En couverture: Ghost in the Shell

Ghost in the Shell

L’une des franchises les plus précieuses de l’Histoire de l’animation japonaise est sur le point de se faire déflorer par Hollywood. Un projet ultra risqué, mais aussi passionnant à décortiquer dans ce qu’il révèle sur les liens toujours tendus entre les majors et les fans, et sur le délicat équilibre entre enjeux financiers et intégrité artistique. Ah, avant de commencer, un petit conseil : si vous n’êtes pas totalement à jour dans l’évolution de la saga GITS (ou si vous n’y connaissez tout simplement rien !), lisez d’abord les encadrés qui parsèment ce dossier !
Array

Le feu, ça brûle. L’eau, ça mouille. Et s’il y a moyen de faire du pognon avec une franchise quelconque, Hollywood s’en chargera. Telles sont les trois lois immuables qui régissent l’univers. Après avoir distribué Ghost in the Shell 2 : Innocence en 2004, Dreamworks, la boîte de Steven Spielberg, décide début 2008 d’acheter les droits du manga de Masamune Shirow, au nez et à la barbe de Sony et Universal, également sur les rangs. Spielberg, qui a déjà exprimé par le passé son admiration pour les films d’Oshii, n’a visiblement pas l’intention de laisser dormir le projet dans un placard : en avril 2008, le scénariste Jamie Moss (le polar Au bout de la nuit) et le producteur Avi Arad (ex-big boss de Marvel Studios) sont engagés pour lancer la machine, qui doit initialement revêtir les atours d’un film live en 3D, dans la lignée de Sin City ou 300. Un parti-pris pas très excitant, surtout lorsqu’il s’agit de porter à l’écran une oeuvre d’animation dont l’une des qualités est le réalisme apporté à ses décors urbains futuristes… Fin octobre 2009, le studio annonce avoir remplacé Jamie Moss par Laeta Kalogridis (Shutter Island). Puis… plus rien. Malgré l’enthousiasme initial de tonton Spielby, son Ghost in the Shell semble bien parti pour rejoindre la version live d’Akira dans les limbes du development hell. Néanmoins, en janvier 2014, le projet ressuscite de façon spectaculaire : en plus d’annoncer un énième nouveau scénariste (le quasi inconnu William Wheeler), Dreamworks dévoile le nom du réalisateur choisi pour filmer les aventures du Major Motoko Kusanagi, héroïne de la franchise : Rupert Sanders. Qui ? Petit prodige de la publicité, le metteur en scène anglais a signé deux ans plus tôt le mésestimé Blanche-Neige et le chasseur, très belle relecture dark fantasy du conte des frères Grimm dans laquelle on décelait déjà une sensibilité japonisante via des emprunts faits à Princesse Mononoké ou certaines séquences flirtant avec Kurosawa. Ajoutez à cela un excellent court-métrage transposant brillamment l’univers de la BD culte Black Hole de Charles Burns, réputée inadaptable, et le choix de Sanders semble au pire pas plus con qu’un autre, au mieux porteur d’espoir. « Quand Steven Spielberg m’a approché et m’a dit : « Seriez-vous intéressé par le film Ghost in the Shell », j’ai bien sûr immédiatement accepté » explique l’heureux élu. « Je me suis tout de suite lancé dans la confection d’une sorte de roman graphique. J’ai fait des captures d’écran du premier film d’Oshii, puis d’Innocence, et d’autres de la sérieGhost in the Shell : Stand Alone Complex. Avec tout ça, j’ai composé une oeuvre visuelle autour de laquelle j’ai construit une histoire. Puis j’ai ramené le résultat à Steven en lui disant : « C’est comme ça que je vois le film. ». » (1) La vision de Sanders ne semble pas coller avec celle de Wheeler : en octobre 2015, celui-ci est à son tour éjecté et remplacé par Jonathan Herman, tout juste auréolé du succès de Straight Outta Compton



EN JAUNE ET BLANC
Mais la quête d’un duo réalisateur/scénariste n’est pas la seule aventure que connaît le développement de Ghost in the Shell. Du côté business, le projet est embringué dans le divorce qui s’opère entre Dreamworks et Disney. Le deal qui unissait les deux firmes (la seconde distribuait les films produits par la première) ne sera pas renouvelé, et Spielberg, qui retournera finalement dans le giron d’Universal, s’allie pour l’occasion avec Paramount. C’est plutôt une bonne nouvelle : la perspective que Mickey pose ses gros doigts blancs sur Ghost in the Shell laissait craindre une tentative de standardisation marvelienne pas très excitante… d’autant que c’est la Scarlett Johansson d’Avengers qui est finalement choisie (pour la rondelette somme de 10 millions de dollars) pour incarner « le Major » (c’est pour le moment le nom officiel du personnage au générique), en lieu et place d’une Margot Robbie initialement envisagée, qui ira se consoler en jouant de la batte et du popotin dans Suicide Squad. Et là, c’est le drame. À peu près tout le monde, de la geekosphère aux médias mainstream, hurle au « whitewashing », cette tradition hollywoodienne bien réelle qui consiste à occidentaliser certains personnages non caucasiens en les confiant à des comédien(ne)s à la peau suspicieusement blanche (voir le cast de Gods of Egypt ou Tilda Swinton dans Doctor Strange). Une pétition circule pour virer Johansson et la remplacer par une Asiatique, et il se murmure même que les pontes de Dreamworks, pris de panique, auraient commandé au studio d’effets numériques Lola VFX des tests d’« asiatisation » des comédiens blancs ! Une option rejetée dans la foulée… Quelques voix un peu plus intelligentes que la moyenne s’élèvent, comme celle de Max Landis, fils de John, qui rappelle qu’il faut arrêter de vivre dans un conte de fées : Ghost in the Shell est un film à gros budget tiré d’une licence certes connue des fans de japanime, mais très peu du grand public. Et la condition sine qua non pour attirer ledit grand public est d’apposer sur les affiches un nom fédérateur et vendeur. Or, un bref retour sur la filmographie de « ScarJo » semble démontrer que la comédienne était en fait taillée pour le rôle : après une balade désabusée et mélancolique dans une mégapole asiatique (comme le Major) via Lost in Translation, elle sera une entité inhumaine se questionnant sur sa propre identité (comme le Major) dans Under the Skin, puis décalquera des bonshommes à tour de bras en devenant l’être le plus sophistiqué de la planète (comme le Major) dans le nawak Lucy (sans oublier son interprétation vocale d’une intelligence artificielle dans Her). De leur côté, les Japonais disent ne pas bien comprendre la polémique : après tout, l’univers de Ghost in the Shell traitant d’individus habitant des corps artificiels interchangeables, la composante ethnique devient forcément secondaire. Et, s’il fallait appuyer la logique géographico-financière de la chose, rappelons par exemple que le manga L’Attaque des titans met en scène des personnages caucasiens, mais que le choix d’un cast 100 % asiatique lors du portage de la franchise sur grand écran n’a choqué personne… Et l’intention de Sanders et de son équipe n’est pas, de toute évidence, de se couper des racines de Ghost in the Shell : outre la présence (totalement bandante) au casting de Takeshi Kitano dans le rôle d’Aramaki (le mentor de l’héroïne), la « touche » asiatique est notamment assurée par Rila Fukushima (Yukio dans Wolverine : le combat de l’immortel) et Kaori Momoi (Kagemusha, l’ombre du guerrier). La présence à l’écran du Danois Pilou Asbæk (dans le rôle du massif Batou, fidèle ami et coéquipier du major), de la Française Juliette Binoche (en scientifique ès cyborg) et du musicien anglais Tricky (en moine bouddhiste) semble surtout confirmer l’intention de Sanders de donner [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte