En couverture : Mortal Engines de Christian Rivers
Mortal Engines
En quelques minutes seulement, Mortal Engines entend jeter un pavé dans la mare hollywoodienne et nous propose l’un des spectacles les plus amples et originaux que l’on ait vus depuis Avatar. Filmée avec une énergie digne de Mad Max : Fury Road, la séquence consiste en une poursuite effrénée entre une petite ville montée sur roues et une cité prédatrice dans un no man’s land sans fin. Si le concept de villes ambulantes peut sembler invraisemblable au premier abord, Rivers, Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens ont une idée géniale pour le rendre instantanément crédible : alors que Londres approche dangereusement, la petite ville attaquée a du mal à redémarrer. Les moteurs ronflent, les cheminées crachent une épaisse fumée alors que les techniciens s’affairent en salle des machines, comme dans les entrailles du Titanic. Le niveau de détail de chaque photogramme est vertigineux, reflétant un effort de production design totalement fou. Les envolées de caméra autour des différents quartiers de Londres donnent le tournis, et en tant que fan de Robotech, impossible de ne pas vibrer lorsque les habitants de la ville « proie » tentent de se mettre à l’abri, alors que la structure environnante se remet progressivement en position défensive.
La Team Jackson n’attend pas longtemps avant de nous servir un second morceau de bravoure : une course à travers la même petite ville, cette fois-ci démantelée par des tronçonneuses et des masses géantes dans les profondeurs de Londres. En termes de mise en scène, on pense énormément à la scène de la Moria de La Communauté de l’Anneau ou à l’évasion de la caverne des gobelins dans Le Hobbit : un voyage inattendu. Visuellement somptueux, mais également soucieux de crédibiliser son univers et de raconter son histoire au présent de l’indicatif (la caméra portée est à ce niveau très pertinente), le premier acte de Mortal Engines culmine avec l’apparition de Shrike, cadavre ambulant aux yeux verts perçants (voir photo dans les pages qui suivent), doté de membres métalliques qui laissent entrevoir des morceaux de chair putréfiée. Révélé lors d’une scène délicieusement gothique à cheval entre le cinéma de la Hammer, Terminator et James Bond, le design du personnage flirte en lui-même avec le R Rated. Incarné en performance capture par Stephen Lang (ce même Stephen Lang qui traquait Jake Sully et ses compagnons na’vis dans Avatar), Shrike devrait s’imposer comme un méchant à la fois menaçant et tragique, et pourrait bien être le plus bel atout de Mortal Engines. Si la campagne promotionnelle a jusqu’ici surtout insisté sur l’image des villes prédatrices, le film a clairement d’autres cartes à abattre, à commencer par ses nombreuses batailles à bord d’aéronefs rétrofuturistes. Il y a fort à parier que ces séquences auront tapé dans l’oeil de Jackson à la lecture des livres, lui qui se passionne depuis l’enfance pour les débuts de l’aviation militaire et continue de travailler dans son coin à un remake des Briseurs de barrages…
INTERVIEW : PETER JACKSON PRODUCTEUR & COSCÉNARISTE / CHRISTIAN RIVERS RÉALISATEUR
Peter [Jackson], vous étiez censé réaliser ce film. Greg Broadmore, qui avait déjà travaillé pour vous sur les designs de King Kong et District 9, nous a dit avoir retrouvé sur son ordinateur des concept arts de Mortal Engines datant de 2007…
PETER JACKSON Oui, nous avons acheté les droits des quatre premiers livres il y a longtemps déjà. Depuis, il y a eu trois autres préquelles. Dès que j’ai lu l’original, j’ai décidé de me battre pour les copyrights. Et étonnamment, les droits étaient disponibles ! Nous sommes rapidement entrés dans une phase de prévisualisation. Christian, qui est story-boardeur à la base, y a participé. Nous avons travaillé longtemps sur le script, et alors qu’on approchait de la fin, Le Hobbit est arrivé. Ce n’était vraiment pas prévu. Warner Bros. avait les droits du Seigneur des Anneaux, MGM ceux du Hobbit, et pendant des années, ils n’avaient pas réussi à s’entendre. Soudain, ils travaillaient ensemble, et on pouvait lancer le film. Je voulais vraiment réaliser Mortal Engines, donc nous avons engagé Guillermo del Toro pour qu’il se charge du Hobbit. Mais quand il est parti, je n’ai pas eu le choix : j’ai dû prendre le relai et abandonner Mortal Engines pendant une période indéterminée. Les trois épisodes du Hobbit nous ont demandé cinq années de travail, et nous allions perdre les droits de Mortal Engines. Nous avons compris qu’il fallait commencer la production immédiatement après Le Hobbit. Nous sommes donc repartis sur l’écriture, et avons essayé de faire valider notre script par un studio. Mais puisque je sortais d’un projet titanesque, je n’avais plus l’énergie pour me plonger dans une telle logistique. J’avais besoin d’un break. Je tenais à ce que le film se fasse, car les livres avaient un potentiel incroyable en termes d’imagerie. Christian avait participé de très près au tournage du Hobbit. Il était réalisateur de seconde équipe sur la plupart des scènes de bataille. Il avait filmé vraiment beaucoup de choses. C’était donc l’opportunité parfaite pour le lancer comme il le méritait. Nous savions que le film resterait proche de notre univers, et qu’il ressemblerait à ce qu’on voulait créer au départ. Avec mon épouse Fran Walsh et Philippa Boyens, mes coscénaristes, ça nous paraissait évident. Christian a donc repris les designs qu’on avait développés quelques années plus tôt, et il a continué.
Il y a des éléments steampunk dans Mortal Engines, mais ce n’est pas tout à fait un film steampunk.
CHRISTIAN RIVERS Bien ! Merci de faire cette remarque !
P.J. C’était vraiment délibéré.
C.R. Les livres ne sont pas vraiment steampunk dans leurs descriptions. Le genre steampunk est une catégorie à part. C’est une sorte d’uchronie, un univers parallèle à la Jules Verne. Il implique des éléments de rétro science-fiction. En allant vers le steampunk, on n’aurait pas respecté les romans, qui sont ouvertement futuristes. La « Guerre de soixante minutes » qui est au coeur du récit est censée se dérouler cent ans après notre époque, après tout. Évidemment, il y a un aspect rétro dans les designs de Mortal Engines, mais les lois de la physique sont les mêmes que les nôtres. Les objets roulants avancent toujours grâce au carburant, et les costumes s’inspirent de l’iconographie londonienne. Je suis vraiment content que vous disiez ça.
P.J. L’âge est une notion importante, aussi. On sent bien à la lecture que les livres s’adressent à un public adolescent. Ils conviennent parfaitement à des enfants de douze à seize ans. On ne voulait pas faire une dystopie déprimante, mais on a tout de même essayé de rendre le matériau plus accessible aux adultes. Voilà pourquoi les personnages de Tom et Hester sont plus âgés à l’écran que dans le roman. Les nôtres ont un peu plus de vingt ans.
L’exposition, qui occupe les premières minutes du film, est à la fois millimétrée et très complexe : vous d&eacu [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement