EN ROUGE & NOIR
Créé pour DC Comics par Bob Kane en 1939, soit un an après Superman, Batman fait sa première apparition sur grand écran en 1943 dans le serial Batman, dont les quinze chapitres sont produits par Columbia Pictures et réalisés par Lambert Hillyer, à qui l’on doit La Fille de Dracula, suite oubliée du Dracula de Tod Browning mais sans Bela Lugosi. Pearl Harbor oblige, l’ennemi de Batman est un espion japonais qui se fait traiter de sale jaune par Robin. Six ans plus tard, autre serial avec Batman et Robin, tourné cette fois par Spencer Gordon Bennet, qui a entamé ceux consacrés à Superman un an plus tôt. Cette fois, le super-vilain ne contrôle plus les esprits mais les véhicules, ce qui est, on en conviendra, beaucoup moins inquiétant même si, comme Bruce Wayne, il cache son identité derrière un masque et une cape. Il n’y a pas grand-chose à sauver dans ces épisodes fauchés tournés en noir et blanc et interprétés sans conviction, si ce n’est que le premier marque la naissance de la Batcave, ensuite reprise dans les comic-books, et que la Batmobile se limite à une Cadillac décapotable où le majordome Alfred conduit Bruce Wayne le jour (avec le toit ouvert) et Batman la nuit (avec le toit fermé) ! Affublé d’un costume mal taillé proche de la panoplie pour bambins, le Dark Knight n’est plus un vigilante mais un agent du gouvernement, en totale contradiction avec son credo : faire régner la justice et non pas la loi. Un comble pour cet insoumis dont le prénom a été choisi en hommage à Robert the Bruce, le patriote écossais qui libéra son pays du joug anglais au Moyen-âge. La bonne morale est également omniprésente dans la série télévisée des années 60, très soucieuse de l’éducation de son jeune public, à qui Batman explique qu’il est important d’attacher sa ceinture, de boire du lait, de manger des légumes et de faire ses devoirs. Bref, en dehors du fait qu’il ne possède pas de super-pouvoirs et est plus nanti que Superman, le justicier de Gotham ressemble de plus en plus au fils de Krypton, alors qu’il a justement été inventé pour être sa part sombre. Sorti en 1966 à l’issue de la première saison du show et réalisé par Leslie H. Martinson, qui en a signé quelques épisodes, le long-métrage Batman (qui ressort en salles le 23 mars chez Splendor Films) va encore plus loin et s’aventure sur le terrain de la parodie : le serial était pulp, le film est camp. Son scénariste, Lorenzo Semple Jr., prouvera à maintes reprises par la suite qu’il est passé maître en la matière, de Flash Gordon à Sheena, reine de la jungle. Avec un sérieux papal qui préfigure celui de Leslie Nielsen dans Y a-t-il un flic pour sauver la reine ?, Adam West (qui ne retire JAMAIS son masque ultra-fashion aux sourcils dessinés) endosse un justaucorps un peu plus seyant que ses prédécesseurs et se débat au milieu d’une aventure délirante qui confine souvent à l’absurde. Il y affronte pas moins de quatre super-vilains en les personnes du Joker, du Pingouin, de Catwoman et du Sphinx, qui kidnappent un savant pour lui voler une formule permettant de déshydrater les corps humains pour les transformer en poudre. La Batmobile a elle aussi changé de look et fait concurrence aux voitures de James Bond avec son arsenal de gadgets et sa ligne inspirée par un prototype de Lincoln Futura datant de 1955. Secondé par une trépidante musique jazzy de Nelson Riddle, le Batman des sixties est donc à la fois cool, pop et rigolo. Autrement dit, tout fout le camp, même s’il faut bien reconnaître que le film est un réjouissant cocktail d’action bondissante et d’humour farceur pour qui n’est point trop puriste.
