ÉVOLUTION de Lucile Hadzihalilovic

Onze ans séparent INNOCENCE d’ÉVOLUTION. Onze années durant lesquelles, outre le court-métrage NECTAR, Lucile Hadzihalilovic aura maturé son approche du fantastique, parvenant aujourd’hui à un équilibre accompli entre le fond et la forme, où la poésie surréaliste et horrifique ne se départit jamais d’une ligne narrative concrète qui évite l’écueil trop commun du geste hermétique.
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Nous sommes sous l’eau. Le soleil perce les vagues de ses rayons. Le sourd son du ressac emplit nos oreilles. Nous sommes en gestation. Et nous le serons tout au long de l’histoire de Nicolas, garçon d’une dizaine d’années qui, en compagnie de sa mère, vit sur une île isolée dans un dénuement spartiate. Perturbé par la vision d’un enfant mort au fond de la mer, Nicolas commence à douter de la réalité de ce qui l’entoure. Sa mère lui dit qu’il est malade et lui administre une étrange concoction. Elle l’emmène fréquemment dans un étrange et vétuste hôpital où des infirmières lui font des piqures. Sur l’île, d’autres enfants, d’autres mères. Mais pas de père. Aucun homme, nulle part.
Un postulat qui, bien sûr, rappelle l’étrange pensionnat pour jeunes filles d’Innocence. Ici aussi, Lucile Hadzihalilovic imagine un monde clos régi par des règles souterraines (plutôt sous-marines) faites de rituels ancestraux et de cycles mystérieux qui cherchent de façon subliminale à façonner le corps et l’esprit d’enfants en route pour le monde des adultes. Mais si Innocence malaxait le conte de fées pour l’emmener vers des territoires à la fois plus vastes et plus obscurs, c’est clairement au fantastique et à l’horreur – voire à la science-fiction – que s’attaque Évolution. Le langage reste toutefois le même : le verbe est rare et l’image reine, l’énigme du film se décryptant non pas à travers les dialogues mais en feuilletant le sublime livre d’images que confectionnent Lucile Hadzihalilovic et Manuel Dacosse, directeur photo surdoué (Amer, L’Étrange couleur des larmes de ton corps, Alléluia et Nectar). Épousant la nature contrastée dans laquelle prend place le récit, où l’élément aquatique, gorgé de nuances flamboyantes, ne cesse de se heurter à la minéralité tranchée et tranchante des roches volcaniques inhospitalières de l’île, Évolution est une succession de cadres fixes. Un choix radical qui donne toute sa dimension au magnifique travail sur le grain numérique opéré par Hadzihalilovic et Dacosse (qui avait explosé de façon mémorable les limites du 16 mm sur le Du Welz), qui aboutit à une organicité picturale hypnotique et déstabilisante où la limite entre le charnel et le pourrissement se montre constamment floue et mouvante. Composés avec un soin maniaque, ces cadres ne cessent de verrouiller à la fois la perception du spectateur et celle des personnages, faisant du long-métrage, à l’instar de son décor, une prison mentale et physique dont il faudra décrypter les codes pour en trouver l’issue. Mais, à l’inverse de nombre d’objets filmiques où l’abondance de symbolique peut transformer l’expérience en une galerie d’art abscons, le scénario signé Lucile Hadzihalilovic et Alanté Kavaïté (Écoute le temps) organise ses visions autour d’éléments visuels très concrets qui racontent une histoire totalement compréhensible. Le signe que la réalisatrice de La Bouche de Jean-Pierre tient à ancrer son film dans une tradition narrative héritée de ses influences revendiquées (Les Révoltés de l’an 2000 et le quasi invisible épisode de série Los Bulbos, tous deux de Narciso Ibáñez Serrador, mais aussi Philip K. Dick, H.G. Wells ou H.P. Lovecraft), sans jamais tendre vers le snobisme envers le genre auquel se livrent trop souvent certains cinéastes qui aiment en emprunter les codes pour les « élever » vers quelque chose de, selon eux, plus noble. Entre les déambulations nocturnes et les rituels lascifs et indicibles des monstrueuses « mères », les couloirs et chambres décrépits et suintants de l’hôpital, les expériences contre nature subies par les garçons et les « naissances » qui en découlent, Évolution est un vrai film d’horreur poétique et insidieux dont l’ambiance (décuplée par un sound design aussi discret qu’entêtant qui plonge constamment le spectateur dans une sorte d’immersion sonore, même lors des scènes se déroulant à la surface) rappelle des bijoux surréalistes comme Le Carnaval des âmes de Herk Harvey et Messiah of Evil de Willard Huyck.
Mais malgré les nombreuses clés qui aident le spectateur à retrouver son chemin ou, du moins, à ne jamais se perdre complètement, Évolution parvient tout de même à [...]

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