FRANKENSTEIN de Bernard Rose
Frankenstein
Difficile, pour le réalisateur de Paperhouse et Candyman, d’échapper au bide cinglant (et totalement injustifié) dont a été récemment victime son riche concurrent, le Docteur Frankenstein de Paul McGuigan. Produit pour moins de 3 millions de dollars, soit vingt fois moins que le blockbuster de la Fox, le Frankenstein de Bernard Rose essuie aujourd’hui les plâtres d’un marché de plus en plus étriqué. On peut même craindre que le film soit oublié avant d’avoir pu rencontrer son audience, un risque décuplé par une distribution limitée à la vidéo (bande de chanceux : on vous le propose avec votre mag’). Ce serait tragique, car le long-métrage propose l’adaptation la plus novatrice des écrits de Shelley depuis le Frankenstein junior de Mel Brooks. Désireux de prendre le genre à revers, Bernard Rose étonne déjà par ses choix esthétiques radicaux, accentués par une économie de moyens obligatoire. Certes, le tournage éclair n’est pas sans occasionner quelques maladresses à l’écran, notamment lorsqu’une foule en colère à la crédibilité toute relative fait subir à la créature un chemin de croix elliptique. Avouons-le, Frankenstein peut paraître cheap par moments, mais son budget réduit renforce paradoxalement ses partis pris visuels et son travail minutieux sur le point de vue. Entièrement narré à la première personne, le film tire profit de décors minimalistes ; des décors qui s’éclaircissent au fur et à mesure que la créature comprend le monde des hommes. Ainsi, les murs décrépits du laboratoire originel ont beau avoir été vus dans mille autres séries B, ils trouvent ici une résonnance dramatique indéniable, symbolisant le secret honteux que représente le monstre. L’exploration de la nature environnante, puis d’une ville décadente (volontaire ou non, le choix de Los Angeles est approprié), suit la même logique. Rose fuit les plans larges, exploite en permanence le hors champ et opte la plupart du temps pour de longues focales afin de canaliser la désorientation de son personnage, mais aussi ses tâtonnements dans le monde des vivants. En résulte une expérience sensorielle souvent puissante, ponctuée par des sursauts de violence effroyables.
Évoquant Frère de sang ou Maniac dans sa manière d’arpenter caméra à l’épaule les bas-fonds d’une mégalopole dégénérée, Frankenstein renverse comme chez Frank Henenlotter et William Lustig les repères moraux de son récit. Interprété avec une implication quasi maladive par l’Australien Xavier Samuel (vu en boyfriend séquestré dans The Loved Ones), le monstre s’impose dès le plan d’ouverture comme le noyau du projet, son vecteur émotionnel fondamental. Les sévices cliniques, les châtiments corporels et les mutations cellulaires qu’il subit dès sa création conditionnent l’ensemble du récit, et Rose n’hésite pas à baigner son premier acte dans une violence exacerbée et systématique, tellement extrême qu’elle questionne la notion même d’humanité. Cette violence contraste avec une voix off au recul salvateur, reproduisant au mot près les monologues romantiques du roman de Shelley. S’il change d’époque et évite comme la peste toute imagerie gothique (l’idée d’une créature imprimée en 3D est au contraire digne d’un Cronenberg, et une scène de nudité pourrissante rappelle La Mouche), Bernard Rose respecte ainsi constamment l’essence du livre, auquel il voue une fidélité sans bornes. Les chapitres de la petite fille, de l’aveugle et des retrouvailles avec le créateur en témoignent, et le discours sociétal qui s’installe peu à peu révèle à quel point le propos de Shelley, pourtant bicentenaire, reste aujourd’hui brûlant.
Alexandre PONCET
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