GOURDON UN DESSINATEUR D’ANGOISSE

L’Association des Amis de Michel Gourdon vient d’éditer, à un tirage très limité (300 exemplaires) un magnifique ouvrage regroupant les couvertures conçues par Michel Gourdon pour les collections orientées fantastique et horreur de la maison Fleuve Noir. Un voyage graphique débordant de sortilèges érotiques et monstrueux qui ont marqué l’imaginaire du genre littéraire français.
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1945. Au sortir de la guerre, l’édition populaire française, florissante une décennie auparavant, est sur les genoux. La pénurie de papier et les difficultés de diffusion ont coulé les grandes enseignes. La candeur du roman sentimental, les naïvetés du récit d’aventure, les polars à énigme ne répondent plus aux attentes du public. La jeune « Série noire » de Gallimard séduit avec des récits âpres. C’est dans la sueur des détectives yankees et les fragrances capiteuses de pépées en fourreau que naît tout un Far West éditorial à la sauce hard-boiled. Quantités d’éditeurs se bagarrent, multiplient les labels et les pseudos amerloques. 


Illustrations : © Michel Gourdon 




UN LONG FLEUVE TEMPÉTUEUX 
Misant au contraire sur des auteurs français, une maison sort du lot, grâce à la pugnacité d’un autodidacte, fils d’émigrés italiens : Armand de Caro crée avec Guy Krill les éditions Fleuve Noir en automne 1949. Son entreprise est artisanale, avec parents et amis à divers postes importants, et fidélise ses auteurs par un rythme de parution régulier, quand les concurrents pataugent dans un joyeux bordel. Le Fleuve est une machine littéraire rigoureuse dont il soigne les moindres rouages, développant des collections aux identités frappantes, imposant une rapidité de fabrication, depuis la livraison du papier venu de Belgique jusqu’aux relectures des épreuves au pas de charge, approvisionnant en camionnette chaque point de vente, à Paris comme en province. Selon l’auteur Richard Caron, « il n’existait pas le moindre boui-boui de province café-tabac-presse qui ne recevait régulièrement ses quatre ou cinq titres. (…) Les livres expédiés restaient acquis et sans retour, donc le détaillant devait vendre tout. » De Caro met ses lecteurs dans l’attente des livraisons mensuelles, observe les succès, augmente progressivement les tirages et crée son réseau de grossistes. De 10.000 exemplaires pour les premiers titres, les tirages ne cesseront de croître : chaque mois, au milieu des années 1960, ce seront près de 25 titres publiés et 1.500.000 exemplaires vendus.
Ce flux extraordinaire commence par la collection « Spécial Police » (2076 titres jusqu’en 1987), suivie en 1950 par « Espionnage » (1905 titres jusqu’en 1987), puis par « Anticipation » (2002 titres jusqu’en 1997) et en 1954 par « Angoisse ». En émergent des personnages-phares – l’agent Coplan FX 18, M. Suzuki, Mme Atomos, le commissaire San Antonio, O.S.S. 117 – et des auteurs maison comme Jean Bruce, Paul Kenny, Georges-Jean Arnaud, Frédéric Dard, Claude Rank, Jimmy Guieu, B.R. Bruss et, pour « Angoisse », Kurt Steiner (pseudo d’André Ruellan), Maurice Limat, Benoît Becker (pseudo collectif qui sert à Jean-Claude Carrière) et l’immense Marc Agapit, qui domine la série.
Dans la dynamique stratégie du Fleuve, les couvertures jouent un rôle crucial : il faut attirer l’oeil du type qui vient boire un verre chez son cafetier. Il y a pléthore de bouquins dans les tourniquets des buralistes. Pour se démarquer, il faut une identité graphique forte. Un Fleuve Noir se reconnaît du premier coup d’oeil. Un vieux briscard du livre, René Brantonne, se charge des « Anticipation ». Les premières pin-up des « Spécial Police » et les ambiances dramatiques des « Espionnage », contours de silhouettes faiblement éclairées dans un noir de ténèbres, sont confiées à un jeune illustrateur, M. (pour Michel) Gourdon. Il devient le champion des cylindrées menaçantes, tueurs aux aguets, phares trouant la nuit, visages crispés, ciels rougis par les flammes, aubes crépusculaires en sépia. Il excelle dans les ambiances lourdes. À tort, le Fleuve lui confie l’éphémère série western « Aventures et bagarres de Johny Sopper », destinée aux ados et dont Brantonne aurait mieux su tirer parti. En revanche, il s’impose comme une évidence à Armand de Caro, en septembre 1954, pour Cimetière de l’effroi, qui [...]

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