En couv : Ready Player One de Steven Spielberg

Ready Player One

Comme c’est souvent le cas pour des blockbusters de cette ampleur, nous n’avons pas pu voir Ready Player One à temps pour inclure une critique dans ce numéro. Mais qu’il soit réussi ou non, le 32e long-métrage de Steven Spielberg reste une date importante, à la fois dans la carrière de son auteur et dans la grande Histoire des cultures populaires. Nous allons tenter de décrypter les enjeux déterminants du projet dans les pages suivantes, avant de laisser la parole au coscénariste Ernest Cline – auteur du roman original – et au directeur de la photographie Janusz Kaminski.
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2045. Avant de mourir, le créateur d’un monde virtuel nommé Oasis a enregistré un message important à l’attention des gamers : il a caché dans son jeu un oeuf de Pâques, et celui qui le trouvera héritera de toute sa richesse, mais aussi du contrôle total de sa création. Une compétition acharnée commence… et pas seulement à l’écran. Dans notre vaste dossier preview 2018 parue dans le numéro 314, nous évoquions la possibilité que Spielberg ait choisi de tourner Ready Player One dans le but de reprendre le contrôle sur le champ de bataille de la pop culture. L’adaptation longtemps annoncée de l’anthologie SF Robocopocalyse de Daniel H. Wilson l’aurait mené sur le territoire de James Cameron, qui reste à ce jour son seul vrai rival. Très largement inspiré des productions Amblin des années 1980, le roman d’Ernest Cline lui donne au contraire la main, alors que se profilent à l’horizon les quatre suites d’Avatar. En regardant de plus près les dernières bandes-annonces (notamment le trailer « Come With Me » paru le 15 février dernier), on peut d’ailleurs approfondir cette lecture. Difficile en effet de ne pas dresser un parallèle entre les aller-retours des héros de Ready Player One, depuis le monde réel jusqu’à l’Oasis et inversement, et les projections répétées du paralytique Jake Sully vers le corps grand et puissant de son avatar.



« I SEE YOU »
Dans les premières images de Ready Player One, on retrouve les mêmes transitions que dans le film de Cameron, le cadre caressant au plus près les yeux écarquillés des personnages pour mieux souligner le décalage de leurs sens. En s’attaquant directement au film qui a révolutionné (quoi qu’en disent les éternels détracteurs) la forme cinématographique à la fin des années 2000, Spielberg semble vouloir prendre sa revanche, avec une bonne humeur assez communicative. Il faut le rappeler : la narration interactive d’Avatar (le héros entre dans son caisson et le public chausse des lunettes polarisées, tous dans le but de s’immerger dans un nouveau monde) s’était directement inspirée du concept de Jurassic Park, où protagonistes et spectateurs exploraient un parc d’attractions factice mais au réalisme sans précédent. Pour l’anecdote, Cameron avait essayé d’adapter Jurassic Park en 1990, avant de se faire damer le pion par le réalisateur des Dents de la mer. Il s’était rabattu sur Terminator 2… dont les prouesses technologiques avaient ironiquement facilité la tâche de Spielberg ! L’apparition du T-Rex de Jurassic Park dans Ready Player One ressemble dans ce contexte à un pied de nez hilare, d’autant que la filmographie de Cameron est l’une des seules à être totalement éludées par les trailers du dernier bébé de Spielberg…



DE MAD MAX À GUNDAM
Ces enfantillages seraient déplacés dans n’importe quel long-métrage, mais nous paraissent irrésistibles dans le maelström esthétique de Ready Player One. De tous les films de Spielberg, mais aussi de tous les blockbusters jamais produits, celui-ci est clairement le plus postmoderne, le plus outrageusement méta. La proposition est claire : dans des scènes d’action virevoltantes et des batailles rocambolesques, servies par des effets visuels d’ILM et une 3D stéréoscopique que Janusz Kaminski nous décrit comme démente, les spectateurs verront s’affronter des personnages et véhicules issus de Mad Max, Akira, Le Géant de fer, Retour vers le futur, Les Griffes de la nuit, Jeu d’enfant, Christine, Le Seigneur des Anneaux, Gundam, Cowboy Bebop, Halo, Command & Conquer, Duke Nukem, et on en passe. Vertigineuse, la galerie de Ready Player One est un choc en soi, mais si l’expérience n’a jamais été menée à pareille échelle, la tentative n’est pas tout à fait inédite. En 2012, un an après la publication du roman d’Ernest Cline, Disney se payait des centaines de caméos vidéoludiques pour les besoins des Mondes de Ralph, et le défilé finissait par tomber à plat, pour cause d’intrigue indigente et d’un manque criminel de liant. Les enjeux de Ready Player One semblent heureusement dépasser l’exploit juridique, dont se vanteront sans doute entre eux les exécutifs en charge des négociations avec les ayants droit…

