Gore save the screen, en quête de sang
Les succès surprise de Smile et Barbare ou le passage de Michael Myers à la concasseuse dans Halloween Ends ne sont que les parties émergées de l'iceberg horrifique, actuellement soumis à un changement climatique colossal. Des observateurs aux premières loges reviennent pour nous sur ces mutations structurelles de notre genre de prédilection, à l’aube de lendemains qui chantent… plus ou moins faux.
À l’amorce des années 2010, les fans d’horreur se désespéraient de la tournure du genre, esclave de remakes ineptes, d’une esthétique délavée, de la surenchère débile et de la bêtise réactionnaire dans lesquelles s’enfonçait le torture porn. La société de production Platinum Dunes, spécialisée dans les remises au goût du jour de grands classiques de l’horreur depuis son nouveau Massacre à la tronçonneuse en 2003, voit le filon se tarir avec la contre-performance de son Hitcher, l’accueil glacial de son Vendredi 13 – infoutu de dépasser la barre symbolique des 100 millions de dollars au box-office US – et les torrents de haine dirigés contre son nouveau Freddy.
Le rebond des recettes du septième Saw, après le score décevant de son prédécesseur, se justifiait en partie par la promesse que cette fois-ci, c’était bien la fin, et en 3D mesdames et messieurs. Les tournées en festival du premier The Human Centipede de Tom Six et de A Serbian Film de Srdjan Spasojevic, certes spectaculaires, donnèrent le sentiment à la fois d’une régression de la transgression au stade anal et d’une fin en soi.
Où aller après de telles provocations ? La suite de la carrière de ces agitateurs à la petite semaine nous a donné la réponse : nulle part. En dehors d’une participation décevante à l’anthologie The ABCs of Death en 2012, les seuls projets de Spasojevic sont un deuxième long-métrage annoncé depuis plusieurs années sans signe de développement concret… et un documentaire sur la production de A Serbian Film.
Tom Six a exploité le filon de la chenille humaine dans un second film aussi méta que vomitif et un troisième volet témoignant de son cruel manque d’imagination. Il se prétend victime de censure sur son dernier projet, The Onania Club, consacré à un groupe de femmes uniquement capables de prendre leur pied devant le spectacle de la misère humaine ; la bande-annonce disponible tend plutôt à étayer les rumeurs d’un film gênant au dernier degré.
Frimeur, poseur, mythomane, adepte du buzz à l’emporte-pièce, Tom Six n’est qu’un pur produit de son époque. Son parcours, reflet de la destinée de la saga Saw, a fini par prouver que la seule surenchère ne suffit pas à répondre à la demande. Dans l’attente d’une refonte digne de ce nom, les nouveaux types de formats horrifiques s’engouffrent dans l’appel d’air.
La mise à mort aussi traumatisante que complaisante de Glenn (Steven Yeun) au début de la saison 7 de The Walking Dead.
LES MARCHEURS
Le représentant le plus significatif de cette évolution plurielle naît en 2010 et n’en finit plus de nous infliger son agonie à rallonge : la série The Walking Dead. La première saison explose les records de la chaîne câblée AMC avec des moyennes à 5 millions de spectateurs, la cinquième établit un nouveau jalon pour le câble américain à plus de 17 millions, avant que la propension de la série à tourner en rond ne la ramène à son point de départ.
Par son succès, l’adaptation du comic-book de Robert Kirkman banalise les visions cauchemardesques, soumet le gore à une exposition presque mainstream. Peu importe l’hallucinant chaos artistique et créatif du show ; au contraire, même : au-delà du caractère profondément erratique de son intrigue et de la caractérisation de ses personnages, l’absence de ligne directrice du show finit par refléter avec une acuité troublante le pessimisme et le nihilisme de son époque.
