Bob Murawski : "Sam Rami et Rob Tapert ont exaucé mon rêve de travailler avec John Woo"

Très attaché au fantastique et à l’horreur (on l’a vu au générique de La Cité des monstres d’Alex Winter et Tom Stern, La Nuit de l’épouvantail de Jeff Burr ou encore Uncle Sam de William Lustig), Bob Murawski a monté la plupart des films les plus emblématiques de Sam Raimi depuis L’Armée des ténèbres. Également connu pour son travail sur Chasse à l’homme de John Woo ou Démineurs de Kathryn Bigelow, ce roi du découpage a accepté de participer à notre hors-série dédié à Evil Dead. Nous en avons évidemment profité pour le soumettre à l’exercice de l’interview carrière…

Vous êtes un vrai fan de cinéma d’horreur, n’est-ce pas ?

Oui, je l’ai toujours été. J’ai grandi en lisant des magazines comme Famous Monsters ou plus tard Fangoria. L’horreur est mon genre préféré et à l’adolescence, je ne regardais que ça. Quand je suis devenu monteur, j’ai eu la chance de participer à des projets très cool. J’ai été engagé sur pas mal de petits budgets à mon arrivée à Los Angeles, mais le premier gros film sur lequel j’ai travaillé, c’est Darkman de Sam Raimi.

J’avais vu Evil Dead à l’université, le jour de sa sortie, quand j’étais au lycée dans le Michigan. Plus tard, j’ai ouvert mon propre ciné-club à la fac et on a organisé une projection du film en 16 mm. On a eu beaucoup de succès car Evil Dead avait été produit par des étudiants de Michigan State University. J’étais donc un énorme fan du premier opus, mais beaucoup moins du second. (rires) Je mourais quand même d’envie de rencontrer Sam.

L’un de mes potes d’université avait bossé avec lui sur Evil Dead 2 et il a été engagé sur Darkman en tant que premier assistant-monteur. Il m’a fait venir sur le projet car ils avaient besoin de trouver des stock-shots pour les séquences où le héros est emporté par une rage incontrôlable. Vous savez, ces moments où on entre dans ses yeux, il y a des explosions, des éclairs et plein d’images très bizarres. J’ai monté toutes ces scènes.


Au début de L’Armée des ténèbres, une musique évoque Les Nerfs à vif de Bernard Herrmann. Avez-vous utilisé ce thème dans la piste temporaire ?

Je vois de quoi vous voulez parler. Je crois en effet qu’on a utilisé ce morceau. Globalement, il y avait beaucoup de Bernard Herrmann, de Jerry Goldsmith, de John Williams et même d’Ennio Morricone dans la piste temporaire. J’ai passé beaucoup de temps sur ce temp score et c’était d’ailleurs assez difficile à gérer à l’époque de la pellicule. Tout était sur la même piste : les dialogues, les bruitages et la musique.

La première version ne comportait que du dialogue et il fallait ajouter des éléments au fur et à mesure. Je me souviens que j’avais aussi utilisé des extraits de Hellraiser et Hellraiser 2 de Christopher Young (emprunts évidents dans la scène du cimetière – NDR). Des années plus tard, quand on a eu besoin de trouver un compositeur pour Intuitions, j’ai dit à Sam : « Eh, tu te souviens de la musique géniale qu’on avait dans L’Armée des ténèbres ? C’était de Christopher Young. On devrait l’appeler. ».

On a collaboré avec lui à de nombreuses reprises après ça. Chris est l’un des meilleurs compositeurs en activité à Hollywood, c’est un grand artiste ; c’est dommage qu’on l’entende de plus en plus rarement.



Bruce Campbell dans L'Armée des ténèbres.


Chris Young nous a envoyé des extraits des sessions de travail de Jusqu’en enfer et c’est absolument passionnant à écouter.

Jusqu’en enfer était un projet très cool et son score est fabuleux. La scène du parking a demandé beaucoup de travail : Sam l’a story-boardée méticuleusement et j’ai utilisé beaucoup de Morricone sur le temp score. Chris a composé un thème principal dantesque basé sur le violon tzigane.

Il s’est quand même fâché après moi quand il a vu la scène du parking… Pour ce moment où l’héroïne essaie d’attraper le levier de vitesses afin d’envoyer la voiture s’écraser contre le mur, il avait créé un morceau très élaboré. Sam et moi demandons toujours aux compositeurs des pistes séparées, une pour les cordes, une pour les cuivres, une pour les bois, une pour les percussions, afin d’avoir un peu plus de contrôle et de latitude au mixage. Si un effet sonore s’intègre mal, on peut baisser le volume des cuivres ou des cordes.

La bande sonore de cette scène était très chargée, j’ai donc décidé d’utiliser uniquement une ligne de basses isolée que je trouvais super cool ! (rires) Ç’a été très frustrant pour Chris, mais ça fonctionnait beaucoup mieux comme ça. Dans les années 90, on aurait dû enlever toute la musique. Aujourd’hui, au moins, on peut en garder une partie…

J’ai essayé de faire travailler Chris sur beaucoup de films, y compris sur Kong: Skull Island, où j’ai été engagé comme monteur additionnel, ou encore Godzilla II roi des monstres. Chris a rencontré chacun des deux réalisateurs, il a proposé des idées formidables, et pour une raison qui m’échappe, ils ne l’ont pas pris. Ces cinéastes plus jeunes sont attirés par d’autres styles.

