituel à Los Angeles, on voit plutôt ça dans le milieu du théâtre. Larry a vite compris que c’était un gros film pour moi, donc il a commencé à m’apprendre plein de trucs et astuces, des choses que les comédiens expérimentés semblent savoir, mais qu’on n’enseigne pas à l’école.

Par exemple, il m’a vu un jour lire un livre entre deux prises. Il m’a dit : « Ne fais pas ça. ». « Pourquoi ? » « Parce que la partie de ton cerveau qui te permet de te concentrer sur ton livre n’est pas du tout la même que celle qui te permet de jouer la comédie. Quand ils vont t’appeler soudainement, tu ne seras pas prêt. » « Oh. Comment je dois passer le temps entre les prises, alors ? » « C’est facile : fais des mots croisés ou joue aux échecs. Je peux même jouer aux échecs avec toi si tu veux. Ça fait appel à la même partie du cerveau qui te permet d’interpréter un personnage : c’est spatial, tu parles, tu réfléchis, tu anticipes les mouvements de l’autre et tu es prêt à tout. » Je n’y avais jamais pensé auparavant !

Il m’a aussi appris à ranger ma caravane le soir. Il m’a dit : « Ce n’est pas ta chambre. Quand tu retires ton costume le soir, tu ne le jettes pas sur le sol de la caravane pour te barrer à toute vitesse. L’équipe des costumes va devoir le récupérer pour le nettoyer. Mets-le sur un cintre, accroche-le correctement, assure-toi qu’ils sachent que tu respectes leur travail. Non seulement c’est la bonne chose à faire, mais en plus, ils te le rendront bien et feront en sorte que tes costumes soient toujours parfaits à l’écran. ». Il avait raison ! Il m’a tellement appris : comment se comporter avec les assistants-réalisateurs, comment gérer les interactions avec les caméramen, comment réagir quand on est en retard, et j’en passe.



Ted Raimi incarne dans Darkman un homme de main pleutre qui finira sous la roue d'un camion.


Juste avant Darkman, vous avez tourné dans Shocker de Wes Craven.

J’ai été embauché sur ce film juste après m’être installé à Los Angeles. Voilà comment ça s’est passé. À cette époque, je passais d’un canapé à l’autre grâce à la générosité de mes amis. Un jour, j’ai appelé un ancien copain de Detroit. Il était directeur artistique et il venait d’obtenir un job sur un gros film. Il connaissait le directeur du casting d’un film dont Wes Craven était le réalisateur. Il m’a demandé : « Tu voudrais passer une audition ? ». « Bien sûr ! »


Je repense souvent à ce moment et je me pose la question : est-ce que j’ai vraiment eu beaucoup de chance, ou est-ce que les choses étaient plus faciles à l’époque ? Sans doute un peu des deux… Les recommandations étaient les bienvenues, c’était bien plus personnel. J’ai donc eu ce directeur de casting au téléphone et il m’a demandé à quoi je ressemblais. C’était avant Internet ! Je lui ai dit que je faisais 1,80 m mais que je pouvais jouer des intellos et il m’a dit qu’il y avait peut-être un rôle pour moi. À la fin de la conversation, il m’a lancé : « Vous faites quoi à 3 h cet après-midi ? ». « Rien. » « OK, je vais passer vous chercher et je vais vous emmener voir Wes. »


Il vous a directement emmené voir Wes Craven ?

Oui, car il était vraiment à quelques semaines du tournage et il avait besoin de distribuer rapidement les derniers rôles disponibles. Donc à 15 h, je vois apparaître une Mustang convertible d’un rouge éclatant. Le type est typique de L.A., il a une chemise colorée, des lunettes de soleil… Six jours plus tôt, j’étais à Detroit, donc c’était encore très nouveau pour moi. Je m’installe dans la voiture, on fonce sur l’autoroute et je commence à flipper car je vais rencontrer Wes Craven.

Il faut se rendre compte d’une chose : à l’époque, aucun acteur ne voulait avoir un film d’horreur sur son CV. Ça a beaucoup changé : aujourd’hui tout le monde se bouscule pour être casté dans un film de David Cronenberg. Mais dans les années 80/90, l’horreur était juste au-dessus de la pornographie, et pas de beaucoup. Les acteurs supprimaient souvent les titres horrifiques de leur filmographie ! Ça les embarrassait.

Moi, je m’en foutais ; j’avais trop peu de films à mon actif pour pouvoir m’en passer. D’ailleurs j’ai même inventé de faux longs-métrages pour convaincre les directeurs de casting, et pour chacun, j’ai imaginé [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte