Interview : Alexandre Aja réalisateur, scénariste & producteur

Array

Avant de parler de Crawl, revenons un peu en arrière pour nous intéresser à la sortie de Horns. Quel était ton état d’esprit après ce film que d’aucuns considèrent comme très réussi, mais dont le succès en salles n’a pas été au rendez-vous ? 

J’ai toujours ressenti une sorte de connexion avec ce film, qui était très éloigné de tout ce que j’avais pu faire auparavant. Aujourd’hui encore, ça reste l’un de mes films préférés, celui que j’arrive à revoir presque en entier. Après la sortie de Horns, l’adaptation de Cobra était encore dans les tuyaux, donc on s’est concentrés là-dessus avec Greg (Grégory Levasseur – NDR), même si j’avais beaucoup d’autres projets en développement. Mais c’est toujours la même chose dans ces moments-là : on écrit et développe tout un tas de projets avec l’envie de les tourner, mais on se confronte aux contraintes d’une industrie, d’un marché ou d’une envie. Les films naissent toujours d’accidents ou de rencontres qui rendent les choses possibles. Dans le cas de Horns, on a eu la chance de bénéficier à la fois d’un livre génial et d’un acteur motivé. Toutes les planètes se sont donc alignées pour que le film se fasse immédiatement. Pareil pour La 9e vie de Louis Drax : il y a eu un concours de circonstances similaire, même si le film a eu très peu d’écho. Cette « non-sortie » m’a personnellement fait beaucoup de mal, car j’étais très frustré d’avoir signé un film – que je considère comme assez réussi – et de ne pas pouvoir le montrer au public parce que la boîte qui l’avait produit, Miramax, avait été vendue entre-temps aux Qataris de beIN Media Group. Ces derniers n’avaient aucune envie de sortir le film et voulaient passer à autre chose. Une expérience assez difficile à vivre donc, à l’instar de Horns qui avait aussi été monté dans un système dit indépendant. Un système où il faut ensuite vendre le film à des distributeurs, ce qui implique énormément de circonstances positives, qui n’ont souvent rien à avoir avec la qualité de l’oeuvre. Quand on a présenté Horns à Toronto, l’accueil a été excellent et on a fait l’une des plus grosses ventes du Festival. Malheureusement, les Weinstein ont eu la bonne idée de le sortir en VOD un mois avant son arrivée dans les salles, ce qui a tué son exploitation. Les expériences de Horns et Louis Drax m’ont permis de me frotter au système du cinéma indépendant, qui m’a un peu fait regretter le fonctionnement de studios comme la Fox ou Paramount. Ces majors ont un contrôle beaucoup plus global de la sortie d’un film et, de fait, leurs méthodes s’avèrent beaucoup plus efficaces pour toucher le public. 


Pourquoi Crawl te semblait-il être le projet idéal pour revenir au film de terreur animale après Piranha 3D ? Les deux films ont visiblement des tonalités très éloignées…

On vit une époque où les films de genre connaissent un essor d’autant plus incroyable qu’il ne semble pas près de s’arrêter, alors qu’on aurait pu s’attendre à un creux similaire à celui qui a eu lieu pendant les années 90. Mais les films de genre remportent toujours du succès, à tel point que je me suis mis à ressentir le besoin de revenir au film de terreur, car cela me donnait la possibilité de renouer avec une histoire à suspense. Crawl était le projet idéal pour ça. C’est drôle, mais je pense que le film est plus proche de Haute tension que de Piranha 3D, car on est vraiment dans l’univers du home invasion en temps réel, sauf que le tueur a été remplacé par une tempête, de l’eau et des alligators. Crawl n’est pas un film de monstre à la Piranha 3D, quelque chose de potache à la limite du plaisir coupable, mais un film ultra sérieux. Ce qui ne l’empêche pas de rester fun, car on y trouve une accumulation de situations qui partent en couilles les unes après les autres. Chacune des décisions des personnages aboutit constamment à un nouveau problème qu’ils doivent ensuite résoudre. J’espère être parvenu à créer un sentiment d’épuisement – au bon sens du terme – pour le spectateur lorsque les lumières de la salle se rallumeront. 


Quelles ont été tes contributions au script original ? En voyant le CV des scénaristes, on se dit que le projet était sans doute conçu à l’origine comme un DTV lambda, non ? 

Je ne suis pas crédité sur le scénario – c’est la même situation injuste que sur Piranha 3D – alors que j’ai bossé des mois sur le script et que je l’ai fondamentalement modifié. Tout a commencé quand le producteur Craig Flores m’a envoyé un script dont le pitch était extrêmement efficace : « Une jeune femme doit sauver son père lors d’un ouragan de catégorie 5, alors que l’eau est infestée d’alligators. ». Bien qu’extrêmement succinct, ce résumé était pour moi une évidence. Je n’ai pas eu le temps de lire le scénario, que j’ai reçu un vendredi, mais je n’ai pas arrêté de songer à ce pitch durant le week-end. C’était à l’époque où on bossait avec James Wan sur un autre projet intitulé Smart House, un film de maison connectée très complexe. Et là, je me retrouvais devant une histoire dont la simplicité et l’efficacité m’ont vraiment interpellé. C’est d’ailleurs étrange que personne ne l’ait déjà fait… Quand j’ai lu le script de Crawl, j’ai été un peu déçu, car toute l’histoire se déroulait dans le soubassement d’une maison. Il n’y avait qu’un seul alligator et les personnages n’étaient pas très bien écrits… C’était vraiment poussif et ça ressemblait à un film d’horreur pour Netflix. Reste que j’avais tellement fantasmé sur le synopsis que je suis revenu vers le producteur en lui disant : « J’adore le point de départ, mais je veux revoir l’intégralité du script pour n’en garder qu’une vingtaine de pages. ». J’ai donc « cassé » le huis clos du scénario original pour que l’intrigue ne se limite pas seulement à la maison, mais à toute la zone frappée par la tempête, ce qui a donné plus d’ampleur à cette histoire de survie intimiste. Le projet a donc gagné en ambition pour, je l’espère, aboutir à quelque chose de plus efficace.


Sam Raimi est ici crédité en tant que producteur. Comment la connexion s’est-elle faite ?

Mon histoire avec Sam remonte à loin, puisque nous nous sommes croisés lors de mon arrivée aux États-Unis avec Greg. À cette époque, on avait le choix entre réaliser La Colline a des yeux pour le compte de Wes Craven ou Scarecrow pour Sam Raimi. Un film qui est devenu ensuite…Les Messagers, réalisé par les frères Pang. Oui, c’est ça. Avec Greg, on a beaucoup débattu pour savoir si on devait signer avec Wes Craven ou Sam Raimi. On a fini par choisir le premier, car La Colline… nous semblait plus proche de notre style. En plus, on pouvait y apporter notre touche en rédigeant le script, là où celui de Scarecrow était déjà écrit. Sur La Colline… on pouvait tout réinventer, alors on a choisi ce projet et on a écrit une petite lettre à Sam pour le remercier de sa proposition. On lui a dit qu’on était désolé et qu’on espérait que nos chemins se croiseraient à nouveau un jour. Finalement, il aura fallu attendre Crawl ! Quand on a commencé à préparer le film, on travaillait pour un distributeur et des financiers différents, et tout s’est arrêté d’un coup. On est donc allés chercher Sam pour qu’il nous aide à monter le projet chez Sony, avec qui il avait des atomes crochus, et il a tout de suite accepté. Il était enthousiaste et nous a même ressorti la lettre qu’on lui avait envoyée à l’époque. C’était une attention très sympa… Finalement, on s’est retrouvé chez Paramount qui avait vraiment envie de faire le film. À ce titre, l’expérien [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte