GANGS OF LONDON SAISON 1 DE GARETH EVANS & MATT FLANNERY

Pour être honnêtes, nous attendons de vous parler de la série Gangs of London depuis le mois de mai 2020. Baladée entre plusieurs diffuseurs depuis sa programmation anglaise en avril, la série est finalement visible en France depuis le 15 novembre par le service de streaming Starzplay, disponible via Prime Vidéo. Préparez-vous à quelques gros morceaux d’action férocement spectaculaires, dignes de ce que l’on peut attendre de l’auteur de The Raid.

Àl’origine de Gangs of London, il y a un jeu vidéo oublié, un spin off de la franchise The Getaway sorti sur PlayStation Portable au milieu des années 2000. Gareth Evans n’en préserve que le titre et le concept central : la fin d’une alliance entre différents gangs va bientôt mettre la capitale anglaise à feu et à sang. Grand admirateur de John Woo (cf. dossier p. 66), Evans embrasse sans complexe des codes narratifs issus de l’opéra, le meurtre d’un parrain bouleversant du jour au lendemain les projets d’une dizaine de clans distincts. Parmi eux, il y a les Wallace, une famille désormais orpheline dont le fils aîné va se retrouver propulsé à la tête d’un empire instable. Au lendemain des funérailles, tous semblent décidés à devenir calife à la place du calife, et les trahisons sanglantes ne tardent pas à se multiplier. Une nouvelle recrue des Wallace, Elliot, se retrouve plongée dans ce chaos incontrôlable... à moins qu’il n’en soit lui-même l’un des principaux instruments.



BULLET BALLET
Les intrigues de cour sont au centre de Gangs of London, et inspirent à Gareth Evans quelques face-à-face très subtils. Les échanges entre Sean Wallace (Joe Cole, Peaky Blinders) et sa mère (Michelle Fairley, ex-Catelyn Stark dans Game of Thrones) jouent sur des mouvements de caméra étranges, par exemple de longs panoramiques évoluant dans un sens contraire à la logique. Le réalisateur souligne dès qu’il le peut les rapports faussés entre ses protagonistes, et essaie de visualiser par sa mise en scène la hiérarchie de la pègre (voir cette excellente scène de réunion secrète digne du SPECTRE). S’appuyant sur le charisme de comédiens très bien castés (Sope Dirisu est exceptionnel dans le rôle d’Elliot, Colm Meaney en impose dans celui de Finn Wallace), Evans opère tout au long du long pilote divisé en deux épisodes une montée en tension progressive, qui explosera lors de deux séquences de combat à la violence cathartique. L’affrontement dans le pub qui clôt la première partie du pilote n’a clairement rien à envier en termes d’énergie, de chorégraphie et de brutalité aux morceaux de bravoure des deux The Raid. La précision et l’impact des attaques sont sidérants, sans pour autant gommer une impression de spontanéité et de danger permanente. C’est là toute la réussite de Gangs of London : ses séquences d’action mêlent des sentiments de confusion et de contrôle, les successions de mouvements étant parfaitement lisibles mais jamais prévisibles. Le combat au couteau de boucher qui clôt la seconde partie du pilote est encore plus implacable, Evans filmant chaque coup porté comme si c’était le dernier.



ACTION MEN
Ces deux déclarations d’amour au cinéma d’arts martiaux (on pense forcément à Jackie Chan dans la manière dont le mobilier du pub est utilisé par les belligérants) auraient pu satisfaire Gareth Evans. S’il laisse sa place à Corin Hardy pour les épisodes 2 à 4, le cinéaste insiste tout de même pour prendre en charge deux scènes d’action isolées : un hallucinant combat à la hache entre Elliot et un tueur à gages dans un immeuble en construction, et un gunfight dans un camp de gitans dont le découpage emprunte énormément à John Woo. Les lancers de grenade et les déplacements rapides des personnages entre deux tirs de fusil à pompe rappellent clairement la scène de l’entrepôt d’À toute épreuve, qu’Evans décrit dans ces pages comme l’un des moments fondateurs de sa cinéphilie. De même que cette séquence préparait le spectateur au cataclysme de l’hôpital, l’épisode 5 peut être considéré comme le climax de Gangs of London, l’accomplissement du projet stylistique de son auteur. Consistant en un long flash-back dans la campagne anglaise, ce chapitre quasi autonome consiste en une fusillade aux proportions inédites dans l’Histoire de la petite lucarne, et rarissimes dans celle du grand écran. Le sens du cadre, du timing et du raccord parfait d’Evans brille ici comme jamais, l’épuisement progressif du spectateur se faisant l’écho de celui des personnages. Ces 25 minutes justifient à elles seules le visionnage de Gangs of London, ne serait-ce que pour se venger de dix années de cabrioles déshumanisées à la sauce Fast and Furious. Ici, les coups de feu sont illustrés sans hypocrisie, la mort est glaçante, et les explosions déchiquètent les corps dans des ralentis cauchemardesques. Si vous avez pris goût aux super-héros en chewing-gum qui rebondissent sur le toit d’un taxi après des chutes de 100 mètres, passez votre chemin.



LE BON LIEUTENANT
Evans ayant tué la compétition en deux épisodes et demi, s’accaparant au passage une grande partie de l’enveloppe budgétaire de départ, que reste-t-il des chapitres réalisés par Corin Hardy et Xavier Gens ? Hardy hérite clairement de la tâche la plus complexe avec l’épisode 2, dont le rythme souffre d’une tornade d’exposition indispensable à l’ensemble du récit. Mais en dépit de cette accumulation de portraits parfois étouffante, l’auteur du Sanctuaire convainc par une ambiance sous haute influence de Michael Mann. Le double jeu d’Elliot évoque forcément la position de Sonny Crockett et Ricardo Tubbs, et le style de mise en scène tente peu à peu d’émuler celui du film Miami Vice. En témoigne cette séquence de guet-apens nocturne dans une ruelle, où le nouveau parrain et sa garde rapprochée se retrouvent dans la ligne de mire d’un impitoyable sniper. D’une violence étourdissante, ce jeu de massacre perçu en grande partie à travers les yeux de Sean maintient le niveau d’exigence délirant posé par Evans. Le plan-séquence qui s’ensuit, traquant tous les membres de la famille Wallace à travers une demeure transformée en hôpital de guerre, permet quant à lui d’évaluer l’apport créatif de Hardy au projet dans son ensemble. 



FRENCHIE DANS LA PLACE
Devant succéder directement au spectacle phénoménal du chapitre 5, Xavier Gens se retrouve forcément avec des comptes en grande partie taris par les joyeux caprices de Gareth Evans. Pas question pour lui de se lancer dans des ballets chorégraphiques étirés sur des bobines entières. L’auteur de Cold Skin renverse donc la formule de Gangs of London avec l’épisode 6, longue séance de torture en huis clos bercée par les accords de Only You des Platters. La justesse de son cadre et de sa direction d’acteurs détourne les attentes du spectateur, et la violence se fait soudain plus viscérale, évoquant celle de Funny Games de Michael Haneke. Cette longue bataille morale au sein de la famille Wallace peut déranger, mais c’est justement ce qui fait la force de la proposition de Gens. Ses épisodes suivants se montrent plus marqués par une cinéphilie évidente, quelques scènes évoquant les gunfights succincts et dévastateurs de William Friedkin ou les réflexes anarchistes de David Fincher. Le cinéaste en profite tout de même pour pimenter la « gory value » de l’entreprise avec une descente effroyable dans une banque d’affaires, et surtout un combat à la machette entre un père de famille menacé et ses investisseurs mécontents. Dans Gangs of London, les affaires se concluent toujours dans le sang. 




INTERVIEW GARETH EVANS
SHOWRUNNER & RÉALISATEUR
Avec Gangs of London, Gareth Evans est bien décidé à repousser les limites de l’action sur le petit écran. Réalisateur du pilote en deux parties, d’un épisode 5 comportant une fusillade épique de 25 minutes, mais aussi de quelques morceaux de bravoure au sein des chapitres de Corin Hardy, Evans revient pour nous sur la genèse et les ambitions stylistiques du show.


Vous avez créé la série avec votre directeur de la photographie Matt Flannery…

Oui. Pour vous donner un contexte, Matt et moi nous connaissons depuis l’université. Il prenait des cours d’écriture et de photographie. Je voulais tout le temps faire des courts-métrages, donc je lui demandais régulièrement de tenir la caméra. Matt est naturellement devenu mon directeur de la photographie quand j’ai tourné mes premiers longs. On avait les mêmes goûts, on s’intéressait aux mêmes films, nos styles étaient compatibles. Sur chaque nouveau projet, j’ai pris l’habitude de lui envoyer le scénario en premier : je lui demande de m’envoyer ses notes, car il a étudié l’art du scénario. Il m’a toujours fait des retours et des suggestions d’une grande pertinence. J’étais encore en Indon&ea [...]

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