Hommage : Ringo Lam

Grand ordonnateur de personnages torturés, défaitistes et prisonniers d’un système corrompu, Ringo Lam nous a laissé orphelins le 28 décembre d’une révolution stylistique personnelle, encore timide, qui s’annonçait passionnante.
Array

Quelques images d’Épinal viennent instantanément en tête à l’aficionado éploré lorsque les notifications nécrologiques ajoutent in extremis le nom de Ringo Lam à la cuvée 2018. Des scènes de night-club aux néons qui puent la tristesse. Des flics abattus, par des balles perdues ou par l’impuissance. Des amitiés à l’intensité quasi amoureuse. Des explosions de voiture, des incendies. Des films empreints d’un spleen incurable, aux nombreux morceaux de bravoure et en même temps difficiles à circonscrire à une seule scène. Un élan souvent contrarié, forcé d’ouvrir son champ d’observation à la vaine agitation du monde alentour, non sans professionnalisme et humilité. Dans le grand bingo des cinéastes hongkongais d’avant la Rétrocession, Ringo Lam passerait presque pour l’effacé de la bande. Moins flamboyant que John Woo, moins rentre-dedans que Kirk Wong, moins foutraque que Ronny Yu, moins éparpillé façon puzzle que Tsui Hark… Ses films véhiculaient systématiquement une noirceur existentielle, fut-elle insidieuse sous les apparats du divertissement de masse. De façon on ne peut plus logique, le style discret de Ringo Lam s’épanouissait surtout dans le polar, qu’il détournait de ses modes opératiques pour sonder l’âme de ses personnages. Aussi loyal et désenchanté que ses héros de prédilection, il s’entourait de techniciens et de comédiens dévoués, toujours déterminés à donner le meilleur d’eux-mêmes, des seconds couteaux toujours impeccables (les fidèles Tommy Wong et Roy Cheung) aux têtes d’affiche (Chow Yun-Fat, Simon Yam ou Danny Lee), prêtes à déployer une humanité bienvenue en plein déchaînement de violence. Signe qui ne trompe pas quant à la capacité du metteur en scène à canaliser les énergies, Ringo Lam fut l’unique réalisateur issu de la péninsule hongkongaise à dompter par trois fois l’ouragan Jean-Claude Van Damme, dans deux explorations aussi fascinantes que bancales de son altérité (Risque maximum et Replicant), et dans ce qui reste l’un de ses meilleurs rôles dramatiques (In Hell). 



MAKA CAMÉLÉON
Ringo Lam se destine dans un premier temps à une carrière de comédien. Il fréquente dans ce but la même école que Chow Yun-Fat, avec lequel il se lie d’amitié. Après de multiples petits boulots, il accepte en 1983 la proposition du producteur/acteur Karl Maka : remplacer au pied levé (et pour une bouchée de pain) Po-Chih Leong à la réalisation de la comédie fantastique Esprit d’amour. Aux abois financièrement, Ringo Lam s’acquitte de la tâche avec un certain brio – seuls quelques effets spéciaux et d’inévitables gags malheureux subissent à ce jour les outrages du temps, et le binôme romantique s’incarne même avec une grâce rare pour les pantalonnades hongkongaises du début des années 1980. L’équilibre tonal sera mis à plus rude épreuve dans sa deuxième production pour Karl Maka tournée l’année suivante, The Other Side of Gentleman. Noyé sous le côté obscur de la farce, le réalisateur tente, en vain, de développer une réflexion convaincante sur la lutte des classes. Cupid One (1985) conte à sa singulière façon une histoire d’amour vache bâtie à coups de baffes, de seaux d’eau savonnée et autres objets contondants balancés en pleine tronche, où les scènes sensuelles sont accidentelles et les traditionnels baisers de comédie romantique remplacés par des gifles plus appuyées, assénées les yeux dans les yeux devant des dizaines de badauds. En 1986, Karl Maka lui confirme sa confiance absolue et le propulse aux commandes du quatrième épisode de la saga Aces Go Places/Mad Mission, après un troisième opus bien barjo réalisé par Tsui Hark. Rien ne sert de mourir (de son splendide titre français) gagne en linéarité scénaristique ce qu’il perd en folie par rapport à un précédent volet presque trop généreux. Loin de s’offusquer de ce lissage lénifiant, Karl Maka exprime bien au contraire sa pleine satisfaction, et donne carte blanche à son poulain pour la suite de sa filmographie. Ringo Lam entame alors la série de films qui lui assurera la postérité dans les coeurs cinéphiles de Hong Kong et au-delà. 



LA SOCIÉTÉ EN FEU
En deux ans, le metteur en scène enchaîne trois films-clés, trois entités abstraites, génériques, suivies du suffixe évocateur « On Fire ». Trois états des lieux de plus en plus pressants d’une société hongkongaise déstructurée à l’approche de la Rétrocession à la Chine prévue pour 1997, gangrenée par la corruption généralisée, noyautée dans ses m [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte