Hommage Daria Nicolodi
L’Histoire du cinéma comporte de nombreux cas où l’oeuvre d’un réalisateur a été profondément déterminée par l’apport créatif d’une femme qui était son actrice fétiche et/ou sa compagne. Pour autant, il y a sans doute quelque chose d’unique dans la contribution de Daria Nicolodi à l’univers de Dario Argento. Certes, ce dernier a inventé un genre très particulier de thriller fétichiste et stylisé avec sa « Trilogie animale » composée de L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues et 4 mouches de velours gris. Mais en 1975, le génial Les Frissons de l’angoisse va marquer un tournant majeur chez le cinéaste, aussi bien au niveau privé (il y dirige pour la première fois Daria Nicolodi, avec qui il va bientôt mener vie commune) qu’au plan esthétique. Avec son ambiance de cauchemar éveillé, le film porte en effet les codes du giallo à l’italienne jusqu’aux confins du fantastique. De plus, les intermèdes comiques et dissonants qui parsemaient les premiers essais d’Argento deviennent ici beaucoup plus organiques, la recherche de l’identité du tueur étant scandée par le badinage amoureux auquel se livrent l’enquêteur amateur incarné par David Hemmings et l’intrépide journaliste jouée par Daria Nicolodi.
Tous ces éléments étaient déjà présents dans le scénario de départ, comme nous l’apprend celui qui deviendra un grand ami du couple, Luigi Cozzi. « Je possède un exemplaire du script, et il est absolument identique au film » nous certifie-t-il. « En fait, Dario avait signé un contrat avec une autre actrice pour Les Frissons de l’angoisse, et il a donc dû la dédommager financièrement pour pouvoir la remplacer par Daria, laquelle a rejoint le casting peu de jours avant le début du tournage. ». Il n’empêche que la prestation de la Nicolodi s’avère exceptionnelle – surtout dans la version intégrale de 2h07, la VF ayant été coupée à l’époque. L’aspect parfois impassible de son visage fait merveille pour exprimer l’ambiguïté, en particulier juste après l’incendie de la maison abandonnée, quand on se demande un instant si elle n’est pas en réalité la tueuse. Et dans un autre style, il faut la voir, au terme d’une scène de drague agressive avec Hemmings, prendre la porte en dansant allègrement sur la musique bluesy des Goblin. On a la troublante impression d’assister en direct à la naissance d’un amour, et cela a effectivement été le cas dans la vraie vie, avec un Argento dont la carrière gardera éternellement le souvenir de cette subite intrusion du réel. Même s’ils resteront toujours aussi concertés et extravagants, ses films ultérieurs auront systématiquement une dimension de journal intime, d’autobiographie oblique. Bien sûr, cet aspect éclatera surtout une petite vingtaine d’années plus tard, quand le cinéaste commencera à donner des rôles principaux à Asia Argento, la fille qu’il a eue avec Daria Nicolodi quelques mois après le tournage des Frissons de l’angoisse.
HAUTE CULTURE ET MAGIE NOIRE
Mais n’allons pas trop vite, l’influence de Nicolodi ne se limitant pas au seul jeu d’acteur. Luigi Cozzi, qui avait auparavant été un proche collaborateur d’Argento (il a notamment cosigné le scénario de 4 mouches de velours gris), aime raconter qu’au départ, son mentor et lui étaient surtout des fans de séries noires et de romans pulp, d’où ils tiraient des idées de scènes de meurtre. Venue du milieu underground (on l’avait même vue dans Salomè, un long-métrage réalisé par Carmelo Bene, l’enfant terrible du théâtre italien), Nicolodi amène avec elle un bagage artistique tout différent quand elle se met à partager la vie de Dario. Cozzi en convient : « Daria était une très grande lectrice, une femme très cultivée. Avant tout, elle était une comédienne de théâtre, et à ce titre, elle avait une connaissance approfondie de textes importants. De plus, elle était une lectrice passionnée d’histoires fantastiques. Pas seulement celles de Lovecraft, mais aussi celles d’auteurs classiques qui ont parfois donné dans le fantastique. Elle a donc apporté cette culture au monde de Dario. On le voit immédiatement dans Suspiria, non ? Ce film témoigne d’un saut vers une inspiration complètement différente, qui est totalement due à l’influence de Daria. » De fait, Suspiria (1977), film où Nicolodi ne joue pas mais où elle est créditée comme coscénariste, voit pour la première fois Argento quitter les rivages du giallo pour s’aventurer dans le surnaturel pur. Une jeune Américaine arrive en effet dans une académie de danse pour d&eacut [...]
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