Gerardmer 2015

Le sacre logique et prévisible de l’excellent IT FOLLOWS 2015 n’a pas occulté la qualité globale d’une sélection scrutée et étudiée par nos envoyés spéciaux. Depuis Paris et en léger différé, voici notre bilan de cette 22e édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer.
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EX MACHINA
D’ALEX GARLAND – USA/G-B. – PRIX DU JURY EX-ÆQUO

Une bonne séance d’ouverture à Gérardmer ! La volonté d’enchaîner sur une oeuvre fédératrice après les discours officiels engendre en effet des choix souvent tiédasses, le pire ayant sans doute été atteint l’année dernière avec Mindscape – aïe. Raison de plus pour saluer l’heureuse option représentée par cet Ex Machina qui marque en outre le passage derrière la caméra d’Alex Garland, l’auteur fétiche de Danny Boyle : La Plage était tiré d’un de ses romans, et il a ensuite écrit le scénario de 28 jours plus tard et de Sunshine. Pourtant, la qualité du film ne tient curieusement pas tant que ça à son script, un peu mécanique dans sa manière de dérouler les retournements d’alliances et autres rebondissements attendus dans un huis clos à trois personnages. Employé chez un géant du Net combinant moteur de recherche et réseau social, un jeune homme gagne à une loterie interne l’invitant dans la villa/techno-centre de son patron. Sa mission : interagir avec l’androïde femelle créé par ce dernier pour déterminer si, oui ou non, la machine est dotée d’une intelligence comparable à la conscience humaine. Cependant, la belle ne tarde pas à glisser l’idée que le grand manitou est en fait un très sale type cachant les véritables raisons de l’expérience…

Mais si l’histoire est parfois cousue de fil blanc, Garland surprend agréablement au niveau de la réalisation. Avec lucidité, il n’essaie pas de faire oublier son passé de scénariste en « faisant cinéma » à tout prix ou en copiant les tics visuels de son complice Boyle. Au contraire, sa mise en scène est plutôt rigoureuse, exploitant au mieux les possibilités d’un incroyable décor qui tient tour à tour de l’open space et du bunker. Notamment, l’alternance de baies vitrées et de pièces sans fenêtres souligne la dualité transparence/opacité à l’oeuvre dans le récit. De plus, sa direction d’acteurs est déjà très sûre, comme le montre un trio de protagonistes dont chacun possède sa part d’ombre et ses raisons d’agir. Oscar Isaac, le comédien qui ne cesse de monter, compose ainsi un nabab à la fois quasi bestial et nanti d’une culture encyclopédique, évoquant simultanément Bill Gates, Mark Zuckerberg et… Dominique Strauss-Kahn ! Quant à la délicieuse Alicia Vikander, elle parvient à inventer un nouveau type de femme fatale, en combinant une certaine froideur robotique avec un charme qui nous fait bien sentir que le naïf héros tombe amoureux d’elle au premier regard. Distingué par le jury (le film cumulait l’ouverture et la compétition), Ex Machina est donc une très honnête illustration du thème de l’intelligence artificielle, annoncée dans les salles françaises pour le 27 mai prochain.

Gilles Esposito

 

