En couverture : Le fantastique parano
En 1959, le roman The Manchurian Candidate de Richard Condon synthétise une décennie d’angoisses alimentées par la menace d’une invasion communiste. John Frankenheimer en tire un chef-d’oeuvre en 1962, Un crime dans la tête avec Frank Sinatra et Janet Leigh, qui lance une nouvelle vague de cinéma paranoïaque à travers le monde et ce, un an avant l’assassinat de JFK. Le long-métrage ne cesse d’influencer les cinéastes au fil des décennies, d’Avi Nesher (Timebomb) à Doug Liman (La Mémoire dans la peau) en passant par Shane Black (Au revoir à jamais, Iron Man 3)… et même les ZAZ (Y a-t-il un flic pour sauver la reine ?). Jonathan Demme signe en 2004 un remake d’Un crime dans la tête presque entièrement composé de regards caméra. Une technique qu’il avait déjà utilisée sur Le Silence des agneaux et Philadelphia, mais qui trouve dans ce contexte de lavage de cerveau et de confiance fragilisée un sens tout à fait nouveau. Si les théories liées à la mort de Kennedy ont toutes été discréditées avec le temps, le concept d’Un crime dans la tête démontre le potentiel des intrigues conspirationnistes d’un point de vue purement fictionnel. « Les complots sont géniaux au cinéma parce que le personnage principal va devoir assembler des informations et résoudre un mystère » précise Edward Neumeier, scénariste des indémodables brûlots que sont RoboCop et Starship Troopers. « L’écrivain Jim Thompson a dit un jour : « Il n’y a qu’une seule bonne intrigue : les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. ». Les conspirations sont parfaites pour ça. Par ailleurs, la paranoïa est une aptitude de survie, donc elle est très intéressante sur le plan humain. » Voilà qui explique en quelques mots pourquoi les gouvernements et les tyrans de l’ombre sont si peu populaires dans le cinéma de genre. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un oeil sur des films comme Soleil vert, L’Âge de cristal, Strange Days, The Host, Le Village, Snowpiercer – le transperceneige ou Mad Max : Fury Road. « Beaucoup de films d’horreur et de science-fiction sont sortis pendant ou après la guerre du Vietnam » note Mick Garris, réalisateur de la mini-série Le Fléau. « J’ai participé à des marches pour la paix pendant mes études, comme plein d’autres jeunes gens qui sont ensuite devenus cinéastes. Nous étions la première génération à nous engager ainsi politiquement, et à refuser de régler nos pas sur ceux de nos parents. »
DES PUISSANTS INTOUCHABLES
Comme d’autres grandes figures du genre, Edward Neumeier grandit sous l’influence des films de conspiration et d’espionnage qui secouent dès le début des années 1960 le paysage hollywoodien. « Je me souviens avoir vu Sept jours en mai de Frankenheimer alors que j’étais encore très jeune. Durant mon adolescence, j’ai été très impressionné par À cause d’un assassinat d’Alan J. Pakula et Les 3 jours du condor de Sydney Pollack. Tous ces longs-métrages parlaient de méfiance vis-à-vis du gouvernement et dénonçaient ses mensonges. À l’époque, les cinéastes avaient le cran d’exprimer leur indignation. Aujourd’hui, on est dans une période étrange où tout le monde parle de fake news, mais ceux qui mentent vraiment s’en sortent toujours à bon compte. » En d’autres termes, on aurait bien besoin d’un retour de Snake Plissken, ce héros emblématique des années 1980 qui est justement entré dans la légende pour avoir ridiculisé deux présidents des États-Unis, lors des épilogues jouissifs de New York 1997 et Los Angeles 2013. « John Carpenter a écrit New York 1997 en réaction à la corruption liée au Watergate », poursuit Neumeier. « C’est également vrai pour RoboCop. La guerre du Vietnam nous a beaucoup influencés dans la description de l’OCP et de ses armes expérimentales comme l’ED-209. Dick Jones est notre version de Nixon. À un moment, on voit même sur son