Ben Wheatley : "'En eaux très troubles' n'est pas un Marvel, il a un côté plus col bleu à la Howard Hawks"

Si la filmographie de Ben Wheatley a régulièrement alterné microproductions tournées avec sa famille cinématographique et budgets plus confortables, son arrivée aux commandes du blockbuster estival En eaux très troubles marque un changement de paradigme assez vertigineux dans sa carrière. C’est avec une certaine sérénité – et un grand professionnalisme corollaire à ses nouvelles responsabilités (non dénué de petits sourires taquins) – qu’il revient sur cette expérience.

Avez-vous déjà le recul pour jauger si En eaux très troubles s’accorde avec votre filmographie ou s’il s’agit d’une œuvre à part ?

Ce n’est pas à moi de le dire, même si je vois des correspondances avec Free Fire dans la façon d’appréhender l’action. Avec Kill List, j’ai eu l’impression de signer l’un des films les plus déprimants du monde, et depuis, j’ai plutôt développé des productions plus amusantes, moins démoralisantes. En eaux très troubles s’inscrit dans cette volonté.


À la revoyure, Kill Listvieillit terriblement bien.

Ça va faire un moment que je ne l’ai pas revu. Il y a eu une projection d’English Revolution il y a quelques mois pour le dixième anniversaire du long-métrage, et j’ai été surpris par son caractère extrême ; les films de cette époque-là étaient plutôt tarés. (rires) J’en arrive au stade où je peux les regarder avec distance, parce que je ne me rappelle plus du tournage ; je peux être surpris que telle scène ou tel effet soit réussi. 


La réalisation d’un blockbuster comme En eaux très troublesfaisait-elle partie de vos objectifs ?

Complètement. Bien sûr, c’est le plus gros budget de ma carrière, mais c’est aussi le projet le plus complexe sur lequel j’ai travaillé. La préproduction a été colossale : je crois qu’il y a eu quelque chose comme 5000 story-boards, les tests pour les animatiques ont pris beaucoup de temps… C’est un aspect de la production que j’ai trouvé fascinant. Après, le tournage s’est étalé sur quatorze semaines, et j’avais l’impression de vieillir à vue d’œil. (rires)

Quand les prises de vues prennent une quinzaine de jours ou un mois, il est possible de garder l’énergie nécessaire en continu. Mais ce type de production est tellement imposant que vous devenez vraiment une personne différente en bout de course. Le rythme est très particulier, surtout pour tout ce qui concerne l’action. Tout prend énormément de temps, mais il faut néanmoins savoir être réactif. Vous discutez avec un animateur à partir du story-board, et un an plus tard, vous vous retrouvez avec le rendu, et si vous avez pris une mauvaise décision, elle revient vous hanter dans le feu de l’action. Il faut garder une vue d’ensemble.



Ben Wheatley (à gauche) supervise une prise de vue sur le tournage d'En eaux très troubles.


Vous avez toujours travaillé avec des collaborateurs récurrents, aussi bien devant que derrière la caméra. Peut-on s’attendre à voir apparaître Michael Smiley ou Neil Maskell au détour d’un plan ?

Rob Entwistle s’est occupé du mixage sonore de la plupart de mes films, celui-ci y compris. Il y a aussi la scripte, Anita Christy, qui m’a accompagné sur de nombreuses productions, ou Jonathan Amos, qui avait monté Rebecca. Pour ce qui est du casting, généralement, chaque fois que je tourne un film, il y a au moins un interprète du film précédent pour faire un lien, et là, c’est la première fois que je déroge à la règle. 


Les premiers échos sur le script de cette séquelle reviennent tous sur un ton annoncé comme plus sombre, alors que les premières images promotionnelles insistent sur l’aspect comique. Qu’en est-il ?

Le film original mélange la tension et la comédie, les deux tonalités s’équilibrent l’une l’autre. Ce type de production ne peut pas reposer uniquement sur la tension, il faut relâcher la pression pour que ça reste efficace. En eaux très troubles repose sur la même approche, il n’y a pas de franche démarcation. C’est ce qui a fait que le premier film a remporté un tel succès : quand on regarde la répartition démographique de son public, il plaît à toutes les tranches d’âge.


Que pensez-vous des blockbusters contemporains, et où situez-vous En eaux très troubles dans ce panorama ?

Je les vois tous. Je suis à la fois fan de Tarkovski et de Terminator. L’éditeur Criterion a aussi bien sorti des coffrets Bergman que des coffrets Godzilla, ce qui montre bien qu’il n’y a pas de raison de différencier ces expériences. Cela dit, En eaux très troubles n’est pas non plus un Marvel : le film a un côté plus col bleu à la Howard Hawks, avec des personnages de profess [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte