Interview : Alexandre Aja réalisateur & producteur

Le réalisateur de Haute tension nous parle des bienfaits des budgets moyens et explique sa méthode pour transformer un pitch lambda en idéal de série B. Et confirme qu’en dépit d’un produit fini ultra solide et cohérent, le tournage de son Crawl n’a pas été de tout repos.
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Il est de plus en plus rare de voir en salle de pures séries B de plus de 15 millions de dollars. On voit plutôt débarquer des productions à 5 millions à la Jason Blum, ou bien du « elevated genre », qui vise les festivals et un public un peu plus « alternatif ». Dans ce contexte, comment fait-on exister un film comme Crawl ?

C’est l’un principaux problèmes du cinéma hollywoodien actuel. Lorsque j’ai commencé à faire des films aux États-Unis, avoir un budget situé entre 10 et 20 millions était assez commun, c’est ce que l’on appelait les « budgets moyens ». Et c’est un chiffre fabuleux. Quinze millions de dollars, ça semble énorme pour la France, mais il faut se dégager de cette perspective hexagonale et penser avant tout en termes de jours de tournage. Pour un film à 15 millions, on peut envisager 40 jours. Un film Blum à 5 millions, si on le tourne aux États-Unis, c’est 20 jours de tournage, 23 au mieux. Ça peut même descendre jusqu’à 15. Si on tourne un petit budget à l’étranger, comme Pyramide ou The Door, on peut remonter à 30. Mais faire des films de suspense, ça sous-entend souvent un certain type de découpage, de mouvements de caméra, de qualité d’image… Et sur ces films à 5 millions, c’est très difficile d’obtenir ce résultat. Pour mieux comprendre, il suffit de comparer Conjuring : les dossiers Warren à Insidious. D’un côté, on a un film de studio à l’ancienne, et de l’autre, un film Blumhouse. On voit tout de suite la différence de qualité et de finition. Avec l’arrivée des Paranormal Acticity et des Insidious, les studios se sont dit qu’ils pouvaient faire leurs films pour 5 millions. Personnellement, si j’ai trouvé sympathique le dernier Halloween – qui a certes coûté dans les 10 millions –, je préfère le Rob Zombie, qui en plutôt coûté 15. La différence artistique se fait ressentir. De mon côté, j’ai continué à faire des films situés dans cette enveloppe de 15 milllions, que ce soit sur La Colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D, Horns ou La 9e vie de Louis Drax, je suis toujours entre 12 et 25 millions. Je trouve que c’est une fourchette idyllique. Je me souviens d’une interview d’Adrian Lyne que j’avais lue ado, et dans laquelle il disait que cela ne l’intéressait pas de tourner des gros budgets, car l’enveloppe de 15 millions permettait finalement de faire n’importe quel type de film. Il avait raison. C’est un chiffre magique : en étant un peu malin, on peut tout faire. Et les notions d’auteur et de point de vue artistique peuvent exister sans que le studio ne prenne trop de risques. Heureusement, ce type de budgets est doucement en train de revenir… grâce à la même personne qui les avait fait « disparaître » ! J’ai dîné avec James Wan il y a quelques années et je lui avais dit qu’il nous avait tous mis dedans avec son Insidious à 1 million. Mais le plus drôle, c’est que lui-même en a pâti, car dès qu’il avait un projet, les producteurs voulaient qu’ils le fassent… pour 1 ou 2 millions. En même temps, c’est aussi grâce à lui qu’on peut à nouveau faire des films d’horreur avec des budgets un minimum conséquents, puisqu’après Insidious, il a eu l’idée géniale de faire Conjuring, qui a de nouveau prouvé qu’on pouvait avoir un énorme succès avec des budgets « moyens ». Dernièrement, les studios reviennent vers ces montants-là en ce qui concerne les films d’horreur, avec des films comme Simetierre ou Sans un bruit. Ce qui est une très bonne chose.


Tu nous expliquais le mois dernier n’avoir gardé qu’une vingtaine de pages du scénario original de Crawl. La dynamique père/fille était-elle déjà présente dans ces pages ? 

En fait, je n’ai pas gardé vingt pages : nous avons condensé le scénario original en une vingtaine de pages. La première version versait beaucoup plus dans le sensationnel et le cliché hollywoodien. Je voulais quelque chose de plus simple, et j’ai effectivement développé cette relation père/fille. Le père trouve un sens à sa vie en devenant le coach de sa gamine nageuse, c’est quelque chose de très américain : quand un enfant a un talent, la famille mise tout dessus. Haley reproche à son papa d’avoir été dur et de l’avoir poussée à devenir nageuse professionnelle, mais d’un autre côté, c’est ce qui va lui permettre d’affronter la situation dans laquelle elle est projetée. De son côté, le père culpabilise d’avoir sacrifié autant de moments avec sa famille pour entraîner sa fille. Cette relation a été ma plus grande problématique pendant la fabrication du film. J’essaye de ne jamais me focaliser sur ce que les gens ont envie de voir, mais plutôt sur ce que moi j’ai envie de voir en tant que spectateur. Mais pour Crawl, j’ai été confronté à un conflit entre le spectateur que je suis aujourd’hui et celui que j’étais lorsque j’avais 15 ans : les deux n’ont pas forcément les mêmes envies. L’adolescent en moi ne [...]

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