GARETH EVANS : ASSAUT SUR LE CINÉMA D’ACTION
Vous avez revu Assaut juste avant l’enregistrement de cet entretien. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette redécouverte ?
Déjà, la musique d’ouverture… Je me souviens qu’enfant, je réalisais déjà à quel point le synth score était cool. Mon coordinateur des cascades et moi sommes allés voir John Carpenter en concert à Londres, et quand ce thème a commencé, on est tous devenus fous. Cette B.O. me projette immédiatement dans les années 80. D’ailleurs, je crois que j’ai entendu le score d’Assaut avant de voir le film, sans doute sur une compilation qui traînait dans la collection de mon père. Ces quelques notes élèvent vraiment la production value du film.
Dans la scène d’ouverture du film, Carpenter fait quelque chose de très subtil : ce sont les policiers qui sont déshumanisés. Ils se résument littéralement à des fusils à pompe. Le spectateur est aux côtés des membres du gang.
Oui, et ensuite Carpenter renverse la situation. On est du côté des occupants du commissariat, et les attaquants restent dans l’ombre. C’est tellement brillant. Les gros plans sur les fusils à pompe, c’est vraiment une idée de génie. Cette économie d’échelle nous a beaucoup inspirés pour le premier The Raid. J’aurais adoré pouvoir tourner un plan où des centaines de gens chargent en direction du SWAT et des policiers, mais on n’avait pas le budget. Je ne pouvais me permettre que dix, allez, quinze opposants. Pendant la préparation du film, j’ai revu de nombreuses fois Assaut, et j’ai réalisé que je n’avais pas besoin de montrer une armée pour qu’on ressente la fermeture du piège autour des héros. Un peu plus tard dans le Carpenter, il y a cette scène hallucinante où les balles traversent le hall du commissariat, les vitres, les tables, avec des pops très discrets. Je crois que c’est à la moitié du film, et une fois que ça a commencé, ça ne s’arrête plus. Mais on ne voit personne ! On n’entend que les coups de feu tirés au silencieux. On a fait à peu près la même chose sur The Raid. Avec quelques collègues, on est allés dans le studio de mixage et on a enregistré autant de voix patibulaires que possible pour gonfler certaines séquences. On changeait d’octave, de ton, de style, et en superposant toutes les voix, on avait l’impression d’entendre des centaines de personnes différentes. Ça, c’est du pur Carpenter. Il a toujours été un maître dans l’art de l’économie, et il a toujours su vendre une sensation d’échelle sans forcément en avoir les moyens financiers. Tous ses films ont l’air énormes, et pourtant la plupart n’ont presque rien coûté.
Il y a un autre plan très impressionnant au début d’Assaut : ce long et lent panoramique de la gauche vers la droite au milieu du ghetto désert. Une grande partie du film se déroule en huis clos, mais Carpenter soigne ses très rares escapades en extérieurs. On se sent déjà piégé, en dépit du ciel ouvert.
Oui, il y a une ambiance de ville fantôme. Carpenter semble avoir tourné tous ses extérieurs de sorte qu’ils correspondent à la claustrophobie de ses intérieurs. Et franchement, quand ce camion s’arrête dans ce quartier désert, c’est d’une tristesse absolue. Il veut servir qui ? (rires) Et ensuite, il y a le père dans la cabine téléphonique, la gamine qui essaie d’acheter sa glace… Visuellement, tout est désolé, coupé du monde. Carpenter fait attention à ne pas remplir son cadre de figurants, et son gigantesque Cinémascope souligne ce vide. On ne peut pas s’échapper. Et entre nous, réussir à créer une tension en pleine lumière, en extérieur, dans des espaces très vastes, ce n’est pas une mince affaire.
Le meurtre de la gamine est toujours aussi extrême.
Je ne sais pas si ça a choqué les gens à l’époque, mais c’est bizarrement encore plus choquant aujourd’hui. Assaut est sorti en 1976, n’est-ce pas ? On sortait d’une décennie très chargée en provocation. Il y avait un contexte très particulier. Mais aujourd’hui, on n’a plus l’habitude de voir des choses comme ça au cinéma. Ça arrive plus souvent à la télévision, ironiquement. Quand j’étais gosse, la télévision censurait tout, mais ça a changé. Ce que j’aime aussi avec la scène du meurtre, c’est qu’elle est imprégnée d’un vrai humour noir. Elle revient vers le camion de glace parce qu’elle n’a pas eu le bon parfum, et elle se prend une balle ! C’est tellement sadique et bizarre !
Et c’est si simple. Elle demande une nouvelle boule de glace, le tueur pointe son arme vers elle sans même la regarder, on revient sur elle, son torse explose, et elle tombe. Trois plans, sans le moindre effet.
Oui c’est fantastique. Il y a un autre plan que j’adore dans le film, qui a été réutilisé des milliers de fois depuis : juste avant le meurtre de la gamine, le gang se balade en voiture et cherche quelqu’un à assassiner. Il y a ce plan hallucinant de la fenêtre qui s’ouvre, et du canon qui en sort très, très lentement. Tout le monde a copié ça !
Ce plan si long, si lent, si pesant… On sent d’ailleurs le poids du canon qui appuie sur la vitre. Il y a même un cran dans son avancée. La composition devient très géométrique, avec la verticalité de la porte et l’horizontalité du canon.
C’est très calme, très méthodique, et ça rend la scène encore plus effrayante et intense. Encore une fois, l’économie narrative de Carpenter est sidérante, car elle arrive à provoquer un maximum d’émotions chez le spectateur. Assaut pose vraiment les bases de son style, et on entrevoit déjà ce qu’il apportera sur ses films suivants. Le flic et le prisonnier sont presque des précurseurs de The Thing. Leur relation est très proche de celle qu’entretiennent les personnages de Kurt Russell et Keith David. On peut aussi voir des germes des Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin.
La réplique « Vous avez un clope ? » est également typique de Snake Plissken.
Oui, exactement. On dirait que Carpenter est en train de créer ses propres archétypes, ses héros badass et vulnérables que l’on aime tant. Il s’inspire autant du western que du film noir. Je me souviens d’ailleurs avoir r [...]
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