
EN COUVERTURE : FREAKY DE CHRISTOPHER LANDON + LES SAIGNEURS DES ADOS
LE CORPS DE MON ENNEMI
Quand on réalise un film où un dangereux serial killer et une adolescente mal dans sa peau échangent leur corps par accident, il serait mal venu de se contenter d’une approche PG-13 timorée. Heureusement, Christopher Landon brandit fièrement sa classification R et livre un slasher résolument gore, qui n’oublie jamais sa nature de teen comedy horrifique. Le réalisateur de Happy Birthdead apporte ainsi sa pierre à l’édifice d’un genre trop souvent ignoré, que nous avons choisi de mettre à l’honneur dans ce numéro.
Curieuse carrière que celle de Christopher Landon. Là où la plupart des réalisateurs d’horreur affichent généralement un CV placé sous le signe du genre, le fils de Michael Landon a fait ses armes dans le cinéma indépendant à consonance dramatique. À seulement 23 ans, il rédige le scénario d’Another Day in Paradise (Larry Clark, 1998), road movie dont le succès critique lui permet de devenir l’un des scénaristes les plus demandés de Hollywood, notamment dans le domaine du teen movie PG-13, (le chouette Paranoïak et le moins chouette Le Goût du sang). À la même époque, London réalise son premier long, le film choral Burning Palms, dans lequel il brocarde les travers d’une certaine bourgeoisie occidentale, notamment en étrillant un couple d’homosexuels qui cherche à adopter un enfant africain comme s’il s’agissait de leur prochaine table Ikea. Le genre de provocations que seul un cinéaste ouvertement gay peut se permettre sans être taxé de vieux réac’ (signe des temps, Landon ne semble désormais plus vraiment enclin à réitérer l’exercice, si l’on en croit ses propos dans l’entretien qui suit…). En 2010, il se tourne vers le cinéma fantastique en signant pour le compte de Jason Blum les scripts de plusieurs séquelles de la franchise Paranormal Activity (dont il mettra en scène le cinquième chapitre, The Marked Ones) et, surtout, de Viral, variation ado assez efficace de The Crazies (alias Le Jour des fous vivants) de George Romero. Le bonhomme prend visiblement goût à l’horreur, puisqu’il dirige ensuite le sympathique Manuel de survie à l’apocalypse zombie, où il sème les graines de ses travaux à venir. Avec le diptyque Happy Birthdead/Happy Birthdead 2 You, Landon applique à nouveau la formule « humour, frissons et émotion » de son oeuvre précédente, non sans revisiter les paradoxes temporels d’Un jour sans fin et de Retour vers le futur 2 avec une bonne dose de slasher à la Scream. Freaky, son dernier effort, ne déroge pas à la règle, puisque le point de départ de cette comédie « trans » lui a été présenté ainsi par son collègue et ami Michael Kennedy : « Et si on mélangeait Un vendredi dingue, dingue, dingue et Vendredi 13 ? ».
COMPLÈTEMENT BOUCHER
Âgée de 17 ans, Millie Kessler (Kathryn Newton) est une lycéenne solitaire souvent moquée par ses camarades. Un soir, l’adolescente est attaquée par le « Boucher » (Vince Vaughn), un psychopathe dont l’arme de prédilection – une dague maudite – provoque une inversion corporelle entre l’agresseur et sa proie. Affichant désormais le physique imposant du Boucher, Millie n’a que 24 heures pour trouver le moyen de rompre le sort, sous peine de rester définitivement coincée dans le corps d’un serial killer quadragénaire… Avec ce pitch, Christopher Landon renoue avec les thématiques explorées dans ses deux précédents films en signant un nouveau conte initiatique déguisé en slasher humoristique. À la grosse différence que Freaky adopte dès son prologue une approche bien plus graphique que celle des Happy Birthdead. Classé R aux USA, le long-métrage renoue ouvertement avec l’esprit rentre dans le lard des psycho killer movies d’antan. Sur ce point, on ne peut pas accuser Freaky d’y aller avec le dos de la cuillère : raquette de tennis, caisson de refroidissement, crochet de boucher, scie électrique… Chaque accessoire présent à l’écran est utilisé à bon escient par le tueur afin de satisfaire les nostalgiques de l’époque où des péloches comme Intruder ou The Mutilator se creusaient les méninges pour offrir des mises à mort toujours plus imaginatives. Dans les limites du genre, Freaky en donne donc largement pour son argent, même si on peut regretter que les exactions du Boucher restent cantonnées à des personnages secondaires, réduisant de facto le sentiment de danger ambiant dès qu’il (elle ?) passe à l’attaque.
