EN COUVERTURE : L’HORREUR DE LA PAGE L’ÉCRAN
HYPNOSE
1999. USA. DE DAVID KOEPP D’APRÈS RICHARD MATHESON.
Aux côtés de Ray Bradbury, Richard Matheson a régné sur le fantastique et la science-fiction US tout au long des années 1950 et 1960. L’un de ses premiers succès littéraires, L’Homme qui rétrécit, attire rapidement le studio Universal, qui demande à l’auteur de convertir lui-même son manuscrit au format scénario. Le film de Jack Arnold rencontrera un triomphe ; le premier d’une liste interminable. Avant d’accélérer sa carrière cinématographique en adaptant La Chute de la maison Usher et La Chambre des tortures d’Edgar Allan Poe pour Roger Corman, Matheson profite de l’aura grandissante de son roman Je suis une légende pour écrire Échos (A Stir of Echoes en VO), une histoire de fantôme à la portée finalement beaucoup plus confidentielle. Le concept est pourtant brillant : lors d’une réunion familiale, un homme accepte de se faire hypnotiser par son beau-frère. Si la séance divertit l’assistance, elle s’avère avoir des conséquences fâcheuses sur le héros : désormais capable de percevoir les pensées de son entourage, il se retrouve surtout hanté par les apparitions d’une jeune et mystérieuse défunte, victime d’une affaire de meurtre irrésolue. Si l’argument de départ s’appuie sur des connaissances un brin obsolètes vis-à-vis de l’hypnose, le thriller concocté par le futur auteur de Duel reste 60 ans après sa sortie d’une efficacité redoutable. Le whodunit fonctionne à plein régime, et la sécheresse de l’épilogue souligne la pureté de la narration – une constante chez Matheson.
En 1996, alors que son script pour Mission : Impossible est mis en images par Brian De Palma, David Koepp réalise son premier long-métrage, Réactions en chaîne, un thriller basé sur un concept d’isolement très largement inspiré par le style de Matheson. Le film est un échec (3,6 millions de dollars de recettes aux États-Unis), forçant Koepp à se refaire une santé avec Le Monde perdu : Jurassic Park. En 1999, il tente de nouveau sa chance en adaptant Échos pour le grand écran, avec Kevin Bacon dans le rôle du médium malgré lui. Le cinéaste modifie quelques détails du livre afin de le rendre un peu plus féministe (c’est désormais sa belle-soeur qui l’hypnotise, et le meurtrier n’est plus une femme trompée) et invente surtout un personnage d’enfant capable de percevoir l’au-delà, expliquant entre les lignes les capacités surnaturelles du héros. Mais dans l’ensemble, le long-métrage s’impose comme une relecture extrêmement fidèle, retranscrivant avec virtuosité les moments forts du roman et tout particulièrement les scènes d’hypnose, lesquelles enferment comme sur le papier le protagoniste dans une la salle de cinéma déserte aux murs noirs. Bercé par le Paint It Black des Rolling Stones, Hypnose est une proposition d’épouvante de très haute tenue, à la réalisation soignée et à l’interprétation admirable, dont le seul tort aura été de sortir un mois après Sixième Sens de M. Night Shyamalan, au sujet étrangement similaire… A.P.
Hypnose est disponible en Zone 2 et Zone B chez BAC Films. Échos est disponible chez Rivages/Noir.
HORRORS OF MALFORMED MEN
1969. JAPON. DE TERUO ISHII D’APRÈS EDOGAWA RANPO.
Mercenaire de génie, Teruo Ishii a toujours eu la bougeotte. Butinant d’un studio à l’autre (Shintôhô à ses débuts, puis Toei, Shôchiku et Nikkatsu), exploitant tous les filons à la mode (film noir, de science-fiction, de yakuza, de torture, de motard, de karaté…), s’amusant de multiples hybridations singulières (érotisme + chambara, horreur + polar, etc.), il est un artisan joyeux et boulimique, grand ordonnateur d’une filmo-univers bigarrée et carnavalesque, où le monstrueux se mêle au sexy dans un jeu de vampirisation mutuelle et revendiquée. Le voir croiser la route d’un conteur comme Ranpo sonne ainsi comme une évidence, tant les deux hommes cultivent le même goût du motif bizarre et se plaisent à regarder, puis à recycler, ce qu’il se passe à l’Ouest (« Je dirais que me films ont plus subi d’influences occidentales que japonaises – Duvivier, Carné, Hitchcock. […] Pour tout dire, je n’ai jamais vraiment regardé un film japonais sérieusement ! » déclarait Teruo Ishii au micro de Julien Sévéon dans notre hors-série Cinémas d’Asie). Mais quand le « King of Cult » – sobriquet qu’on lui a flanqué au Japon – adapte enfin le Maître du roman d’énigme, la transposition tient plus du geste libre et provocateur que de la révérence semi-contrite à un auteur-totem. Certes, Ishii mentionne ouvertement le nom de Ranpo dans le titre de son film (en VO : Edogawa Ranpo zenshû – Kyôfu kikei ningen, soit littéralement « les oeuvres complètes de Edogawa Ranpo : terreur, l’homme difforme »), comme le feront