HOMMAGES : Umberto Lenzi

Au festival Offscreen de Bruxelles où il était invité en 2012, nous avions rencontré ce stakhanoviste du cinéma bis italien, auteur de remarquables thrillers et polars, et aussi de films de cannibales qu’il reniait avec véhémence. Souvenirs d’un homme qui n’avait vraiment pas la langue dans sa poche.
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Cet article est également dédié à la mémoire de Wim Castermans, pilier irremplaçable du festival Offscreen.

Il ne criera plus. Umberto Lenzi s’est éteint le 19 octobre dernier, nous laissant en héritage quelques 65 longs-métrages réalisés. Et réalisés à grands coups de gueule, tous les témoins s’accordant sur les hurlements homériques qu’il poussait sur les plateaux. Il ne s’était d’ailleurs guère amendé quand nous l’avions rencontré lors de l’édition 2012 du festival Offscreen de Bruxelles, où son caractère fantasque avait pas mal décontenancé les organisateurs. En effet, il pouvait piquer une énorme crise de colère et, la minute d’après, adopter une attitude de vieux gentleman, ce qui faisait de lui un homme aussi difficile qu’attachant. L’entretien que nous avons alors recueilli (et dont vous trouverez des extraits plus loin) a ainsi été un brin laborieux, et nous le compléterons donc par des anecdotes que ce grand bavard nous a racontées en off et que nous citerons de mémoire.


LE CRI DE L’AVENTURE
La première concerne ses débuts. Bien que diplômé de la grande école de cinéma italienne (le Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome) dans les années 50, le jeune Umberto échoue à entrer dans la profession et s’en retourne dépité dans sa Toscane natale. C’est là qu’un ami du métier lui donne une seconde chance, en lui offrant un poste d’assistant sur un long-métrage de cape et d’épée tourné dans la région. Ayant enfin le pied à l’étrier, l’impétrant renouvelle plusieurs fois l’expérience jusqu’au jour où, le réalisateur attitré étant malade, il se retrouve à diriger un long-métrage pratiquement seul. Les dés du destin sont donc jetés lorsque les producteurs se font projeter un prémontage du film. Il faut en effet savoir que le cinéma italien de ces années-là, à cause de ses castings cosmopolites, était toujours postsynchronisé : sur le plateau, on enregistrait juste un vague son-témoin mêlant les dialogues et les coups de marteau donnés sur le décor voisin. C’est ainsi que les pontes à gros cigare découvrent une copie de travail où résonnent sans cesse les vociférations d’un Lenzi commandant les foules de figurants ! Aussitôt conquis par ce jeune braillard qui sait apparemment mener sa barque, ils vont le bombarder réalisateur officiel de bandes répondant à tous les genres de l’action en costumes : films de pirates, cape & épée, péplums, aventures exotiques, etc.
Dans cette première période, surnage avant tout Sandokan, le tigre de Bornéo (1963), énorme succès public qui passe en boucle à la télé italienne depuis un demi-siècle. Il s’agit d’une adaptation (ce ne sera pas la dernière) d’une oeuvre d’Emilio Salgari, sorte d’Alexandre Dumas transalpin qui s’était fait une spécialité des sagas anticolonialistes narrant la résistance des Malais face à l’occupant britannique. Et papy Umberto de nous raconter les astuces utilisées pour donner à cette série B les allures d’une superproduction. Par exemple, telle scène de débarquement naval accole des champs et contrechamps qui ont en fait été tournés à des milliers de kilomètres de distance, à savoir à Ceylan et… sur une plage non loin de Barcelone. Le tout, on l’imagine, sous les beuglements d’un réalisateur criant aux figurants enturbannés de se remuer ! D’ailleurs, même s’il se pliera ensuite à toutes les modes successives du cinéma bis italien – espionnage à la 007, westerns, histoires de super-criminel, et ainsi de suite –, Lenzi restera toujours fidèle à une certaine conception du cinéma d’aventure à l’ancienne.
Au tout début des années 90, il profitera ainsi du tournage au Brésil d’un film de zombies d’ailleurs assez sympa (Demoni 3) pour mettre parallèlement en boîte un Caccia allo scorpione d’oro. Mais ce titre devenu rarissime n’aura aucun écho, et le cinéaste reconnaissait lui-même que ce genre de petite bandes d’aventure n’avait désormais plus sa place sur le marché, ce qui l’avait poussé à se retirer peu après. Il y a cependant eu d’autres raisons à cette retraite du cinéma, pendant laquelle il s’est reconverti en écrivain de polars comme on le verra plus loin. Entre autres, Lenzi pestait sans cesse contre la généralisation des moniteurs vidéo sur les tournages. Selon lui, cela poussait les maquilleurs, coiffeurs et autres membres de l’équipe à donner leur avis sur chaque plan et à réclamer éventuellement des prises supplémentaires. Voilà qui ne pouvait que heurter ce farouche partisan d’une vision traditionnelle où le réalisateur tout-puissant est le seul maître à bord.




GORE OU GUERRE ?
Une autre chose dont Lenzi ne voulait pas entendre parler, c’étaient ses films d’horreur. Au festival Offscreen, il tiendra toutefois à dire au public que L’Avion de l’apocalypse (Incubo sulla città contaminata, 1980), avec ses zombies/vampires surexcités, constitue la première apparition d’infectés à l’écran – ce qui n’est pas faux, même si le résultat est quand même assez croquignolet. Mais il refusera absolument de présenter la séance du très gore et très absurde Cannibal Ferox (1981). Pourtant, il avait lui-même fondé le genre anthropophagique en tournant, bien avant les premiers efforts de Deodato, le séminal Cannibalis – au pays de l’exorcisme (Il Paese del sesso selvaggio, 1972) sur lequel il avait un avis mitigé. « J’ai eu tous les moyens nécessaires sur ce film, comme l’autorisation d’utiliser le train qui traverse le pont sur la rivière Kwaï » se souvenait Lenzi. « Nous étions en effet financés par un richissime playboy italien qui faisait de l’import-export à Singapour, et avait donc une grande autorité dans la région. Il y avait en outre un coproducteur thaïlandais, qui était propriétaire de toute une chaîne de cinémas à Bangkok. Ces derniers passaient alors Soleil rouge avec Alain Delon et Charles Bronson, qui était un énorme succès. Il allait ainsi prendre la recette dans les salles, pour payer notre équipe et les dépenses courantes. Cependant, quand on m’a appelé, le scénario avait déjà été écrit par Francesc [...]

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Commentaire(s) (1)
Delabro
le 22/12/2017 à 15:11

Je l'ai rencontré a Off screen en 2012. Il était lunatique, il était resté plus longtemps a la librairie piola libri discuté et faire des dédicaces avec nous, au lieu d'aller faire la présentation d'un film, car il s'était prit le bec avec les organisateurs du festival. Ils avaient projeté la version Us de brigade spécial... Et non la sienne. Lenzi pour moi c'est le réalisateur le plus représentatif du cinéma populaire italien. Il a fait de tout les genres.

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