Comme de juste, Superman a lui aussi droit à ses serials. Avec un peu de retard par rapport à son confrère masqué, il apparaît en 1948 dans Superman, puis en 1950 dans Atom Man vs. Superman ; soit trente chapitres au total et autant de cliffhangers qui évoquent la genèse du super-héros et sa lutte contre Spider Lady, Lex Luthor et Atom Man. Le budget étant ce qu’il est, les scènes où Superman vole dans les airs sont insérées en animation. Malgré cela, les films, très fidèles au comic-book de Jerry Siegel et Joe Shuster, ne manquent pas d’un certain charme désuet, et Kirk Alyn, qui jouera le père de Lois Lane dans le Superman de Donner trente ans plus tard, campe le personnage avec une certaine allure. Pas autant, cependant, que George Reeves dans Superman et les nains de l’enfer (1951). Réalisé en douze jours par Lee Sholem, auteur de deux Tarzan avec Lex Barker, cette aventure proche de la SF parano du Jour où la Terre s’arrêta (sorti la même année) adopte un ton bien plus sombre et violent que la série télévisée dont elle est en quelque sorte le pilote. Cette dernière rendra Reeves si populaire que quinze épisodes seront compilés en cinq films pour être diffusés dans les salles américaines sous les titres Superman’s Peril, Superman Flies Again, Superman in Exile, Superman and Scotland Yard et Superman and the Jungle Devil. Mais on s’y intéresse plus à la carrière de Clark Kent au Daily Planet et à ses badineries avec Lois qu’à ses exploits surhumains.
CHRISTOPHER REEVE FOREVER
Ce n’est qu’en 1978 que le fils de Jor-El est traité à sa juste valeur avec Superman de Richard Donner. On a beaucoup reproché au personnage d’être un super-héros boy-scout, tant il est vrai qu’il ne partage pas les traumas et la schizophrénie de Batman : même s’il est lui aussi un orphelin, Kal-El a été recueilli par une famille aimante, et s’il hésite à revêtir le costume jaune, rouge et bleu qui fait de lui Superman, c’est uniquement parce qu’il doute de lui-même. Contrairement à Bruce Wayne, son but n’est pas seulement de combattre le Mal, mais aussi de faire le Bien. Bref, Clark Kent est un peu un super-pompier que beaucoup jugent trop lisse, alors que c’est précisément ce qui fait de lui un être solaire. Beau comme un astre, Christopher Reeve EST Superman dans ce qu’il a de plus lumineux. Afin de l’iconiser au mieux, Donner se souvient du Hollywood de l’âge d’or des studios : il s’inspire des comédies romantiques de Howard Hawks pour faire naître l’alchimie entre Clark et Lois, et du lyrisme de John Ford et King Vidor pour les scènes dans la ferme de ses parents adoptifs. Portés par la musique déchirante de John Williams (qui signe une partition majestueuse au thème principal exaltant), les adieux de Clark à Ma Kent dépassent le cadre du comic-book movie pour s’imposer comme l’une des plus belles scènes de l’Histoire du cinéma. Seules les premières saisons de la série Smallville, consacrées à l’adolescence de Superman, parviendront à retrouver ce type d’émotion en insistant sur le lien très fort qui unit le jeune homme à Jonathan Kent. Dans le film, Donner ne réussit pas seulement à nous faire croire qu’un homme peut voler : il réussit à nous faire croire en lui et à ce qu’il représente, et ce sans trop appuyer la métaphore biblique. Aucun film de super-héros n’atteindra jamais ce niveau de réussite, surtout pas les trois suites également jouées par Reeve. Passe encore que Superman II (1980) soit un peu trop comique et introduise chez Kal-El des super-pouvoirs sortis de nulle part, comme celui de se téléporter, de créer un hologramme de lui-même ou d’effacer la mémoire de Lois en lui donnant un baiser magique : malgré les scènes retournées par Richard Lester après le départ forcé de Donner (qui tentera de corriger le tir en 2006 en bricolant un director’s cut au ton bien plus sérieux), le spectacle reste très divertissant : la partie où Superman perd ses pouvoirs est brillante, celles où Clark manque de révéler sa véritable identité à Lois sont réellement prenantes, Terence Stamp compose un général Zod inquiétant à souhait et les arrangements habiles des thèmes de Williams par Ken Thorne font le reste.
RIONS AVEC KRYPTON
L’affaire se gâte sérieusement avec Superman III (1983), cette fois entièrement réalisé par Lester : la présence de Richard Pryor fait du film une pure comédie qui, auss [...]
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