En couverture: Tu ne tueras point
Tu ne tueras point
L’annonce du projet Tu ne tueras point autorisait un certain scepticisme, d’autant que le projet devait d’abord être confié à Randall Wallace, coupable du faisandé Nous étions soldats. Il était en effet surprenant (pour ne pas dire inquiétant) de voir Mel Gibson, cinéaste réputé pour son goût pour la violence, revenir à la mise en scène en racontant l’histoire (vraie) d’un objecteur de conscience acceptant de servir son pays mais refusant de porter les armes. Surtout après avoir abandonné des projets potentiellement belliqueux sur les Vikings et la révolte des Maccabées. Le réalisateur de Braveheart, qui n’en est pas à une contradiction près, aurait-il été victime d’une épiphanie ? Pas vraiment, puisque malgré les apparences, Tu ne tueras point, qui se déroule dans le Pacifique durant la bataille d’Okinawa en 1945, n’est ni un film anti-militariste, ni un film pacifiste. Au contraire, serait-on tenté de dire, tant le long-métrage iconise les armes et la bravoure des soldats avec une ardeur que n’aurait pas reniée John Milius. C’est avant tout d’une histoire de foi, d’héroïsme et de sacrifice dont il s’agit, filmée à hauteur d’un homme dont le regard est porté vers les cieux, un homme dont il est bien difficile de dire s’il était complètement fou ou d’un courage insensé. Nul doute que Gibson a vu un peu de lui-même dans cet homme proche de Dieu et rejeté par ses pairs à cause de ses convictions profondes – lesquelles proviennent d’un trauma qui a fait prendre conscience à l’intéressé de la valeur purement humaine du cinquième commandement divin.
MAN OF FAITH
À la lumière des récentes déclarations de Gibson concernant les films de super-héros – et Batman v Superman : l’aube de la justice en particulier (« C’est un tas de merde ») –, Tu ne tueras point prend une dimension toute particulière. De la jeunesse/genèse rurale de Desmond Doss (on se croirait à Smallville) à sa découverte du « super-pouvoir » que lui confère la Bible (sa foi inébranlable) en passant par le port d’un costume (ici, l’uniforme), la phase de mise à l’épreuve (le camp d’entraînement) et l’importance de la figure paternelle (magnifique Hugo Weaving), tous les codes du genre sont respectés. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le rôle a été confié à Andrew Garfield, avant-dernier interprète de Spider-Man. Et si, dans le premier acte de Superman, Richard Donner avait eu l’idée géniale de citer John Ford et King Vidor, Gibson, lui, convoque les fantômes d’Elia Kazan et de Vincente Minnelli (on pense à À l’est d’Eden et à Celui par qui le scandale arrive) pour s’appuyer sur une narration hautement romanesque. Une bien belle manière de ressusciter la grandeur du cinéma classique hollywoodien d’antan et de faire passer le message : il ne faut pas oublier que c’est dans le coeur des hommes, et non de pantins costumés, que réside le véritable héroïsme. Ce que prouve la deuxième partie du film, où le mordoré cède la place au rouge sang après des scènes de mise en condition des troupes dont les dialogues gratinés n’ont rien à envier au mémorable Maître de guerre de Clint Eastwood.
ENFER GORE
Une fois sur le terrain la fleur au fusil, Gibson ne s’arrête pas en si bon chemin et continue d’inscrire son film dans une glorieuse tradition en s’inspirant du réalisme guerrier d’Aventures en Birmanie, des Maraudeurs attaquent ou d’Au-delà de la gloire. Mais l’ombre de Raoul Walsh et Samuel Fuller n’est pas la seule à planer sur le long-métrage. Si l’ampleur visuelle des batailles et les rapports virils des personnages rappellent immédiatement Windtalkers – les messagers du vent de John Woo, la violence des scènes de combats est telle qu’on nage quelque part entre Starship Troopers, John Rambo et le bis italien : crânes qui explosent en éclaboussant l’écran, plaies béantes, corps éventrés dont les entrailles se vident sur le sol, chairs brûlées au lance-flammes, membres sectionnés qui pissent le sang, soldat qui se sert du tronc de son camarade pour se protéger des balles… Tu ne tueras point est peut-être le film de guerre le plus gore jamais réalisé. Un étrange animal, dont les influences multiples et le goût pour la viande feraient presque de lui un héritier du « Macaroni Combat », genre fréquenté dans les années 60/70 par Enzo G. Castellari, Armando Crispino, Umberto Lenzi et Antonio Margheriti. On pourra juger la méthode complaisante, mais rarement la guerre aura été montrée avec un tel souci de réalisme dans la crudité, ce qui justifie amplement la présence du film dans nos pages. Mais Tu ne tueras point reste avant tout un biopic chrétien qui darde sa lumière sur un héros christique évoluant en plein enfer, choisi par Dieu (c’est du moins ce qu’il pense) pour retourner encore et encore sur le champ de bataille afin de ramener les blessés à l’abri avant qu’ils ne soient achevés par l’ennemi japonais. Si une certaine presse n’a pas manqué d’accuser le réalisateur de La Passion du Christ d’avoir fait un film « trop » religieux, le reproche est aussi stupide que facile à réfuter, puisque le long-métrage ne fait que relater la vérité des faits tels que vécus par un membre de l’Église adventiste du septième jour (connue pour être la plus tolérante et la plus modérée des congrégations protestantes) dont les actes ont été entièrement dictés par sa foi. Qu’elle soit chrétienne ou pas n’a finalement que peu d’importance, l’idée étant ici que la religion peut aussi pousser les hommes à faire le Bien plutôt qu’à tuer leurs semblables. Avec ce nouvel opus, Mel Gibson prouve donc qu’il n’a rien perdu de sa vigueur formelle et qu’il reste l’un des auteurs les plus passionnants du cinéma moderne. À ce titre, voir Tu ne tueras point en salle est une expérience qui a quelque chose de sacré.
MEL GIBSON
RÉALISATEUR GORE ?
En 23 ans et cinq films, Mel Gibson s’est imposé comme le seul metteur en scène capable de concilier un authentique sens de l’épique et du romanesque à un goût immodéré pour la violence et les codes du cinéma gore, dont les excès renvoient parfois tout droit aux grandes heures de l’exploitation italienne. Retour sanglant au coeur d’une filmographie brutale, histoire de rappeler que son surnom « Mad Mel » doit autant au grand Max qu’à une appétence pour les chairs martyrisées…
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