ABCs OF DEATH 2
DE DIVERS – USA/NOUVELLE-ZÉLANDE/CANADA/ISRAËL/JAPON – HORS-COMPÉTITION

L’anthologie horrifique « All Star » revient avec un nouveau volume reprenant la formule du précédent : une mort par lettre de l’alphabet, à chaque fois illustrée par un (ou des) cinéaste différent. Selon la formule désormais convenue : y a à boire et à manger, même si l’on peut affirmer sans trop de risque que le niveau est globalement inférieur à celui du premier volet. Beaucoup de segments sont purement génériques, quand certains s’avèrent carrément irritants (le très facile M is for Masticate et son zombie au ralenti façon Zombieland, l’insupportable P is for P-P-P-P Scary ! et sa faconde Three Stooges qui ne mène à rien, les fainéants E is for Equilibrium et B is for Badger). Pire, les noms les plus attendus déçoivent : Vincenzo Natali verse dans la mini-fable SF option « j’dénonce » avec U is for Utopia et Bill Plympton ne se foule pas trop la couenne en nous refaisant Your Face version couple avec H is for Head Games. Un bilan pas très encourageant que viennent contrebalancer quelques belles réussites comme I is for Invincible d’Erik Matti, qui signe une farce macabre grinçante façon Creepshow via, comme toujours avec le Philippin, une approche visuelle solide et inventive. Contrairement à l’opus précédent, les Japonais se distinguent avec O is for Ochlocracy, le sketch de Hajime Ohata (Henge), où des zombies tiennent un tribunal pour juger les vivants, et avec aussi Y is for Youth du maquilleur SFX Soichi Umezawa, qui malgré son côté bricolé illustre la révolte ado avec une belle énergie nawak-punk. Tout le contraire du très maîtrisé S is for Split, exercice depalmien en diable (et un poil vain) de Juan Martinez Moreno. Le petit bijou de cet abécédaire resteK is for Knell du duo franco-lituanien Kristina Buozyte/Bruno Samper (le très beau mais un peu chiant Vanishing Waves), où une jeune femme assiste de son appartement à l’avènement du Mal à l’état pur. Un beau moment de tension au découpage rigoureux, quelque part entre Polanski et Cronenberg. Enfin, mention spéciale aux zigotos Bustillo et Maury, qui se dépatouillent avec les honneurs d’une lettre relou (X is for Xylophone) en livrant un segment qui jongle avec l’humour noir, le gore craspec et la mélancolie en quelques plans seulement.

Laurent Duroche

 

THE MIRROR
DE MIKE FLANAGAN – USA – FILM DE CLÔTURE

Les fantômes ne sont pas morts ! Cela fait pourtant belle lurette que les spectres cinématographiques n’engendrent plus que des oeuvres formatées dont les « jump scares » éventés feraient à peine sursauter nos grands-mères : voir notamment les embarrassantsOut of the Dark et Ouija montrés cette année à Gérardmer. Mais voilà-t’y pas que ce The Mirror (Oculus de son titre original), projeté en clôture, nous rappelait soudain que le genre pouvait encore faire mouche. Une surprise d’autant plus grande que le sujet ne paye pas de mine a priori : un jeune homme, dont on devine qu’il a tué ses parents lors d’une crise de démence survenue quand il était petit, est libéré d’un hôpital psychiatrique, les toubibs l’estimant guéri de ses hallucinations. Or, sa visite à sa soeur, autre survivante du drame, nous place d’emblée à fronts renversés. Le dingo se retrouve à défendre contre vents et marées les explications rationnelles inculquées par les psys, tandis que la frangine se met à s’exalter en expliquant qu’elle a racheté le miroir trônant jadis dans la maison familiale, antiquité ayant selon elle causé des bains de sang chez tous ses propriétaires successifs. Bref, on comprend que c’est elle qui aurait dû partir à l’asile, à la place d’un frérot sans doute innocent. Ce dernier fait cependant contre mauvaise fortune bon coeur, acceptant de seconder sa cadette dans une cérémonie visant à annihiler l’objet maudit…

C’est là que le montage parallèle avec les événements survenus 11 ans auparavant, qui semblait un peu laborieux dans sa peinture d’une lente décomposition familiale, finit par prendre tout son sens. En fait, ces souvenirs étaient dès le début des images mentales, qui deviennent de plus en plus fortes quand notre héros se retrouve face au miroir, celui-ci étant censé altérer la perception de la réalité chez tous ceux qui s’en approchent. Du coup, The Mirror s’impose comme une des rares péloches américaines à avoir retenu les leçons de ce fantastique japonais après lequel Hollywood court depuis 15 ans, presque toujours en vain. En particulier, la convergence progressive du passé et du présent dans un lieu unique évoque pas mal le Réincarnation de Takashi Shimizu. Ajoutez quelques revenants aux yeux luminescents, qui ont rappelé à certains l’imagerie des films de Lucio Fulci, et le compte est bon. Pour autant, cette réussite devient moins étonnante quand, renseignements pris, on se rend compte que le réalisateur Mike Flanagan n’est autre que l’auteur d’Absentia, excellente histoire de disparus tournée avec un [...]

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