En couverture : 2020 notre année sauvage

Faut-il désespérer de la dégradation du paysage cinématographique mondial comme du sort de l’Humanité ? L’année Mad 2020 repose pour le moment sur une illusion de la prudence, un tassement de la politique de terre brûlée inflationniste, comme pour faire reculer la peur de l’effondrement et de l’évolution des mentalités.
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La sinistre apogée du « woke washing » qui a cinglé le blockbuster américain des années 2010 fut atteinte avec le redoutable Avengers: Endgame des frères Russo. Il y a, bien évidemment, ce plan iconique de toutes les héroïnes de l’univers Marvel réunies les yeux dans le vague pour la photo de groupe – 20 secondes de « féminisme » dans un film de presque trois heures, le patriarcat en tremble encore. Mais le film pousse plus loin encore la tartufferie avec la scène de thérapie de groupe pour traumatisés de Thanos, où le coréalisateur Joe Russo va jusqu’à interpréter le « premier personnage gay du MCU » – ce qu’il n’a pas manqué de surligner en interview, dans un exercice d’autocomplaisance à faire rougir Nicolas Bedos de plaisir. Toute morgue bue, les cuistres Marveleux militent sincèrement pour la nomination du film aux prochains Oscars, ce qui serait vraiment à mourir de rire si ce n’était si consternant. Un rachat de bonne conscience à moindre coût définitivement entériné avec le non moins redoutable Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks, avec son piratage du féminisme en bonne et due forme dans une régurgitation crâneuse et mal dosée au point d’en paraître bassement revancharde. Le destin du Girl Power Crew Movie repose désormais tout entier sur la réussite de Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn de Cathy Yan (sortie le 5 février), dont le titre ne pourrait pas plus racoler s’il essayait. Double fardeau, le film sera inévitablement comparé à la subversion petit bras du Joker de Todd Phillips, le tout avant que Wonder Woman 1984 de Patty Jenkins (sortie le 3 juin) ne reboote pour la cinquième fois l’univers cinématographique le plus incohérent du moment à l’échelle planétaire – peut-être même galactique, pour ce qu’on en sait. Chez Sony, l’heure est déjà au révisionnisme avec S.O.S. fantômes : l’héritage de Jason Reitman (le 19 août), reboot de reboot qui, d’après sa bande-annonce, nie a priori complètement l’itération féminine de la franchise et rétropédale vers le versant nostalgique, avec comme étendard à mèche folle ce foutu Finn Wolfhard de Stranger Things. Paul Rudd, responsable à lui seul de 90 % du taux de sympathie des deux Ant-Man, peut contaminer le projet de sa bonhomie. Au scénario, Gil Kenan, metteur en scène du mésestimé Monster House et du remake presque correct de Poltergeist, peut apporter une justesse de vision. La présence derrière la caméra du réalisateur de films fascinants pour de mauvaises raisons, comme Juno ou Tully, rassure en loin. Mais à trop vouloir y croire, le grand public risque de voir se briser ses aspirations en des lendemains meilleurs… De fait, beaucoup trop d’espoirs se portent sans doute sur Jojo Rabbit de Taika Waititi (le 29 janvier), jadis cinéaste inspiré des sublimes Vampires en toute intimité (2014) et À la poursuite de Ricky Baker (2016), aujourd’hui homme à tout faire pour Disney, à la manoeuvre sur ce qu’il faut bien appeler la saga Thor et ce qu’il faut bien appeler la série The Mandalorian. Le pitch du film et sa performance en Adolf Hitler débonnaire, ami imaginaire d’un jeune allemand embrigadé, promettent énormément, mais personne n’est à l’abri du dérapage dans le malaise, surtout sous la tutelle de la firme aux grandes oreilles, qui distribue la chose via la Fox.




L’ÉLÉPHANT DANS LA PIÈCE
Disney, parlons-en donc. En 2019, ce mastodonte amiral du divertissement mondial avait aligné dix énormes sorties – oh, pas grand-chose, juste de quoi s’assurer une présence hégémonique continue sur le parc d’exploitation, et maintenir en hausse le nombre de salles réquisitionnées les premières semaines. La domination tranquillou, à la coule, se poursuit cette année dans les mêmes dégradés de recyclage. Mulan de Niki Caro (le 25 mars) laisse planer l’habituel parfum inodore des remakes live action de classiques animés de la firme, et nous dira si Disney persiste dans cette approche très judicieusement relevée par la critique américaine Lindsay Ellis : proposer aux jeunes générations des versions propres, inoffensives et expurgées des éléments considérés comme problématiques selon les standards « libéraux » en vigueur. En bref, faire comme si le problème n’avait jamais existé au lieu de reconnaître ses fautes et de réfléchir dessus. Du côté de nos amis les super-héros, Black Widow de Cate Shortland (le 29 avril) devra relever la tâche perdue d’avance de rattraper le traitement désastreux du personnage depuis, oh, quoi, cinq-six films ? Kevin Feige se met la pression tout seul en vantant les mérites scénaristiques du Eternals de Chloé Zhao et sa place dans la montée en puissance des nouveaux enjeux du MCU – vont-ils tuer les trois-quarts des êtres vivants de l’univers cette fois-ci ? Le suspense est à peu près aussi insoutenable que de savoir si les personnalités de Caro, Shortland et Zhao vont pouvoir s’exprimer librement dans ces carcans.
Pixar dégaine pas moins de deux titres originaux, vous savez, ces drôles de créatures qui ne sont ni des séquelles, ni des spin-off, ni des reboots, ni des adaptations, ni même des émanations d’univers cinématographiques étendus. Manque de bol pour lui, le pitch de En avant de Dan Scanlon (le 4 mars) sonne un peu comme une version tout public du monstrueux Bright que David Ayer avait dégueulé sur Netflix il y a plus de deux ans déjà – bordel que le temps passe vite. Soul (le 24 juin) intrigue beaucoup plus du fait de son postulat de départ a priori plus adulte – centré sur le sujet en creux de quasiment tous les films Pixar (l’âme, donc) –, et de son incroyable dream team créative : Pete Docter à la réalisation, Tina Fey dans un rôle vocal à contre-emploi, sans oublier le doublé gagnant Trent Reznor/Atticus Ross à la bande originale.
Suite à son absorption de la 20th Century Fox, Disney récupère l’arlésienne Les Nouveaux mutants de Josh Boone (sortie prévue le 1er avril, un signe ?), lequel aura eu le temps de trousser une nouvelle version du Fléau de Stephen King en attendant que son film super-héroïque sorte enfin du purgatoire. Cette bonne grosse baderne de Kenneth Branagh (dont il faut revoir l’hilarant Dead Again pour le croire) aura quant à lui la charge de lancer une nouvelle franchise avec l’adaptation des romans Artemis Fowl, le détective adolescent créé par Eoin Colfer. 


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