bureau une inscription avec le nom « Richard M. Jones » ! Je suis plus jeune que Carpenter, mais j’ai grandi avec tous ces scandales. En 1970, on a aussi vu l’apparition du National Lampoon. Ce magazine satirique a rencontré un énorme succès suite au Watergate, et a fini par donner naissance au Saturday Night Live. C’était un nouveau type d’humour, très engagé sur le plan politique, et très remonté contre la guerre du Vietnam et Nixon. Entre le début des années 70 et la fin du mandat de Jimmy Carter, l’Amérique était devenue sarcastique. C’était drôle de se moquer de l’establishment. Voilà d’où vient l’humour corrosif de New York 1997 ou d’Invasion Los Angeles. Voilà d’où vient également la satire de RoboCop et Starship Troopers : nous avons utilisé les codes de la série B pour ridiculiser le pouvoir. » Né deux ans avant John Carpenter, Joe Dante est lui aussi de cette génération de francs-tireurs allergiques aux mensonges des puissants. Ironiquement, son oeuvre la plus radicale du point de vue politique est aussi la moins célèbre : Vote ou crève, incroyable pamphlet d’une heure réalisé pour la série Masters of Horror produite par Mick Garris. « L’idée de Mick était de créer une anthologie quasiment sans la moindre censure, avec des tournages à bas coût au Canada » se souvient Dante. « Je me suis dit que j’allais utiliser ce format pour réaliser ce qu’on ne m’autoriserait jamais à faire au cinéma. Je voulais exprimer toute ma colère vis-à-vis de la situation en Irak, avec tous ces jeunes gens qui avaient été envoyés pour mener une guerre injuste. Mon ami Sam Hamm (auteur du script du premier Batman de Tim Burton – NDR) m’a proposé cette histoire où des vétérans tombés au combat reviennent d’entre les morts pour voter contre l’administration Bush. Quand j’y repense, je me demande vraiment comment on a pu mener ce projet jusqu’au bout. Tous mes films sont subversifs d’une façon ou d’une autre, et je ne suis pas du genre à cacher mes opinions politiques, mais je n’avais jamais fait quelque chose d’aussi frontal que Vote ou crève. C’est presque de la propagande ! Nous étions furieux que personne ne dise quoi que ce soit contre la guerre, et que personne n’ose critiquer la gestion lamentable du gouvernement. Les médias étaient muets, c’en était carrément choquant ! J’ai d’ailleurs envoyé une copie de l’épisode à tous les éditorialistes de droite, et aucun ne m’a répondu. Ils n’ont jamais rien écrit dessus ; je crois qu’ils voulaient éviter d’en faire la publicité. Au final, je pense que cet épisode n’a pas changé grand-chose : ceux qui ont aimé étaient déjà d’accord avec nous, et nos adversaires politiques ont détesté. Je suis quand même content que le public ait pu le voir. »
LE ROI DE L’OPPOSITION
Bien avant de produire Masters of Horror, Mick Garris entame une collaboration durable avec Stephen King, dont la paranoïa alimentée par la drogue et l’alcool aboutit à quelques oeuvres très politisées. « Le récit le plus politique de King est Dead Zone » affirme Garris. « Et le film de David Cronenberg est sans doute l’une des meilleures adaptations de King jamais tournées ! Le dernier acte tourne autour d’une sorte de complot, mais King raconte cette histoire sous un angle très intime. Il est vraiment bon dans sa manière d’ancrer ses histoires dans une réalité identifiable. Il nous amène à nous intéresser au personnage de Johnny Smith, puis il fait un pas de côté en introduisant l’élément fantastique. On l’accepte immédiatement, parce qu’on est engagé émotionnellement. Et à la fin, le côté paranoïaque s’empare du récit : le héros s’apprête à tuer le Président des États-Unis, mais on est toujours porté par l’humanité de la narration. La personnalité de Cronenberg imprègne évidemment le film autant que celle de King. Le côté paranoïaque, déjà présent dans
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