L’HEURE DU BILAN
Les références amalgamées par Ready Player One devraient permettre à Steven Spielberg de questionner le réflexe nostalgique lui-même, à l’heure où la génération montante s’acharne à marcher dans les pas de ses aînés avec des productions comme Super 8, Stranger Things ou Ça. Ce « marché du rétro » est paradoxalement devenu une manne financière majeure pour les corporations. Celles-ci ont compris depuis longtemps l’intérêt de caresser le geek dans le sens du poil, en lui faisant croire que les produits culturels qu’il consomme lui appartiennent pleinement, ou que son avis exprimé quotidiennement sur les réseaux sociaux a une quelconque influence sur les choix des studios. Dès lors, Ready Player One est à la fois le candidat idéal aux panels du Comic Con de San Diego, et le projet qui souligne le plus vivement les contradictions de ce type de rassemblement. À l’heure où Disney s’apprête à absorber le catalogue de la Fox (Lisa Simpson et l’Alien seront dans quelques mois des princesses officielles), l’intrigue du film est d’une actualité brûlante : suite au décès d’un créateur indé et anarchiste, une multinationale essaie de prendre le contrôle d’un jeu virtuel où cohabitent toutes les pop cultures existantes. Outre cet argument étonnamment politique pour une superproduction 100 % hollywoodienne (on n’a franchement rien vu de tel depuis le Rollerball de John McTiernan), Spielberg promet de mettre à plat un siècle d’imaginaire, avec une volonté affichée de fédérer toutes les générations d’« enfants ». Dans Ready Player One, la DeLorean adulée par Ernest Cline croise le squelette et le Cyclope du 7e voyage de Sinbad qui ont tant fait rêver Spielberg, avant d’être rattrapée par King Kong en personne, qui traumatisa en 1933 le jeune Ray Harryhausen. Au-delà de leur aura fantasmatique, ces images sont à elles seules profondément émouvantes




INTERVIEW ERNEST CLINE AUTEUR & COSCÉNARISTE

Deux ans après l’expérience décevante de Fanboys, Ernest Cline change de format et publie le roman Ready Player One. Presque aussitôt, Hollywood se penche sur cette tornade pop, mais c’est Steven Spielberg qui finit par emporter les droits, au détriment de son autre projet de SF Robopocalypse. Rencontre avec l’auteur, que Spielberg a directement impliqué dans le processus d’adaptation.

Dans le futur proche de Ready Player One, il n’y a plus rien à explorer. C’est une réflexion passionnante : les nouvelles générations n’ont rien à découvrir, donc il leur faut créer de nouveaux territoires.

C’est l’une des idées qui m’ont poussé à écrire le livre. Je suis né à l’aube de l’ère digitale, en 1972, lorsque les tout premiers jeux vidéo comme Pong sont apparus. J’ai joué à Space Invaders à l’âge de cinq ans, et l’année suivante, j’ai eu mon premier système de jeu vidéo domestique, l’Atari 2600. Ce fut la première console disponible aux États-Unis. J’ai donc fait partie des tout premiers joueurs, et notre génération voyait vraiment ça comme une sorte de réalité virtuelle. C’était la première fois qu’on pouvait interagir avec des paysages numériques, y naviguer et s’y immerger. Un nouveau monde s’est ouvert à nous, une sorte de cyberespace à explorer. J’ai 45 ans aujourd’hui, et la technologie n’a cessé d’évoluer tout au long de ma vie. J’ai vu Internet passer d’une simple rumeur à quelque chose que tout le monde utilise à chaque minute de la journée. Je vous parle d’ailleurs via Internet, en ce moment même ! Tout ça est arrivé de mon vivant. Je suis né dans un monde où l’homme avait déjà marché sur la Lune. Il n’y avait plus aucune frontière, mise à part celle du numérique. Mes parents et les générations encore plus âgées ont eu peur de tout ça. Ils n’ont jamais réussi à s’y investir. Pour ma génération, c’étaient nos jouets, et ils nous ont permis de nous évader dans une autre réalité. C’est une vraie rupture dans l’Histoire de l’humanité. Tout ça est arrivé à la fin des années 70 mais surtout au long des années 80. Voilà pourquoi Ready Player One s’inspire autant de cette époque.


Le livre et le film soulèvent une autre question importante : d’un point de vue philosophique, qui est vraiment le propriétaire des cultures populaires ? Les détenteurs des copyrights, les créateurs, ou le public ?

Aux États-Unis, il n’y a aucun doute sur le propriétaire réel de toutes ces franchises, d’un point de vue légal en tout cas. On sait qui possède Spider-Man ou Superman. Mais je comprends ce que vous dites.


Ready Player Oneparle clairement d’inconscient collectif.

Oui, et on me l’a reproché. Certaines personnes n’ont pas aimé que j’utilise des créations qui ne m’appartiennent pas pour raconter mon histoire. Mais pour être honnête, en tant que narrateur, il fallait absolument que j’incorpore toute cette pop culture. C’est la culture de ma génération. J’y ai été exposé à travers la télévision, le cinéma, la radio, les VHS, et plus tard Internet. J’ai aujourd’hui accès à toutes les cultures du monde simulta [...]

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