Gérardmer 2019

Vingt-six ans que les terres vosgiennes abritent le Festival du Film Fantastique de Gérardmer, et à peu près autant d’années que la Mad Team s’incruste pour hanter les sélections. Avec à la clé, comme chaque fois, une radiographie aiguisée de la programmation, avec ses points faibles mais aussi ses temps forts, que l’on doit cette année à un huis clos zoologique, une petite fille fugueuse et un efficace doublé coréen.
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AWAIT FURTHER INSTRUCTIONS 
DE JOHNNY KEVORKIAN. EN COMPÉTITION. 
Les Milgram s’apprêtent à passer le repas de Noël en famille. Mais la soirée vire au cauchemar quand le fils se rend compte que quelqu’un (quelque chose ?) a scellé chacune des issues de la maison. C’est alors qu’un message s’affiche sur l’écran de télévision : « Attendez vos instructions »… Await Further Instructions fait partie de ces films dont il faut connaître le moins de détails possible avant la projection afin d’en apprécier les rebondissements. D’autant que le script protéiforme de Gavin Williams permet au cinéaste Johnny Kevorkian de s’autoriser des bifurcations narratives lorgnant aussi bien du côté du thriller parano que de la satire sociale ou de la comédie noire. La recette du succès ? Pas tout à fait, puisque le réalisateur britannique ne parvient jamais à affiner sa critique – assez lourde et politiquement correcte – du patriarcat ; la faute à une caractérisation schématique et une direction d’acteurs parfois digne d’un programme TV à la Scènes de ménages. Heureusement, le climax totalement barré à la Shinya Tsukamoto sauve presque la mise. Presque.

J-B.H. 




DACHRA 
DE ABDELHAMID BOUCHNAK. HORS COMPÉTITION. 
Trois étudiants en journalisme décident d’enquêter sur un fait divers ayant défrayé la chronique il y a 20 ans : le calvaire enduré par une femme accusée de sorcellerie et enfermée de force dans un asile. Le début d’une aventure qui va conduire le trio à Dachra, où habite un chef de village aux pratiques douteuses… Si la scène d’introduction de Dachra laisse espérer une approche adulte et âpre de son sujet, le long-métrage d’Abdelhamid Bouchnak s’avère finalement trop engoncé dans les codes du genre pour rendre pleinement justice à un thème (la misogynie patriarcale) toujours d’actualité dans certains coins de la Tunisie. Autre problème à déplorer : le tempérament irritant de l’héroïne, véritable dictatrice qui passe son temps à traiter ses deux amis avec un autoritarisme assez déplaisant (« Viens là ! La ferme ! T’es chiant ! ») pour un personnage supposément progressiste. On est loin de la Shideh toute en nuance d’Under the Shadow, d’autant que l’auteur de Dachra dilue l’efficacité de ses séquences horrifiques en adoptant une approche visuelle « jumpscaresque » héritée du Projet Blair Witch et autre Conjuring : les dossiers Warren. Dommage.

J-B.H. 




THE WITCH : PART 1 – THE SUBVERSION 
DE PARK HOON-JUNG. PRIX DU JURY SYFY. 
Aux confins du polar, de la SF et du drame, ce détonnant long-métrage s’impose comme l’exemple parfait de ce que l’on est en droit d’attendre d’une production sud-coréenne. Aucune surprise donc, mais l’essentiel est ailleurs…
Un groupe d’enfants dotés de pouvoirs est victime d’expérimentations supervisées par une organisation gouvernementale secrète. Une nuit, plusieurs assassins débarquent sur les lieux et tuent tous les patients à l’exception d’une fillette qui parvient à leur échapper. Dix ans plus tard, la jeune femme – nommée Ja-yoon – décide de participer à un télé-crochet où elle est reconnue par ses anciens tortionnaires… De l’avis général, deux titres de ce Gérardmer cuvée 2019 ont réussi à sortir du lot : Rampant et The Witch : Part 1 – The Subversion. Soit deux productions sud-coréennes radicalement différentes (l’un est un film de sabre horrifique, l’autre un actioner high-tech), mais partageant néanmoins une même volonté de proposer un spectacle à la fois musclé et rigoureux. Réalisé par Park Hoon-jung (New World et surtout le magnifique The Tiger : An Old Hunter’s Tale), The Witch : Part 1 – The Subversion est un long-métrage particulièrement efficace que l’on pourrait décrire comme le mélange de X-Men et Timebomb. Visuellement, le metteur en scène tend vers une sobriété crédibilisant d’emblée les aspects les plus outranciers d’un scénario où se côtoient mutants assassins, sociétés secrètes et ados en crise. Très dense, le script évite le schématisme habituel de ce type d’exercice (personne n’est ni tout blanc, ni tout noir), même si cette volonté d’explorer en profondeur les émois de chacun alourdit parfois la fluidité de la narration. Notamment via un épilogue qui, s’il prépare le terrain pour l’obligatoire séquelle, vient gâcher la portée émotionnelle d’un climax déjà trop bavard pour son propre bien… Des peccadilles au vu des impressionnantes qualités affichées par The Witch…, dont n’importe quelle scène d’action supplante aisément tout ce que Hollywood peut proposer en matière de combats mano a mano. Adepte d’un découpage classique et lisible, le scénariste de J’ai rencontré le diable ne rate jamais une occasion de mettre en avant les aptitudes de son héroïne (Kim Da-mi, parfaite) lorsqu’elle se défend ardemment contre une horde de bad guys iconisés façon manga. Cerise sur le gâteau, le long-métrage de Park Hoon-jung confirme, si besoin était, le talent des cinéastes asiatiques pour mélanger les genres sans affecter la cohérence de leurs travaux. Trépidant, touchant et parfois même très drôle, The Witch : Part 1 – The Subversion n’a donc pas volé le prix que le Jury SyFy lui a décerné.

