GHOST IN THE SHELL de Rupert Sanders
Ghost in the Shell
Le générique introductif de Ghost in the Shell instille d’office une once d’espoir : la naissance iconique du Major se montre ici respectueuse de l’imagerie de la franchise, mais aussi capable de prendre une distance salvatrice via une musique en retenue, loin du fameux thème original, que le compositeur Clint Mansell ne fera finalement qu’effleurer. Le signe annonciateur d’un numéro d’équilibriste auquel se livrera Rupert Sanders tout au long de son film, qui ré-agence donc des éléments issus de la franchise pour aboutir à une nouvelle excroissance du manga de Masamune Shirow. Le script mêle ainsi des mécanismes et scènes issus des deux films de Mamoru Oshii tout en opposant au Major (excellente Scarlett Johansson) le bad guy Kuze (issu de la série GITS : Stand Alone Complex de Kenji Kamiyama et campé par l’inquiétant Michael Pitt), ici hacker lancé dans une vendetta personnelle. Le résultat aurait pu être une bouillie infâme dans les mains d’un réalisateur ignorant ou abonné au fan service servile. Il n’en est rien. Car la belle idée du film est de combler un vide que seule la série de Kamiyama avait auparavant tenté de remplir : mettre le Major et ses troubles d’identité – liés à son statut unique d’hybride androïde doté d’un cerveau humain – au centre du récit, là où les questionnements du personnage se montraient plus périphériques dans les deux longs-métrages animés. Ghost in the Shell est donc une vraie origin story, mais qui a l’intelligence de s’inscrire directement dans les considérations philosophiques de la saga, notamment en mettant en parallèle un fameux épisode du manga et du premier film (l’éboueur hacké et sa fausse vie de famille) avec le secret de l’identité du Major. L’occasion d’ailleurs pour Sanders de glisser subrepticement un commentaire sur le « white washing » et plus largement sur la machine à régurgiter hollywoodienne, puisque l’héroïne en est finalement victime, résistante politique asiatique manipulée pour devenir un soldat aux ordres d’une multinationale toute puissante dans le corps générique d’une Blanche à la plastique parfaite. Difficile d’être plus explicite. Et surtout d’être plus pertinent dans une approche doucement mais réellement subversive, qui installe le film dans une réflexion sur le devenir de l’entertainment mondial à l’aune d’une mondialisation inévitable débouchant, à l’image, sur une saturation informative de l’espace public via des hologrammes publicitaires aussi grands que des buildings. Le reflet à la fois poétique (voir les multiples jeux de miroir renvoyant l’héroïne à son humanité) et ironique de la quête intime de Mira Killian, qui devra – à l’instar du film – dépasser son statut d’objet à vocation militaro-industrielle pour retrouver le sens de son existence, et redevenir, enfin, Motoko Kusanagi. Une quête dont le point d’orgue reste une scène intimiste volontairement ascétique – en comparaison de l’hallucinante opulence d’une direction artistique souvent virtuose – où les regards troublés du Major et de celle qui pourrait être sa mère parviennent à instiller une émotion pudique mais palpable. En une séquence humble, Sanders confère à son Ghost in the Shell l’âme qui en justifie l’existence.
OSHII CONNEXION
Osons donc clamer l’impensable. Avec cet avatar hollywoodien, Ghost in the Shell renoue avec une certaine part de son essence, celle instillée par Oshii, qui avait su transcender le manga aussi passionnant qu’épineux de Masamune Shirow, grand auteur fou engoncé dans des obsessions militaro-technoïdes souvent rebutantes. Le film de Sanders, en multipliant les déclarations d’amour au réalisateur de L’OEuf de l’ange via des citations d’Avalon ou la présence – indispensable ! – d’un placide basset, se montre ainsi plus « ghost-in-the-shellien » que la récente série d’OAV Ghost in the Shell : Arise, symptomatiquement dérivative malgré quelques fulgurances. Mine de rien, ce retour aux sources débouche sur un constat jouissif : la vision d’un génial auteur japonais ignoré depuis toujours par le grand public investit aujourd’hui les multiplexes du monde entier grâce à l’audace d’un jeune réalisateur anglais capable de livrer un hommage à la fois déférent et novateur à son modèle. On en veut pour preuve le placement narratif pertinent de la fameuse scène de plongée sous-marine, dernière introspection du Major avant une prise de décision cruciale qui la mènera sur le chemin de la désobéissance salvatrice. L’un des multiples choix judicieux du film, qui ne cesse de marquer des points séquence après séquence au moyen d’une mise en scène s’obstinant à inscrire le récit dans une réalité tangible, et qui s’épanouit aussi bien dans la citation (la poursuite urbaine en camouflage optique, le spider tank) que dans les passages originaux (la mort poétique et signifiante d’un personnage secondaire). Ces greffes s’immiscent d’ailleurs parfaitement dans la philosophie de la franchise, comme le montre cette saisissante assemblée de moines reliés à un nirvana virtuel, renvoyant au vertigineux concept de cyber-paradis développé par la saga, ou encore la présence des deux mères du Major reflétant sa dualité. Cerise sur le gâteau, quelques idées (les prothèses qui laissent des cicatrices très cronenbergiennes) et autres moments de bravoure inattendus font du pied à d’autres genres et univers, notamment la brève mais jouissive résurrection du Violent Cop Takeshi Kitano, ou encore la personnalité et le look du bad guy, renvoyant au cyborg ninja de Metal Gear Solid (référence renforcée par le vrai prénom du personnage : Hideo). Et c’est ainsi que, comme Matrix en son temps, ce Ghost in the Shell parvient à réinjecter au sein d’une industrie américaine sclérosée par ses tics commerciaux une étincelle de vie venue tout droit d’Asie, continent dont les permanentes mutations technologiques et philosophiques n’ont cessé de devancer celles du reste du monde. Certes, le film de Sanders, à l’inverse de celui des Wachowski (dont il ne prétend nullement être l’égal en matière de monument pop), doit se trimballer son statut de dérivé d’une oeuvre culte et intouchable, elle-même héritière d’une lourde tradition SF (Blade Runner et la BD française en tête). Et pourtant, il possède cette indispensable étincelle de vie qui distingue les objets mercantiles des vrais films de cinéma façonnés avec amour et intelligence, dans la lignée de certaines oeuvres de Ridley Scott ou David Fincher, dont Sanders se pose ici en potentiel héritier. Il y a donc bien un ghost dans cette carapace. Et c’est tout ce qu’on lui demandait.
LAURENT DUROCHE
INTERVIEW RUPERT SANDERS
RÉALISATEUR
Après avoir libéré Blanche-Neige de son statut de faible princesse, l’Anglais Rupert Sanders s’at [...]
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