EXPOSITION VAMPIRES : Rencontre : Matthieu Orléan

À partir du 9 octobre, la Cinémathèque française organise une ample exposition « Vampires, de Dracula à Buffy », accompagnée de la publication d’un catalogue et d’un cycle de projections. Matthieu Orléan, le commissaire de l’expo nous en détaille les cinq parties principales, tout en signalant les pièces à ne pas rater. MM333_
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LE PREMIER SANG
En 2013, j’ai été très enthousiasmé par la vision d’Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, et j’ai alors commencé à réfléchir au fait que beaucoup de cinéastes importants ont livré, à un moment donné de leur carrière, LEUR film de vampire. Or, qu’est-ce qui peut relier tous ces réalisateurs, de Dreyer à Jarmusch, en passant par Ferrara, Bigelow, Burton, Guy Maddin, Jess Franco ou qui vous voudrez ? Au départ, cette interrogation n’était pas forcément formulée comme une expo, mais je me suis vite rendu compte que le sujet pouvait se déployer sur des murs ou dans des vitrines, puisqu’on a des archives, des oeuvres d’art, des photos, des livres, un tas de choses anciennes ou récentes. À mon avis, ces pièces permettent de raconter toutes les strates d’une histoire qui est assez complexe, en plaçant le visiteur/spectateur dans une position intéressante, celle de faire son propre montage. Bien sûr, ce sont les dirigeants de la Cinémathèque qui décident des expositions, mais ils ont été plutôt emballés. Car le domaine n’avait jamais été traité sous cette forme, et en plus, il est génial à cause de sa double nature. D’un côté, il est très pointu et cinéphile, certains films ayant un substrat métaphysique qui parle de la solitude, de la folie, de l’amour, de l’Histoire. En même temps, tout le monde à son idée du vampirisme, lequel nous a été rendu sympathique par un tas de choses inattendues, comme les pubs, les clips, les séries télé. Bref, le vampire est un sujet à la fois savant et ludique, et c’est plutôt bien pour une expo, si on a envie de faire venir du monde. »




1 / PARCE QU’IL VIENT DE LOIN
« Il m’a semblé important de commencer l’exposition en définissant ce qu’est exactement un vampire. Nous avons donc une première partie assez historique, qui explique pourquoi le mot est apparu au XVIIIe siècle et en Europe de l’Est, tout en mettant l’accent sur les attributs de la créature : la morsure, la contamination, la nuit, le sang, la sépulture, le rapport au religieux, le côté antéchrist. Les textes fondateurs sont bien sûr Carmilla de Sheridan Le Fanu et, quelques années plus tard, le Dracula de Bram Stoker, qui imposent respectivement le vampire femme et le vampire homme. Mais ces deux romans ont été des best-sellers car ils orchestraient, peut-être plus intelligemment que dans des livres antérieurs, des thèmes dans l’air du temps. En effet, tout au long du XIXe siècle, il y a un grand engouement pour le vampirisme, aussi bien en France qu’en Angleterre. Nous avons ainsi une vitrine montrant une littérature française encore plus ancienne que la britannique : dès les années 1830, des oeuvres de Paul Féval ou Théophile Gautier évoquent des femmes revenantes qui sont cousines des vampires. De la même manière, des gravures de Redon ou Gustave Doré représentent des êtres mi-humains mi-oiseaux, portés sur la dévoration. Nous voulions que les gens comprennent que cela vient de très loin, et nous aurions presque pu faire venir des tableaux antiques d’Inde ou des Philippines montrant des créatures buveuses de sang. Or, cela aurait demandé des budgets énormes que nous n’avons pas à la Cinémathèque française, et il s’agit quand même d’une exposition de cinéma. Cette première partie commence donc à parler des films, en se limitant toutefois aux adaptations les plus fidèles de Carmilla et Dracula. »

À VOIR : LE CABINET DU DOCTEUR KINSKI
« L’exposition comporte une très belle salle consacrée aux deux Nosferatu, l’original de Murnau et son remake par Werner Herzog (voir photo d’ouverture – NDLR), qui sont des adaptations non autorisées du Dracula de Stoker. C’est intéressant de les mettre en vis-à-vis, et nous avons même fait un split-screen confrontant leurs scènes finales, qui met en évidence les points communs et les divergences entre Murnau et Herzog. En outre, ce sont deux films sur lesquels il y a beaucoup de documentation, comme des affiches, des photos, et aussi de nombreux objets. Pour le Murnau, nous avons les dessins préparatoires d’Albin Grau. Et s’agissant du Herzog, tous les accessoires ont été déposés à la Cinémathèque de Berlin par le chef-décorateur Henning von Gierke. Nous en montrons 88, parmi lesquels le masque et les fausses mains griffues de Klaus Kinski, la chemise de nuit ensanglantée d’Isabelle Adjani, des pieux, des lampes, des rats, des chauves-souris, des cuillères, des pierres, des torches, des cristaux… Ils sont présentés comme une sorte de cabinet de curiosités, comme si cela appartenait vraiment à l’univers du film. Car von Gierke, qui était artiste en plus d’être décorateur, a veillé à ce que ces pièces ne soient pas conservées de manière traditionnelle. Il y a ajouté des étiquettes en caractères gothiques, qui semblent avoir été écrites non pas en 1979 mais en 1897. Cela crée comme une installation d’art contemporain, qui cause un trouble chez le visiteur : on se demande si ces objets ont été fabriqués pour Herzog, ou si ce dernier a réutilisé des éléments réels. Il y a même de la terre de Transylvanie, alors que le film a en fait été tourné en ex-Tchécoslovaquie. Car évidemment, tout est faux, ce sont des accessoires. Mais l’ensemble engendre une confusion intéressante. »




2 / L’ÉCRAN DÉMONIAQUE
« La deuxième par [...]

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