Pour Julien Fonfrède, programmateur de la section Temps 0 au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, « c’est quelque chose qui résonne avec les deux derniers Halloween de David Gordon Green et la société américaine dans son ensemble, cette idée du “tous pourris” recentrée sur une conception très individualiste : si le Mal est partout, pourquoi n’y cèderais-je pas pour survivre ? On voit des personnages dont on peut reconnaître les valeurs, et soit ils se révèlent monstrueux, soit ils meurent affreusement. C’est mon problème avec le cinéma d’horreur américain, il est devenu hyper réactionnaire. Même un film comme Midsommar témoigne de cette peur de l’étranger, avec ces personnages qui partent en Europe et en ont une vision qui leur appartient. Tout le monde est a priori un monstre. Ce cynisme ne peut que rejaillir en période de crise, je le comprends, mais est-ce que j’ai envie de voir ça ? On tue ton fils, tu vas tuer l’assassin, OK, c’est une logique implacable, mais est-ce que ça fait avancer quoi que ce soit ? L’horreur est revenue, en Amérique, sur des bases très sociétales. Ce sont des films intéressants socialement, mais en revanche, politiquement… »
L'angoisse diffuse de Barbare.
Il a ainsi été reproché à The Walking Dead son sadisme envers ses personnages, ses penchants à maltraiter le public. Marie Herny, ex-programmatrice du festival punk suisse 2300 Plan 9 et directrice du cinéma ABC à La Chaux-de-Fonds, n’a pas poursuivi son visionnage de la série qu’elle accuse, à raison, d’avoir dénaturé l'œuvre originale, autrement plus fine et puissante. Mais d’un autre côté, elle reconnaît que le show « a peut-être remis certains spectateurs à leur place. L’horreur, c’est de l’horreur. Tu confrontes ton public à son voyeurisme de base, qui peut aussi bien se manifester par le visionnage de documentaires mal fichus sur les tueurs en série que par le fait de ralentir pour voir un accident sur l’autoroute. Je trouve qu’il peut être intéressant de responsabiliser le public par rapport à ce qu’il regarde. Tu ne peux pas bouffer ce genre de choses et les digérer sans encombre sans te poser un minimum de questions. Le cinéma d’horreur a toujours été un baromètre de la société et je pense que c’est pour ça que j’ai décroché pendant un bon moment du cinéma horrifique américain. Soit ça ressemblait à un règlement de comptes, soit c’était vraiment fascisant. Même quand les films attaquent Trump, c’est dans la stupidité, sans finesse scénaristique. »
LES PROMESSES DE L’OMBRE
La série morte-vivante s’est retrouvée tête de gondole dès son arrivée sur Netflix. Dans son sillage, la plateforme au « N » rouge et sa principale concurrente, Prime Vidéo, ont senti une manne, une demande, un besoin d’horreur, sans pour autant proposer d’éditorialisation ad hoc.
Pour Julien Fonfrède, « ces plateformes sont très lisses, on a l’impression que c’est là que l’avenir du genre pourrait se jouer, et en même temps, ils prennent tout et n’importe quoi dans l’unique logique de créer un catalogue. Et ça dessert le genre. Même dans les années 1970, il y avait beaucoup de saloperies, mais aussi beaucoup de productions cinématographiques qui pouvaient se retrouver au premier plan et inspirer. Il nous manque des références à mettre sur un piédestal pour sortir de la consommation à la chaîne. »
Il faut reconnaître à ces deux gros pourvoyeurs de contenus le mérite de proposer des cinématographies peu connues, dans des copies de qualité et parfois sous-titrées en français. Encore faut-il savoir se jouer de l’algorithme de recommandations et chercher dans des recoins savamment dissimulés.
Aurélien Zimmermann, programmateur pour la plateforme de SVOD Shadowz, joue fair-play et ne jette pas le bébé mutant avec l’eau du bain. « Il y a eu cette impression que les plateformes généralistes ne savaient pas comment aborder le genre, mais qu’elles avaient tout de même conscience qu’il y avait un public, des communautés, des festivals. Du coup, elles ont tapé large, elles ont produit des films de qualité variable, mais elles ont su offrir des [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement