GREEN ROOM de Jeremy Saulnier

Green Room

Révélé en 2014 par BLUE RUIN, Jeremy Saulnier revient en force avec un survival sanglant où des punks affrontent des néo-nazis dans une salle de concert transformée en forteresse noire. Gore’n’roll les amis !
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reen Room. Une bête de festivals réputée pour avoir sévèrement indisposé quelques âmes sensibles par ses accès de violence. Et on connaît la chanson : trop souvent, ce genre de buzz augure de sévères déceptions. Qu’on se rassure, le film est une vraie série B brute de décoffrage, hargneuse et rock’n’roll dans la moindre de ses pulsations. Jeremy Saulnier nous colle ici aux Doc Martens des ados de Ain’t Rights, un groupe de punk rock qui galère pour trouver des salles où jouer et qui accepte bon gré mal gré de donner un concert dans un bar redneck crasseux de la banlieue de Portland, Oregon. Mais l’endroit n’est pas seulement sordide : c’est aussi le repaire d’une bande de néo-nazis qui apprécient d’autant plus modérément la prestation du groupe que le chanteur entonne sur scène Nazi Punks Fuck Off des Dead Kennedys, sans provoquer toutefois de réaction trop excessive. Ces skins seraient-ils tolérants et civilisés ? Mieux, auraient-ils le sens de l’humour et de l’autodérision ? Pas vraiment. En effet, une fois revenu dans les coulisses, le groupe est témoin d’une mise à mort qui fait d’eux des témoins gênants à éliminer coûte que coûte. L’arrivée sur place du patron des lieux va accélérer le processus d’élimination, tandis que les Ain’t Rights, enfermés dans une pièce sans fenêtre (la fameuse « green room », sorte de salle d’attente pour les artistes entre les coulisses et la scène), se demandent s’ils doivent tenter de fuir ou se rendre à un ennemi qui fait mine de négocier en leur promettant la vie sauve… Passée une mise en place un peu laborieuse mais nécessaire visant à caractériser chacun des membres du groupe, Saulnier prend le spectateur par surprise en le plongeant dans la réalité poisseuse d’une violence dégueulasse car totalement crédible. Ses personnages sont à la même enseigne et ne se comportent pas de façon héroïque ou sadique : leurs actions et leurs réactions ne sont motivées que par l’instinct de survie, d’un côté comme de l’autre. À ce titre, Saulnier aurait très bien pu faire des néo-nazis des tarés psychopathes. Ce n’est pas le cas : en plus de les dépeindre comme des types certes peu fréquentables mais pas particulièrement ravis de devoir abattre des gosses qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment, le cinéaste se livre à une étude très poussée du rapport de domination/soumission qui s’est établi entre le chef du gang et ses sbires, le mettant en parallèle avec les luttes intestines qui agitent les Ain’t Rights. Le rythme du récit s’en trouve parfois un peu déséquilibré (Saulnier semble bien plus intéressé par les bad guys que par leurs otages), mais il démontre un refus de la facilité assez rare dans ce type de production. Au sein d’un cinéma de genre trop souvent sclérosé par la bêtise de ceux qui le font, Saulnier ferait presque figure d’alien : de toute évidence, le type est intelligent, comme le prouve sa gestion très adroite de l’ellipse dans un récit qui se déroule presque en temps réel et en vase clos, même si le dernier acte s’affranchit de cette unité de lieu avec une égale maîtrise de l’espace.
Car la grande idée de Green Room n’est pas d’opérer une simple – mais réjouissante – relecture d’Assaut en en dupliquant habilement la gestion topographique resserrée et la sécheresse psychologique très seventies. La surprise scénaristique tient en effet à la place réservée à un « personnage » inattendu : le chien. C’est à travers cet animal que le film s’emploie à replacer la notion d’humanité que les personnages explosent au shotgun ou découpent à la machette au cours de leur affrontement aveugle. Le chien, donc, qu’on nous présente d’abord comme une arme à manipuler avec précaution (cf. le personnage du dresseur), se révèle être l’unique point d’ancrage moral positif du film, car fidèle, non-idéologique et doué d’une compassion qui le pousse à aimer avant de tuer (il témoigne d’ailleurs d’un ultime signe d’affection au « méchant » qui l’a envoyé au combat, ignorant au passage ses « cibles » prêtes à se défendre – probablement l’une des plus belles scènes du film). Quant aux Ain’t Rights, si l’épreuve qu’ils traversent les fait logiquement grandir, elle ne fait pas d’eux des hommes pour autant mais façonne les adultes probablement convalescents qu’ils deviendront. De la même manière, leurs assaillants n’en sortent pas tous indemnes d’un point de vue psychologique : que ce soit dans sa chair ou dans son âme, personne n’est donc épargné dans Green Room, et Saulnier ne lésine jamais sur le gore quand un personnage trépasse ou se fait mutiler. Cette réaffirmation de la violence comme une vraie donnée dramaturgique fait du film de Saulnier une oeuvre anti-pop car débarrassée de toute distance commentatrice ou cyniquement postmoderne (même si le film déroule clairement ses références). Nous sommes bel et bien face à un drame horrifique qui aurait très bien pu se produire dans n’importe laquelle de nos campagnes. Et on en ressort d’ailleurs avec cette question à l’esprit : Green Room n’ayant nécessité qu’un budget très modeste pour assurer sa réussite, pourquoi ne voit-on jamais de films de cette trempe en France alors que l’opération semble tout à fait envisageable d’un point de vue financier ? Quoi qu’il en soit, la puissance évocatrice du long-métrage de Saulnier ne serait pas aussi marquante sans les talents conjugués d’un casting de haut vol : entre Macon Blair, déjà remarqué dans Blue Ruin et la toujours craquante Imogen Poots, Patrick Stewart fait froid dans le dos en chef de gang campagnard prénommé Darcy. Un clin d’oeil au héros d’Orgueil et préjugés ? Les actes qu’il commandite dans Green Room pour réduire au silence ses infortunés prisonniers auraient pourtant de quoi faire s’évanouir de terreur les lectrices de Jane Austen !

Cédric DELELÉE



INTERVIEW JEREMY SAULNIER 
RÉALISATEUR ET SCÉNARISTE 

The warrior 

En seulement trois longs-métrages, Jeremy Saulnier s’est forgé une carrière d’autant plus passionnante que le bonhomme ne doit son succès qu’à une farouche volonté de réussir en dépit des obstacles. Le réalisateur de GREEN ROOM revient pour nous sur l’évolution d’une filmographie placée sous le signe de la démerde et de la passion. 

Dans les bonus du DVD de Blue Ruin, vous évoquez l’époque où, enfant, vous tourniez avec vos amis des courts-métrages en tous genres. Avec le recul, comment voyez-vous cette période où vous pouviez assouvir votre passion du cinéma de la manière la plus pure qui soit, sans penser à l’argent ? 

C’était un vrai champ d’expérimentations, à la fois utopique et formateur. C’est ce que je souhaiterais accomplir en tant que cinéaste. Ce serait le paradis. Nous baignions dans un bouillonnement créatif et nous n’avions pas à nous soucier de bosser pour subvenir à nos besoins, ou encore de nous inquiéter pour des autorisations de tournage ou que sais-je encore. Nous faisions juste NOS films. C’était organique. Et il est rare que six ou huit personnes soient sur la même longueur d’onde d’un point de vue créatif. Aucun conflit ni arrière-pensée. Nous n’étions pas dans un état d’esprit « business ». Oui, je repense à cette période avec beaucoup d’affection. 

Avec Murder Party, votre premier lon [...]

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