J-B.H. 




ANIARA 
DE PELLA KAGERMAN & HUGO LILJA. PRIX DU JURY. 
Après avoir épuisé l’intégralité des ressources de la Terre, la population est contrainte d’embarquer dans d’immenses vaisseaux pour rejoindre la planète Mars. Mais l’un de ces cortèges spatiaux est victime d’un accident forçant l’équipage à changer de trajectoire… Loin des délires gore d’un Puppet Master: The Littlest Reich ou d’un Lifechanger, ce long-métrage de science-fiction suédois joue la carte de la fable pour mieux souligner la fragilité de nos sociétés modernes. Plutôt convaincant dans la forme (l’aspect minimaliste renforce la crédibilité du concept), Aniara pêche par un excès de froideur (l’héroïne est assez peu charismatique) et un traitement simpliste (pas un personnage masculin à sauver !) qui amoindrissent la pertinence thématique de cette étude du constructivisme social. Ce qui ne l’a pas empêché de récolter le Prix du Jury, ex aequo avec son compatriote The Unthinkable.

J-B.H. 




LIFECHANGER 
DE JUSTIN MCCONNELL. EN COMPÉTITION. 
Quelque part entre le Rage de David Cronenberg et le Borrower de John McNaughton, cette production canadienne s’intéresse au cas d’un individu obligé de changer régulièrement de corps pour survivre. Une condition difficile à supporter pour cette créature transgenre (homme ou femme, jeune ou vieux, n’importe quelle enveloppe charnelle fera l’affaire) secrètement amoureuse d’une jolie trentenaire (Lora Burke, très juste). À l’évidence tourné à l’économie, Lifechanger tire le maximum d’un budget étriqué (direction artistique soignée, SFX crédibles), même si sa photographie un peu trop numérique (manque de texture, couleurs ternes) lui confère un patine de DTV assez quelconque. D’un point de vue dramatique, l’étude de caractère s’avère trop succincte pour laisser des traces (une voix off pleine de généralités sur le sens de la vie ne suffit pas à exploiter l’aspect philosophique du pitch), d’autant que les différents comédiens prêtant leurs traits au protagoniste ont du mal à nous convaincre qu’ils interprètent une seule et même personne. D’où la résonance émotionnelle limitée d’un dernier acte certes efficace, mais pas aussi poignant que le souhaiterait son réalisateur.

J-B.H. 




ENDZEIT – EVER AFTER 
DE CAROLINA HELLSGÅRD. EN COMPÉTITION. 
Alors oui mais non. Une apocalypse zombie sous l’angle écolo-féministe, on prend. Mais quand le traitement débouche sur un pensum hippie bienséant où il faut planter les zomblards dans la terre comme un géranium pour qu’ils deviennent sympas, on a un peu de mal. Endzeit Ever After, deuxième oeuvre de la Suédoise Carolina Hellsgård (Wanja), fait partie de cette frange typique de films de festival qui s’adonnent au genre avec la prétention de « l’amener ailleurs », mais sans avoir les armes cinématographiques pour y parvenir. Du coup, voir des personnages issus du guide du parfait petit Social Justice Warrior rencontrer une morte-vivante jardinière avec un pissenlit collé sur la tronche ne sert ni la cause du film de zombies, ni celle du film militant. Et encore moins celle du cinéma. Rappelons qu’un long-métrage ne se limite pas à une note d’intention dans l’air du temps destinée aux organismes financiers : encore faut-il l’incarner pour lui donner vie.

L.D. 




