HIGH-RISE de Ben Wheatley

High-Rise

Le cinéma de Ben Wheatley n’est pas du genre aimable : méchant, radical et naturellement provocant, le réalisateur de KILL LIST et TOURISTES écartèle les sensibilités et divise les troupes. Avec HIGH-RISE, place à une nouvelle bataille rangée entre « pro » et « anti ».


POUR 

Pas du genre à se reposer sur ses lauriers, Ben Wheatley aime explorer à chaque nouveau long-métrage des horizons cinématographiques distincts, un peu comme un gosse qui tenterait de goûter goulûment à un max de bonbons avant de se faire éjecter de la confiserie. Une volonté épidermique de diversité qu’on retrouve au sein de chacun de ses travaux, comment les démontrent les multiples ruptures de ton narratives et visuelles qui émaillent Kill List, Touristes ou English Revolution. Et High-Rise, son petit (mais « gros ») dernier, n’échappe pas à la règle en passant allègrement du thriller psychologique à la satire et de la comédie musicale au film d’horreur. Particulièrement explosif, ce cocktail confère à cette adaptation du roman I.G.H. de J.G. Ballard une farouche singularité, même si le manque de cohésion du discours de Wheatley risque d’en froisser certains, qui ne manqueront pas de lui reprocher d’avoir eu, une fois encore, les yeux plus gros que le ventre, voire de confondre vitesse et précipitation. Trop dense, trop ambitieux, High-Rise peine il est vrai à trouver un rythme de croisière suffisamment fluide pour développer harmonieusement la crise de conscience qui ronge des personnages parfaitement incarnés par l’un des castings les plus réjouissants de récente mémoire. Wheatley a beau assumer la nature expéditive et elliptique d’un scénario en dents de scie (cf. entretien), il semble évident que le format de la mini-série lui aurait permis d’approfondir son sujet au lieu de l’effleurer comme c’est parfois le cas.
Une frustration qui n’empêche pourtant pas High-Rise d’hypnotiser grâce à ses cadrages symétriques, son ironie toute kubrickienne et sa direction artistique rétro-futuriste méticuleuse. Loin de se laisser écraser par ce décorum massif dont la décrépitude renvoie bien évidemment aux troubles de son personnage, Tom Hiddleston (Crimson Peak) irradie une nouvelle fois l’écran de son indéniable charisme, insufflant mélancolie et étoffe à un rôle de séduisant médecin dont le calme apparent cache des angoisses symptomatiques de la société de consommation (« J’achète donc je suis ? »). Ni pleutre, ni héros, son Robert Laing sert avant tout de lien à un groupe de locataires/propriétaires excentriques, esseulés et violents, mais dont la dépendance exacerbée aux « joies » de la technologie moderne trouvera forcément écho auprès de la plupart des représentants du monde libre. Cruelle, la chute inexorable – salvatrice ? – de la civilisation dépeinte par un Wheatley marchant sur les traces de David Cronenberg (qui citait déjà Ballard avec Frissons, son premier effort, et adaptera plus tard Crash du même auteur) ou de George Romero (même « rebel attitude », même outrance dans la démonstration politique) n’en demeure pas moins humaine malgré ses maladresses, à l’image de cet homme franc du collier interprété par un Luke Evans refusant de perdre le combat sans se battre jusqu’à son ultime souffle. Inégal, chaotique et pourtant invariablement fascinant, High-Rise rate le K.O. promis par sa bande-annonce, mais parvient néanmoins à gagner aux points puisqu’on ressort avec l’envie d’y retourner pour visiter à nouveau cette drôle d’architecture.

Jean-Baptiste HERMENT



CONTRE 

en Wheatley, c’est tout un poème. Sacré un peu trop vite meilleur espoir du cinéma de genre britannique indépendant avec le très noir mais aussi très pompeux Kill List, le cinéaste s’oriente avec un peu plus de légèreté vers la comédie noire avec l’amusant Touristes avant de livrer avec English Revolution une bande arty surréaliste et bouffie de prétention qui soulève la question de savoir si le bonhomme ne serait pas tout simplement un fumiste cynique et surestimé. Avec son casting huppé et son sujet ouvert à toutes les outrances, High-Rise avait tout du projet taillé pour propulser le réalisateur dans le mainstream sans qu’il y perde son style « alternatif », en plus de lui donner l’occasion de prouver sa capacité à raconter une histoire qui tienne debout, ses oeuvres ayant jusqu’ici accusé d’énormes maladresses narratives. À l’arrivée, le film est plus qu’un ratage : un authentique désastre, où Wheatley prend la pose en citant allègrement Kubrick et Cronenberg (le script est tiré d’un roman de l’auteur de Crash, ça aide), mais sans jamais atteindre la perfection glacée de l’un ou la singularité de l’autre. Car si Kubrick a pu faire montre d’une certaine distance dans le traitement émotionnel et que Cronenberg est désormais un peu trop occupé à jouer les auteurs intellos, ils n’ont jamais méprisé leurs personnages. Wheatley, lui, les déteste tous, quelle que soit leur condition puisque l’ascension sociale est au coeur de High-Rise, qui ne s’embarrasse d’ailleurs d’aucune finesse pour explorer le sujet : les riches (qui habitent en haut de l’immeuble) écrasent les pauvres (qui logent dans les étages inférieurs et veulent prendre la place des premiers) tandis que la classe moyenne (qui habite entre les deux) observe la situation avec condescendance tout en fréquentant (un peu) ceux d’en haut et en fraternisant (pas trop) avec ceux d’en bas. Bref, les riches sont cultivés mais méchants, les pauvres sont sympas mais un peu cons et le chef d’orchestre/réalisateur se positionne au-dessus de tout ça avec un nihilisme haineux qui finit par donner la nausée, tant il démontre une vision simpliste du prolétariat et de la bourgeoisie. L’implosion programmée de cette microsociété avait pourtant de quoi faire basculer le récit dans une transgression salutaire, mais non : en dehors d’une dose plutôt tiède de sexe et de sang, elle se limite à montrer une snobinarde avec un coup dans le nez déclamer à l&r [...]

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