
ÉVOLUTION + BLIND SUN
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Joyce A. Nashawati : Je venais de découvrir Innocence au cinéma. J’avais été étonnée par la réflexion d’une spectatrice voisine qui m’a dit : « Je n’ai rien compris, mais où est cette école ? ». Quelle drôle de question ! C’est comme dire : « Où est Oz ? ». Peu de temps après, j’ai eu l’opportunité de faire une interview de Lucile pour un magazine. J’étais très contente de défendre son film, comme de la rencontrer !
Lucile Hadzihalilovic : Et quand elle m’a interviewée, je me suis tout de suite dit que je faisais des films pour des gens comme Joyce. Elle comprenait tellement bien le film et elle était incroyablement cinéphile ! Par ailleurs, sa liberté de ton venait du fait qu’elle n’était pas journaliste, ses questions avaient quelque chose de frais.
À quel moment avez-vous voulu devenir cinéastes ?
J.A.N.: C’est venu très progressivement… Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Juste la fac en Angleterre. J’ai fait un mémoire sur Cronenberg dont j’adorais les premiers films.
L.H.: J’ai fait l’Idhec (devenu depuis La Fémis – NDLR). Mais c’est vrai que par rapport aux autres élèves, je me sentais un peu d’une autre planète.
Justement, quelle cinéphile étiez-vous ? Plutôt branchées sur les films « bizarres » ?
L.H.: Oui… Sauf que je ne me le disais pas à l’époque ! Quand j’ai commencé à aller seule au cinéma vers l’âge de 13 ans, j’allais voir les films d’horreur qui sortaient à l’époque. Surtout les Dario Argento qui, pour moi, n’étaient pas « bizarres » en soi. Et quand j’ai découvert Wim Wenders à 17/18 ans, je ne trouvais pas ça spécialement plus normal que les films d’Argento.
J.A.N.: Je suis de la génération VHS. C’est comme ça que j’ai découvert les films d’horreur. Je ne les choisissais pas par rapport aux réalisateurs, mais par ce qu’ils pouvaient dégager de fascinant, de dérangeant. J’aimais beaucoup avoir peur. Ce n’est que plus tard que j’ai saisi la notion d’auteur et que j’ai mieux organisé mes visionnages.
L.H.: Dans les années 70, quand je vivais au Maroc, je voyais tous les films qu’on me proposait. Dont pas mal de giallos comme La Dame rouge tua sept fois, mais aussi des films comme Duel et L’Aventure du Poséidon, que tout le monde allait voir, et qui m’ont beaucoup impressionné. Et quand je suis arrivée à Paris pour mes études, on m’a tout de suite embarqué au Festival du Rex. Je me souviens même y avoir vu Christophe Gans présenter sur scène son court-métrage de l’Idhec, Silver Slime. Ça m’a fait réaliser que même avec un format court, et presque sans argent, on pouvait faire du cinéma. J’y ai aussi découvert des films australiens comme Harlequin ou Long Weekend, qui m’ont énormément marquée.
Des films qui jouent justement sur une ambiance assez proche de votre cinéma à toutes les deux ?
L.H.: Probablement. Il y avait quelque chose de très mystérieux dans ces films, qui tenait par exemple au fait que l’ambiance était aussi importante que l’histoire elle-même, et que le rêve et la réalité étaient comme tissés ensemble…
J.A.N.: Oui, le cinéma australien de cette époque est génial, il vaut une discussion à lui tout seul ! Contrairement à Lucile, je pouvais choisir les films puisque j’ai fait ma cinéphilie dans les vidéoclubs. Plus jeune, je piochais dans tout, avec un goût pour l’horreur eighties américaine. À la fac, j’ai découvert les films italiens à la Bava/Argento/Fulci grâce à un prof cool (et alcoolique) qui donnait des cours sur le cinéma d’horreur, même s’il l’intellectualisait beaucoup. Il traitait les films de Fulci à travers les poètes symbolistes anglais ! Il nous a même projeté Vampyros Lesbos de Jésus Franco. Et la classe était excitée et ravie de découvrir des filles nues sur l’écran. (rires)
L.H.: C’est vrai que tout a changé quand la vidéo est arrivée. On pouvait voir et choisir ses films plus facilement.
J.A.N.: En fait, notre parcours cinéphilique dépend du lieu où l’on grandit et avec qui. Ainsi, quand tu es très jeune, si tes parents et tes amis ne sont pas spécialement cinéphiles, c’est une expédition solitaire et [...]
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