ZOO 
DE ANTONIO TUBLEN. HORS COMPÉTITION. 
Avec Zoo, le cinéaste Antonio Tublen prouve qu’un bon scénario et une poignée de comédiens motivés restent la meilleure façon de compenser l’étroitesse d’un budget limité. Inutile de dire que ce huis clos horrifique n’aurait pas volé sa place en compétition officielle…
La vie de Karen et John change du tout au tout lorsqu’ils apprennent qu’ils ne pourront pas avoir d’enfants. Depuis, les deux tourtereaux vivent en ermites, se coupant volontairement du monde qui les entoure. Mais quand la ville est frappée par une mystérieuse pandémie transformant les gens en infectés voraces, John et Karen se demandent si la tension générée par l’événement, conjuguée à leurs blessures émotionnelles, n’auront pas raison de leur amour… Uniquement situé dans un appartement servant de refuge aux témoins d’une apocalypse virale, Zoo est un peu la version « couple » de La Nuit a dévoré le monde, le zombie flick intimiste français présenté l’année dernière à Gérardmer. Sans être foncièrement novatrice, cette approche en huis clos s’avère être la plus grande force d’un long-métrage dont les qualités d’interprétation et d’écriture permettent aux protagonistes d’afficher une authenticité plus palpable que dans la plupart des titres projetés durant le festival. Passé une première partie trop elliptique, Zoo trouve son rythme de croisière dès lors que les époux acceptent d’ouvrir leur porte à un couple en quête d’un abri. Mais au lieu de chercher à s’unir pour résister au danger extérieur, ces personnages vont se livrer à une guerre des nerfs sous la forme d’une série de scènes malaisantes où chacun défend coûte que coûte son territoire. Souvent drôle (lorsque chacune des femmes tente de surpasser l’autre en matière de nuisance sonore sexuelle), parfois inconfortables, ces affrontements doivent beaucoup à des comédiens particulièrement convaincants, à commencer par Zoë Tapper (sosie de l’Américaine Vinessa Shaw), qui tire le meilleur d’un rôle pourtant assez risqué sur le papier. Très à l’aise dans sa direction d’acteurs, le Suédois Antonio Tublen (auteur du fauché LFO) ne laisse jamais le style prendre le pas sur la narration, ce qui ne l’empêche pas de recourir à une large gamme cinématographique pour rompre la monotonie induite par son décor unique : cadrages soignés, jump cuts audacieux et effets sonores multicanaux. On soulignera d’ailleurs la rigueur d’un réalisateur qui assume (presque) à 100 % son parti pris d’isolement en refusant de sortir sa caméra de l’appartement, quand bien même ses protagonistes décident de s’aventurer à l’extérieur pour y chercher de l’aide. Autant de qualités qui font regretter que Zoo n’ait pas été sélectionné en compétition, tant cette love story eschatologique dépasse de la tête et des épaules la plupart des films diffusés cette année au festival.

J-B.H. 




PHIL TIPPETT : MAD DREAMS AND MONSTERS 
DE GILLES PENSO & ALEXANDRE PONCET. HORS COMPÉTITION. 
Inutile de tourner autour du pot : l’auteur de ces lignes connait très bien les deux responsables de ce documentaire et a pu suivre mois après mois l’accouchement puis le biberonnage de leur dernier-né. Tentons néanmoins d’observer une certaine « distance de sécurité » afin de pondre un avis déontologiquement recevable. C’est parti. Dans le docu, l’exercice du portrait est un vrai piège à retardement pour un réalisateur. Fatalement contraint de montrer patte blanche pour avoir un accès privilégié à son sujet, son entourage et ses archives, il doit naturellement opter pour une approche au mieux dans-le-sens-du-poil-mais-pas-trop-non-plus, au pire hagiographique donc un peu pétrifiée. Ici, Penso & Poncet ne laissent jamais leur regard de fans dominer leur objectif, conscients que la sanction serait immédiate pour le spectateur s’ils abordaient sans filtre affectif la personnalité qu’ils veulent percer à jour. Phil Tippett : Mad Dreams and Monsters se construit intelligemment sur un système de triple point de vue : celui de ses réalisateurs, à travers leur montage et leurs transitions bien senties ; celui des proches de Tippett qui, il est vrai, s’accordent tous à dire peu ou prou la même chose sur le talent et la passion du bonhomme ; et celui de l’intéressé lui-même, dont la fièvre créatrice intarissable est captée lors de ses sessions de travail, notamment sur Mad Dog, son magnum opus en stop motion réalisé loin des plateaux hollywoodiens. C’est de ces moments, où le spectateur est directement confronté à l’univers mental de Tippett, que le documentaire tire ses meilleurs instants, suspendus aux gestes méticuleux d’un artisan parfois poussé au bord du précipice par une industrie cruelle qu’il n’aurait pu affronter sans l’aide de son épouse et associée Jules Roman. Vous connaissez la formule : derrière chaque grand homme…

F.F. 




RAMPANT 
DE KIM SUNG-HOON. EN COMPÉTITION. 
Cet alter ego cinématographique de la série Netflix Kingdom fut l’une des excellentes surprises du festival, avec ses zombi [...]

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