d’ailleurs plus tard Tai Katô (avec Edogawa Ranpo no injû/La Bête dans l’ombre) et Noboru Tanaka (avec Edogawa Ranpo ryôki-kan – Yaneura no sanposha/La Maison des perversités), mais son ambition est bien celle d’une réappropriation goulue voire furieuse, sorte de patchwork pop dont le metteur en scène s’est fait une spécialité. Dans Horrors of Malformed Men, Ishii agglomère ainsi les récits (longs avec les romans Le Démon de l’île solitaire et L’Île panorama, et courts avec les nouvelles La Chaise humaine et Le Promeneur des combles) sans trop se soucier de l’équilibre narratif de son histoire : seul l’impact graphique lui importe, et chaque image imprime cette volonté de figurabilité suprême. Et si le film a fait grincer des dents les comités de censure de l’époque (le condamnant à une longue invisibilité après sa première sortie en 1969), c’est justement parce qu’il ne se refuse aucune « démonstration » (mot qui vient du latin « monstrare », soit « montrer » en français mais aussi… « monstre »), et envisage le choc esthétique comme seul dialogue possible avec le public. On comprend mieux pourquoi Teruo Ishii a fait appel à l’inventeur du butô Tatsumi Hijikata pour incarner le personnage de Jôgorô Komoda, scientifique démiurge retirée sur une île laboratoire peuplée de cobayes difformes : il lui fallait un corps capable de danser avec les ténèbres pour revisiter avec transgression et primitivité les textes évocateurs du Roi du mystère. F.F.
Horrors of Malformed Men est disponible en Zone B UK chez Arrow Video. L’Île panorama et La Chambre rouge (recueil de nouvelles comprenant également La Chaise humaine) sont disponibles chez Picquier Poche. Le Démon de l’île solitaire est disponible chez Wombat
FRANKENSTEIN
2015. USA/ALLEMAGNE. DE BERNARD ROSE D’APRÈS MARY SHELLEY.
L’anecdote est célèbre. En vacances à Genève chez le poète Lord Byron, Mary Shelley se voit proposer un défi par son hôte : inventer une histoire de fantôme pour divertir ses compagnons. Ne parvenant pas à trouver de concept satisfaisant, la jeune femme fait un pas de côté. « Et si un cadavre était réanimé par un scientifique ? » Encouragée par Lord Byron et son époux Percy Bysshe Shelley, la jeune femme à peine âgée de 19 ans entame l’écriture de Frankenstein ou le Prométhée moderne. Dans un premier temps envisagé sous la forme d’une nouvelle, le récit s’étoffe peu à peu et finit par atteindre les 260 pages. L’approche de Shelley est originale : le roman s’ouvre sur une succession de trois lettres envoyées par un marin à sa soeur. La quatrième vire peu à peu au journal de bord écrit à la première personne, avant d’épouser les codes du roman classique avec paragraphes descriptifs et dialogues. Pour un spectateur du XXIe siècle, c’est presque comme si un found footage retrouvait une forme de fiction au bout d’un quart d’heure. Les métamorphoses stylistiques de Frankenstein sont loin de s’arrêter là. Adoptant par la suite le point de vue du fameux réanimateur, le roman s’interrompt subitement en son centre pour suivre, 50 pages durant, le parcours de la créature à travers ses propres yeux. Poignant, cet îlot narratif au texte très raffiné ne serait pas aussi fort sans les choix d’exposition très singuliers de l’autrice. Après le témoignage de celui qui se compare à Adam, le lecteur repassera d’ailleurs dans la peau de Victor Frankenstein, dont les derniers instants seront à leur tour racontés par le marin. En termes de structure, c’est du génie pur.
OEuvre matricielle dans l’Histoire de la science-fiction et de l’horreur, Frankenstein a été adapté un nombre incalculable fois au cinéma, à travers l’objectif de James Whale, Mel Brooks, Paul Morrissey ou Kenneth Branagh. L’une des versions les plus remarquables est ironiquement l’une des plus méconnues. Deux ans après Paganini, le violoniste du Diable, son excellent détournement du mythe de Faust, Bernard Rose décide de revisiter le roman de Shelley en adoptant exclusivement le point de vue de la créature. Tournant caméra au poing à travers les rues de Los Angeles, à la manière de William Lustig ou Frank Henenlotter, le réalisateur de Candyman est étonnamment le premier à citer, via une voix off lancinante, les tirades incroyablement élégantes et romantiques d’Adam. Épousant sa vision du monde, le film oscille sans cesse entre la contemplation, l’horreur grotesque (due à la condition absurde du monstre) et le tragique. D’une brutalité sèche, le long-métrage est enfin servi par un casting impeccable : Danny Huston est parfaitement crédible en Victor Frankenstein, Carrie-Anne Moss très touchante en mère de substitution, Tony Todd émouvant en compagnon aveugle, et Xavier Samuel (Fury) n’a pas à rougir face à l’héritage imposant de Boris Karloff. A.P.
Frankenstein est disponible en Zone 2 et Zone B chez Metropolitan Vidéo. Frankenstein ou le Prométhée moderne est disponible chez Folio.
AUDITION
1999. JAPON. DE TAKASHI MIIKE D’APRÈS RYÛ MURAKAMI.
Shigeharu Aoyama, un quadragénaire ayant perdu sa femme quelques années auparavant, décide de chercher une nouvelle épouse sur les conseils de son fils. L’homme monte alors, avec l’aide d’un ami, un faux casting de film qui va lui permettre de rencontrer une multitude de jeunes femmes. Parmi elles, la belle et douce Asami, dont il tombe immédiatement amoureux. Sans se douter que cette relation trop parfaite va se terminer dans le sang… Pour retranscrire un roman au cinéma, il y a en général trois options possibles : la trahison pure (Shining), la réinterprétation respectueuse (American Psycho) ou la transposition littérale (Cosmopolis). C’est cette dernière option qu’a choisie Takashi Miike en acceptant de porter à l’écran le livre Audition de Ryû Murakami, romancier à l’esprit aussi fertile que dérangé à qui l’on doit des oeuvres aussi singulières que Bleu presque transparent, Piercing et le génial Miso Soup. Au lieu de dénaturer l’ADN du matériau d’origine pour le conformer à son style, Miike fait montre d’une belle modestie et d’un profond respect en adoptant une approche aussi subtile que la prose dégraissée mais précise de Murakami. Cette déférence aussi bien visuelle que narrative permet au réalisateur d’Ichi the Killer de retranscrire toute la sensibilité d’un roman (inédit en France) dont l’aspect horrifique n’est – comme souvent chez l’auteur – que l’une des multiples composantes d’un tableau bien plus complexe.
Parfois associé à la mouvance du torture porn, Audition est avant tout un drame intimiste illustrant le thème de la solitude en milieu urbain. Si Miike a lui-même déclaré qu’il considérait ce sujet comme typiquement japonais, les doutes et angoisses de son héros s’avèrent résolument universels. Mais au lieu de recourir à une voix off envahissante (le défaut de bon nombre d’adaptations littéraires), le cinéaste se repose entièrement sur le talent du charismatique Ryo Ishibashi, dont le jeu tout en nuances retranscrit à merveille les différentes facettes d’Aoyama. Celles d’un veuf esseulé que le réalisateur scrute (souvent de loin) comme un anthropologue cherchant à comprendre ce qui pousse ses semblables à commettre de mauvaises actions… pour de bonnes raisons. Car il n’y a pas de « gentils » ou de « méchants » dans Audition, seulement des âmes en peine. Qu’il s’agisse d’Asami (femme enfant à la tranquillité inquiétante), de Shige (le fils adolescent d’Aoyama) ou d’une secrétaire au physique anodin, chaque personnage tente de combattre ses névroses en trouvant le grand amour, que ce soit en recourant à quelques menus mensonges ou en commettant des actes de torture lors d’un climax désormais passé à la postérité. On saluera à ce titre la rigueur formelle affichée par un Miike qui trouve le ton juste entre violence graphique et terreur suggérée, là où tant d’autres – au hasard, le Tom Six de The Human Centipede – auraient foncé tête baissée dans le gore le plus gratuit. À tort, car c’est évidemment cet art consommé de la litote qui rend la fin d’Audition aussi insoutenable, poignante et mémorable. On pourra toujours reprocher au réalisateur de Visitor Q une certaine tendance à la redondance lors du bad trip qui préfigure ce moment d’anthologie pelliculé. Mais ces quelques réserves ne pèsent pas lourd face à la puissance d’un long-métrage qui parvient à convoquer les mêmes émotions exacerbées que son modèle littéraire. J-B.H.
Audition est disponible en Zone 2 chez StudioCanal et Zone B UK chez Arrow Video. Le roman est disponible en anglais chez WW Norton & Co.
THE NIGHT FLIER
1997. USA/ITALIE. DE MARK PAVIA D’APRÈS STEPHEN KING.
Stephen King s’était déjà attaqué à la figure du vampire dès son second roman, et la virtuosité de Salem n’appelait pas vraiment une seconde tentative dans le genre. Contre toute attente, l’auteur s’y frotte à nouveau en 1988 avec Le Rapace nocturne (The Night Flier), une nouvelle publiée au sein du recueil Prime Evil édité par Douglas E. Winter, qui regroupe également des histoires courtes de Clive Barker, Peter Straub et David Morrell. En 1993, King ramène l’ouvrage dans sa propre collection, en l’incluant au sein de l’anthologie Rêves et cauchemars. S’il n’est pas avare en hémoglobine, The Night Flier permet surtout à King d’exprimer son profond dégoût pour la presse à scandale : son personnage central est un journaliste fouille-merde habitué aux accidents de la route, aux infanticides et aux morgues, qui découvre par hasard les méfaits d’un vampire volant d’un buffet à l’autre à bord d’un vieu [...]
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