Regarder Chris travailler avec un orchestre, c’est quelque chose de fascinant. S’il est confronté à un problème, il va par exemple suggérer de remplacer le cor par une clarinette pour rendre la mélodie plus douce. Il a toujours des solutions immédiates. Et franchement, j’adore ses mélodies.

C’est un art en voie de disparition, car les jeunes compositeurs ne composent plus de mélodies. Les scores sont de plus en plus atonaux, ils finissent même par se rapprocher du sound design.

Ça me rappelle mon expérience sur Démineurs. J’avais essayé d’amener Chris avec moi, mais Kathryn Bigelow a préféré engager Marco Beltrami. Il est plutôt doué, mais son score ressemblait vraiment à du sound design. L’approche de Chris aurait été très différente.


Vous avez travaillé avec John Woo sur Chasse à l’homme, produit par Sam Raimi et Rob Tapert.

Sam et Rob ont développé le projet avec le scénariste Chuck Pfarrer, qui avait travaillé sur Darkman.

Ce sont eux qui ont eu l’idée d’engager John Woo à la réalisation. Contrairement à ce que prétendent les rumeurs, Sam n’a jamais été envoyé sur le tournage pour surveiller John.



Alison Lohman et Lorna Raver dans Jusqu'en enfer.


Comment aviez-vous découvert le cinéma de Woo ?

J’avais vu Le Syndicat du crime 1 et 2 des années plus tôt. C’est Quentin Tarantino qui me les avait montrés, quand on traînait pas mal ensemble. Ensuite j’ai découvert Une balle dans la tête par moi-même.

The Killer a eu droit à une sortie en salles et je suis allé le voir plusieurs fois. J’étais un énorme fan de John et je n’aurais jamais imaginé pouvoir travailler avec lui un jour. Sam et Rob ont exaucé mon rêve avec Chasse à l’homme.


Avez-vous assisté au tournage ?

Oui, j’étais tout le temps à La Nouvelle-Orléans. Nous avions installé une salle de projection dans notre hôtel pour regarder les rushes chaque soir. C’était époustouflant. Sur Chasse à l’homme, Sam avait convaincu John d’utiliser des story-boards, ce qu’il n’avait jamais vraiment fait auparavant. Il a engagé un artiste du nom de Doug Lefler, qui avait déjà participé à Darkman et L’Armée des ténèbres.

Je tiens à préciser que John est très bon pour filmer à plusieurs caméras. Il est capable de filmer des séquences très élaborées sous différents angles, d’une manière que je n’avais encore jamais vue ailleurs. Chaque axe est traité comme une caméra A, que ce soit au niveau du placement, du blocage ou de la chorégraphie. Ces caméras bougent en même temps, avec deux ou trois équipes séparées.

John faisait toujours attention à pouvoir couper facilement de l’une à l’autre, et il faisait en sorte qu’une caméra n’entre jamais dans le champ de l’autre. On a aussi eu la chance d’avoir Russell Carpenter comme directeur de la photographie, qui a ensuite tourné True Lies et Titanic.


Que s’est-il passé exactement entre John Woo et le studio ?

Les influences principales de John sont Sam Peckinpah et Martin Scorsese, c’est-à-dire des cinéastes américains. Ses effets de ralentis viennent directement de La Horde sauvage ! Je n’ai pas eu de mal à m’adapter à ça car je connaissais bien son œuvre.

Malheureusement, le studio a perçu ça comme un style hongkongais et ils ont utilisé cet argument contre nous. Ils disaient que le public américain n’allait pas aimer ces effets typiques du cinéma de Hong Kong et qu’il fallait enlever les ralentis et les fondus. C’était tellement raciste et ignorant de leur part !


Une version pirate s’échange depuis des années sous le manteau et elle est beaucoup plus longue et violente.

Quelqu’un l’a volée sur ma table de montage.

Je vous confirme que cette version est beaucoup plus représentative de ce qu’on voulait faire avec Chasse à l’homme. Ce n’était en aucun cas un director’s cut, mais c’était meilleur que la version finalement sortie en salles. Le studio et Jean-Claude Van Damme nous ont mis des bâtons dans les roues et se sont ligués contre John.



Jean-Claude Van Damme en mode balayette dans Chasse à l'homme de John Woo.


Van Damme également ?

Il voulait que Chasse à l’homme soit un carton.

Il prétendait être un fan de John Woo mais quand il a entendu les exécutifs dire que les Américains n’aimeraient pas ce style, il est devenu leur allié. Il a insisté pour qu’on fasse quelque chose de plus générique et standardisé. Et bien sûr, il voulait plus de plans de lui dans le film et plus de coups de pied. Il se croyait encore dans une production Cannon.

À un moment, le studio a pris les commandes et ils ont commencé à éliminer tout ce que John aimait – par exemple, Lance Henriksen en train de jouer du piano. JCVD allait voir toutes les projections-tests et dès que le public appréciait quelque chose qui n’était pas lié à son personnage, il nous demandait de le supprimer. Des scènes avec Lance ou Wilford Brimley ont été raccourcies pour cette raison.

Il manquait tellement de confiance en lui et il avait un tel ego, c’était dingue. Il en est devenu méchant et manipulateur, et ça a fini par ruiner le film.

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