GOLEM, LE TUEUR DE LONDRES de Juan Carlos Medina
Golem, le tueur de Londres
Alors qu’un tueur en série surnommé le Golem sévit dans les rues du Londres de 1880, le journaliste John Cree (Sam Reid) est retrouvé empoisonné dans son lit. Son épouse Elizabeth (Olivia Cooke), ex-vedette de vaudeville, est accusée de l’avoir tué. John Kildare (Bill Nighy), un enquêteur envoyé au casse-pipe par ses supérieurs frileux de Scotland Yard, dresse rapidement un parallèle entre les derniers jours de Cree et les méfaits les plus récents du Golem, mais les preuves lui manquent. La double identité de l’homme expliquerait un suicide, et aiderait à sauver Elizabeth d’une exécution certaine… Publié en 1994, Le Golem de Peter Ackroyd suivait, à la première personne, les meurtres d’un tueur en série dans un quartier poisseux de Londres. Moteur du whodunit à la base de l’intrigue, cette subjectivité aurait pu inspirer un long-métrage en « point of view » dans la lignée de l’expérimental Maniac, signé en 2012 par le trio Alexandre Aja, Grégory Levasseur et Franck Khalfoun. Ayant consacré de longues années à son adaptation en compagnie du producteur Stephen Woolley et de la scénariste Jane Goldman, géniale collaboratrice de Matthew Vaughn, Juan Carlos Medina a vraisemblablement eu le temps de retourner le problème dans tous les sens. La solution que propose le film peut paraître frontale, mais elle est en réalité beaucoup plus intelligente qu’elle n’en a l’air. Medina détourne le piège de la matière littéraire grâce à une idée purement cinématographique : chaque meurtre est perpétré à l’écran par l’un des suspects de l’affaire, selon un jeu d’hypothèses orchestré par un enquêteur aux aguets. Si elle n’est pas nouvelle (De Palma avait employé une méthode similaire au milieu de Mission : Impossible, lorsque Tom Cruise déduisait malgré lui la trahison de Jim Phelps), cette visualisation du doute plonge Golem, le tueur de Londres dans une atmosphère de cauchemar éveillé. Hantées par des hommes a priori au-dessus de tout soupçon (doit-on préciser que Karl Marx compte parmi les coupables potentiels ?), les rues de Limehouse sont, devant l’objectif de Medina, un dédale tout droit sorti des enfers. En dépit d’un budget modeste, le cinéaste, son production designer Grant Montgomery et son directeur de la photographie Simon Dennis (tous deux vétérans de Peaky Blinders, s’il vous plaît) trouvent un équilibre insensé entre réalisme putride et expressionnisme gothique, usant volontiers de focales et d’éclairages old school que n’aurait pas reniés la Hammer du temps de sa gloire. Visuellement, Golem est d’une effroyable splendeur, à plus forte raison lors de scènes de meurtres dont la violence baroque renvoie instinctivement au cinéma de David Fincher.
FROM HELL PAR FINCHER ?
L’ombre de Se7en plane très tôt sur Golem… ; dès l’ouverture en fait, lorsqu’une brigade de Scotland Yard explore une scène de crime dévoilée de façon elliptique, sur un score oppressant largement inspiré du travail de Howard Shore. Rapidement, le long-métrage se meut en une sorte de cross-over fantasmatique, laissant entrevoir ce que Fincher aurait pu tirer d’un décorum à la From Hell, avec tout ce que cela implique en termes de ramifications politiques et de procédures policières à la fois excessives et totalement désuètes. Plutôt que de singer bêtement l’oeuvre du maître (Golem… n’est jamais un film référentiel, et encore moins méta), Medina braque ses projecteurs sur les paradoxes de la société anglaise, dont le règne matriarcal ne garantit pas aux femmes une protection suffisante. À l’heure de l’affaire Weinstein et de ses conséquences à la fois sociétales et médiatiques, le propos de Golem… s’avère d’ailleurs incroyablement troublant, le combat étant encore loin d’être gagné à l’aube du XXIe siècle. « Pour l’anecdote » nous a soufflé Medina, « mes agents américains m’avaient proposé de rencontrer les Weinstein en 2012. Des exécutifs de TWC avaient vu Insensibles, et ils voulaient absolument que je le montre en personne aux Weinstein. Je leur ai dit : « Pas question pour moi, je ne veux rien avoir à faire avec eux. ». À l’époque, je ne savais rien des scandales sexuels. Ce qui m’avait énervé, c’est ce que Harvey Weinstein avait fait subir à Guillermo del Toro sur Mimic. Des gens qui font un truc pareil, qui essaient de virer un cinéaste de son film après trois jours de tournage… Je sais que le type était un sadique, parlait horriblement aux gens. Au final, la prise de pouvoir sur les femmes n’est que la continuation de tout cela. » Ce cas particulier se retrouve métaphoriquement (par le plus grand des hasards) dans Golem…, le film accumulant des portraits de mâles dominants et autres pervers narcissiques tels qu’on n’en avait peu vus depuis le Showgirls de Paul Verhoeven. Seuls représentants « positifs » de la gent masculine, les enquêteurs interprétés par Daniel Mays (vu dans Docteur Frankenstein et Rogue One : A Star Wars Story) et Bill Nighy (sobre et touchant, dans un rôle que devait tenir Alan Rickman) développent eux aussi un carriérisme et des obsessions qui ne les rendent pas tout à fait irréprochables.
LE DIABLE DANS LES YEUX
Effaré par un jeu de pouvoir qui pervertit les rapports hommes/femmes, Juan Carlos Medina use des moeurs invraisemblables du XIXe siècle pour regarder à la loupe celles de ses contemporains. Scène après scène, Golem scrute un monde où l’orientation du droit défie la raison (l’argent du couple Cree est celui d’Elizabeth, mais John la tient littéralement en laisse), où la prostitution s’industrialise et où le « sexe faible » est amené d’une manière ou d’une autre à se vendre pour survivre. Le film observe ce chaos organisé et cette manipulation de masse à travers les regards compatissants de Kildare ou de Dan Leno (excellent Douglas Booth, qui aurait fait un Freddy Me [...]
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