LANDON STYLE
Foncièrement généreux dans le gore, Freaky s’avère un peu moins percutant dans le traitement narratif de son gimmick. Non pas que le scénario de Michael Kennedy & Christopher Landon manque de punchlines, de quiproquos ou de protagonistes hauts en couleur (Alan Ruck, très convaincant en prof sadique), mais il faut reconnaître que ses auteurs échouent à traiter équitablement leurs intrigues parallèles. Contrairement au génial Volte/face, Freaky pâtit d’une construction bicéphale caduque, la trame consacrée aux tribulations du tueur à l’allure de frêle adolescente manquant foncièrement de substance. Un sentiment accentué par le jeu assez monolithique de Kathryn Newton, qui se contente souvent de froncer les sourcils pour se donner des airs de psychopathe en puissance. Rien à voir avec l’abattage du charismatique Vince Vaughn, qui s’impose comme la grande attraction de Freaky en incarnant une adolescente prisonnière d’un corps trop massif pour elle. Il faut dire que le comédien bénéficie d’une matière dramatique plus étoffée que celle de sa partenaire, dont l’évolution psychologique s’avère quasi nulle. Visiblement ravi d’être là, Vaughn apporte une vraie authenticité aux séquences les plus casse-gueule, notamment lorsqu’il ouvre son coeur à un ado sur la banquette arrière d’une voiture. Une jolie déclaration d’amour surfant constamment entre premier et second degrés, sans que le script ne cherche à surligner son message de tolérance. On n’en attendait pas moins de la part de Christopher Landon, cinéaste sans génie mais toujours prompt à insuffler la juste dose de sincérité et de singularité au sein de genres rincés par des années de formatage mercantile.
INTERVIEW CHRISTOPHER LANDON
RÉALISATEUR & COSCÉNARISTE
Après le diptyque Happy Birthdead, le réalisateur et scénariste Christopher Landon reste fidèle au genre avec Freaky, un nouveau slasher humoristique qui lui permet de jouer la carte du gore décomplexé. Sans se départir pour autant de la précieuse touche d’humanité qui est devenue sa marque de fabrique…
Vous n’êtes pas à l’origine du concept de Freaky…
Mon ami Michael Kennedy m’a approché avec cette idée qui m’a immédiatement convaincu : « Et si on faisait un croisement entre Un vendredi dingue, dingue, dingue et Vendredi 13 ? ». C’est drôle, parce que je ne cherchais pas forcément à refaire un slasher après les deux Happy Birthdead, mais ce pitch m’a vraiment fait marrer. J’adorais l’idée d’introduire le concept d’inversion de corps dans cet univers. Ce cocktail m’a immédiatement donné un tas d’idées, et j’ai dit à Michael : « Il pourrait se passer ça et ça et puis ça ! ». On s’est donc assis autour d’une table et l’écriture du scénario s’est faite en un temps record.
Le slasher a souvent mauvaise presse, alors qu’il s’agit d’un sous-genre très ludique et stimulant d’un point de vue formel.
Je suis d’accord avec vous. C’est vrai que le slasher est souvent considéré comme un genre un peu méprisable, de la série B dans le mauvais sens du terme, même si certains classiques comme le Halloween de John Carpenter échappent bien sûr à cette classification. Mais le slasher s’avère idéal pour une oeuvre comme Freaky, qui joue avec les codes et les clichés que le public pense connaître. Je crois qu’on a réussi à faire quelque chose d’inattendu. En tout cas, on s’est beaucoup amusés à créer cet univers, même si on a essayé de ne pas devenir trop métas.
Freaky est film « transgenre » pour deux raisons : il s’agit d’un long-métrage qui mélange la comédie et le slasher, et l’échange corporel concerne deux personnes du sexe opposé.
Tout à fait. C’était vraiment l’un des aspects les plus excitants du film, car nous avions en effet deux personnages diamétralement opposés. D’un côté, il y a Millie, une petite adolescente introvertie. Et de l’autre, le « Boucher », une vraie machine à tuer, quelqu’un qui ne vit que pour assouvir ses pulsions. Et lorsque l’échange s’effectue, Millie se retrouve dans le corps d’un tueur doté d’une force physique qui lui est étrangère. Le Boucher, quant à lui, se rend compte qu’il avait beaucoup de chance de bénéficier d’une telle constitution : son physique était un avantage non négligeable pour tuer des gens ! C’est un peu la base de la dynamique qu’on a voulu établir, sans toutefois trop appuyer nos effets, car ce genre de blagues peut vite devenir redondant. On voulait montrer les avantages et inconvénients de chacun des corps pour celui ou celle qui l’habite.
La grande attraction du film est bien sûr la double interprétation de Vince Vaughn. Pensiez-vous déjà à lui lors de la phase d’écriture ? Et comment avez-vous réussi à le convaincre de participer au projet ?
Je voulais Vince Vaughn depuis le début. Lors de l’écriture du script, j’ai demandé à Michael qui serait la personne idéale pour le rôle, celle qui posséderait toutes les qualités nécessaires pour le rendre crédible. Il m’a répondu : « Vince Vaughn. ». C’est un comédien très impressionnant : il mesure 1m96 et est vraiment baraqué. Mais c’est surtout un excellent acteur, ce qui était l’essentiel pour moi, car je ne voulais surtout pas quelqu’un qui aurait joué une parodie d’adolescente. Je voulais qu’il SOIT cette personne. Et Vince est le genre de comédiens qui s’investit totalement dans son rôle : il veut devenir cette personne, et je pense que ça se ressent dans Freaky. Vince est capable d’avoir une physicalité très comique, mais aussi très crédible, ce qui fait que le public peut croire à son personnage d’adolescente. C’est le genre de performances que vous ne pouvez obtenir que si vous avez affaire à un excellent comédien. Vince a été le premier à qui on a envoyé le scénario, mais je pensais qu’il refuserait, car il venait de faire plusieurs films indépendants plutôt sombres. Et il a adoré le script. Lors de notre rencontre, nous nous sommes immédiatement bien entendus : on était vraiment sur la même longueur d’onde, et totalement en accord sur le type de film que l’on souhaitait faire. Le rôle lui faisait peur, car c’était un vrai challenge, mais dans le même temps, il trouvait ça excitant, car c’était nouveau pour lui. Je savais qu’il en était capable, même si cela constituait en effet un vrai défi. Au final, Vince s’est beaucoup amusé.
À ce propos, la scène qui se déroule sur la banquette arrière de la voiture aurait justement pu tourner à la parodie, mais vous choisissez de jouer la carte du premier degré, quand bien même vous filmez Vince Vaughn en train d’interpréter une ado mal dans sa peau.
Pour moi, il est très important de faire preuve d’une vraie honnêteté émotionnelle, et c’est pour cette raison que la scène était primordiale à mes yeux. Vous avez tout à fait raison : certains auraient cherché à provoquer le rire, à tourner la situation en dérision, mais je tenais à ce que ce passage – bien que plutôt ludique – montre à quel point l’héroïne se sent vulnérable devant ce garçon qu’elle apprécie depuis longtemps. Ce dernier lui déclare ne pas se soucier de son apparence car il s’intéresse à la personne qu’elle est à l’intérieur, et cela synthétise tout le message du film. Je voulais que le public y croie vraiment, et j’ai donc tenu à réaliser cette séquence de manière réaliste, sans avoir recours à des blagues ni tomber dans un truc un peu malsain, car ce dialogue aurait pu partir dans des directions radicalement différentes… Au final, je suis heureux que les gens apprécient ce passage et comprennent ce que nous avons essayé de faire.
Comment se sont préparés vos deux acteurs principaux pour intervertir leurs rôles ? Avez-vous beaucoup travaillé avec eux en amont ?
J’aime faire des répétitions pour essayer de trouver le ton juste, nous avons donc pas mal bossé cet aspect durant la préproduction. Nous avons aussi tourné un journal intime en vidéo : j’ai filmé Kathryn Newton pendant toute une journée alors qu’elle se rendait dans différents magasins. Je lui posais des questions et elle me répondait comme si elle était son personnage. J’ai ensuite donné ces images à Vince pour qu’il puisse étudier ses manières, sa façon de se coiffer ou d’interagir avec les gens. Puis nous nous sommes retrouvés tous les trois pour faire des répétitions, et permettre aux acteurs de se comprendre mutuellement. Vince en a profité pour montrer à Kathryn comment le Boucher se comporterait dans telle ou telle situation. Ce rôle est bien plus exigeant qu’il en a l’air, et Kathryn a vraiment réussi quelque chose de puissant. Elle a opéré une véritable transformation en passant d’une petite adolescente mal dans sa peau à un tueur psychopathe effrayant. Et Vince y est pour beaucoup, car il a pu l’aider à comprendre l’aspect physique du rôle. Pendant le tournage, l’un pouvait parfois regarder les prises de l’autre, mais, à ce stade, ils avaient déjà bien compris leurs personnages.
Le film comporte beaucoup de personnages secondaires. Y a-t-il des scènes les concernant qui ont fini par disparaître du montage ?
On n’a pas coupé grand-chose car le scénario n’était pas très long. En tant que réalisateur et scénariste, je suis du genre intransigeant, j’aime m’assurer que tout ce qu’on écrit apparaît dans le montage final. Il faut que les scènes que nous imaginons servent l’histoire. La seule chose que nous avons dû abandonner était liée à nos limites budgétaires. Avec Michael, nous avions écrit une séquence bien plus spectaculaire pour l’échange des corps, un truc assez ambitieux, mais nous n’avons pas eu les moyens de le tourner, notre planning était trop serré. Je savais d’emblée que Freaky devait être très rythmé, car l’intrigue repose sur un principe de bombe à retardement : l’héroïne doit se dépêcher de trouver une solution avant d’être prisonnière de son nouveau corps. C’est pour ça q [...]
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