Hommage : Rutger Hauer
1981. Les fans de Rocky se précipitent pour aller voir Les Faucons de la nuit, un polar urbain où Sylvester Stallone porte la barbe et se déguise en femme pour piéger des voyous. Il faut dire que le reste du casting donne envie : on y croise Lando Calrissian, Super Jaimie et la belle Ilia de Star Trek, le film avec des cheveux. Et aussi un inconnu dans le rôle du terroriste que traque Sly : il est Hollandais, il s’appelle Rutger Hauer et son personnage a pour nom Wulfgar. Un patronyme qui claque, tout comme sa prestation magnétique, qui éclipse celles de ses partenaires. On n’a plus qu’une hâte : revoir le bonhomme dans un autre film. Ce qui ne tardera pas : on le retrouve dès l’année suivante à l’affiche de Blade Runner, pour lequel il a refusé le rôle principal du Bateau de Wolfgang Petersen. Une fois de plus, il dévore littéralement l’écran et s’impose comme la figure la plus marquante du futur classique de Ridley Scott : la scène où il exécute son créateur en lui enfonçant ses pouces dans les yeux traumatise par sa violence, et celle de sa mort donne l’impression d’assister aux derniers instants d’un dieu venu de l’Olympe, qu’il rend inoubliables en délivrant un monologue shakespearien (on apprendra plus tard qu’il l’a écrit lui-même). Dès lors, on ne va plus voir un film avec Rutger Hauer, mais un film avec Rutger. Eh oui, c’est comme ça : on l’appelle par son prénom parce qu’il n’y en a qu’un comme lui.
LA COUR DES GRANDS
Les années 80 sont les grandes glorieuses de Rutger, qui a passé son enfance aux Pays-Bas sous l’occupation nazie avant de s’engager dans la marine marchande et l’armée, puis de devenir saltimbanque dans des troupes de théâtre itinérantes. Blade Runner a fait de lui une star et on le retrouve en 1983 en journaliste de télévision plongé dans une sordide affaire d’espionnage entre la CIA et le KGB dans l’excellent Osterman Weekend, le chant du cygne de Sam Peckinpah. Un an plus tard, c’est devant la caméra de Nicolas Roeg qu’il fait merveille, en play-boy accusé de meurtre dans le magnifique Eureka, mais le film n’est exploité en France qu’en VHS. Même punition pour le sympathique Une race à part de Philippe Mora. Rutger y incarne un vétéran du Vietnam réfugié sur une île dont il protège la faune locale des braconniers tout en draguant Kathleen Turner, jusqu’à ce que Powers Boothe débarque pour piquer les oeufs d’une espèce d’aigle en voie de disparition. L’année 1985 marque un tournant dans la carrière de l’acteur : sacré preux chevalier par Richard Donner dans le superbe Ladyhawke, la femme de la nuit, où il se métamorphose en loup tandis que Michelle Pfeiffer se transforme en faucon, Rutger trouve son plus beau rôle avec celui du mercenaire Martin dans La Chair et le sang, le chef-d’oeuvre barbare de Paul Verhoeven. C’est aussi à cette époque qu’on découvre la filmographie du cinéaste en France, et par extension ses précédentes collaborations avec l’acteur. Sculpteur libertin dans Turkish Delight, protecteur d’une prostituée dans Katie Tippel, résistant face à l’envahisseur nazi dans Soldier of Orange, champion de motocross dans Spetters : le comédien est un véritable alter ego pour Verhoeven, qui avait lancé sa carrière en faisant de lui une vedette de la télévision hollandaise grâce à la série médiévale Floris. L’occasion de constater que Rutger n’avait pas attendu d’arriver aux États-Unis pour faire montre d’un talent assez prodigieux. Seulement voilà : depuis Ladyhawke, sur lequel il avait d’abord été choisi pour jouer le rôle du méchant, Rutger n’a plus envie de jouer les bad guys et ne se prive pas de le faire savoir à Verhoeven sur le plateau de La Chair et le sang, où il fait tout pour rendre son personnage de pillard violeur plus positif qu’il ne l’est sur le papier. Au terme d’un tournage tendu comme une arbalète, les deux hommes se fâchent. Ils ne s’adresseront plus la parole pendant de longues années et ne retravailleront plus jamais ensemble, en dépit des tentatives de Verhoeve [...]
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