En couv : Jordan Peele
Durant dix ans, le nom de Peele va de pair avec celui de Key. Jordan Peele et Keegan-Michael Key se rencontrent lors d’une audition pour intégrer l’émission humoristique MADtv, le prolongement télévisuel de l’antique magazine satirique américain. Les deux hommes accusent huit ans d’écart. Le premier affiche un air de stoner célibataire et le second l’allant d’un père de famille rangé, mais ils partagent une spécificité culturelle cruciale dans leur vécu et leur vista comique : le métissage. Une mère blanche, un père noir, une double identité fondatrice qui les a fait passer par tous les groupes sociaux, d’une communauté à l’autre, comme ils le raconteront volontiers – avec force détails observationnels hilarants – dans les adresses au public de leur future émission. Les directeurs de casting de MADtv ne leur cachent même pas que leur but est de recruter un seul acteur noir, dans une pure optique de discrimination positive. Key et Peele déroulent une telle alchimie immédiate lors de l’audition qu’ils se feront embaucher tous les deux. Quelques années de formation dans ce Saturday Night Live du pauvre et une poignée d’apparitions dans des comédies oubliables et oubliées leur permettent de démarrer leur propre show en 2012 sur Comedy Central, la chaîne de South Park et du Daily Show. Comment, parmi les milliers d’heures de programmes humoristiques produites chaque année aux États-Unis, Key & Peele a donc réussi à tirer son épingle du jeu cinq saisons durant ? Par sa capacité à donner vie à des sketches inusables sur la durée, et ce dès le tout premier épisode et son mythique « I said Bitch » ; à développer des running gags et des personnages récurrents avec panache et une audace mesurée mais bien réelle ; à rendre hommage à de multiples pans du patrimoine cinématographique des 40 dernières années, de la série B et Z policière aux films d’horreur, avec une exigence assez inédite dans la mise en scène. Le tout dans une série de commentaires sociétaux acerbes qui tirent à balles réelles sur tous les camps politiques. Barack Obama s’est dit fan de sa caricature, il est vrai saisissante, par Jordan Peele dans le show – il a même emprunté Keegan-Michael Key pour accompagner son allocution sous les traits de Luther, son « anger translator », à un dîner des Correspondants à la Maison-Blanche. Pas sûr, en revanche, que le 44e Président des États-Unis ait été très fan de son traitement dans la cinquième et dernière saison de l’émission, à l’heure du bilan.
DOUBLE FACE
Le running gag était imparable : Jordan Peele imitait Barack Obama, Keegan-Michael Key déboulait dans le costume de Luther, son « traducteur de colère », et reformulait de façon très énervée les communiqués on ne peut plus diplomatiques du Président sur les affaires courantes. Au-delà des performances et de la saveur comique du procédé, affleurait le développement au long cours du principal discours des deux showrunners et de leur pool d’auteurs sur la duplicité imposée, le nécessaire dédoublement d’identité impératif à la survie en milieu hostile. Le gimmick dialectique se reproduit dans de multiples prises à rebrousse-poil des clichés communautaires, poussés dans leurs derniers retranchements parodiques. Souvent, la montée en puissance comique absurde s’interrompt brutalement pour laisser place à une analyse psychologique particulièrement pertinente de la situation – les masques tombent subitement, la rationalité semble reprendre ses droits… et la mécanique comique repart à zéro, par convention à la fois narrative et sociale. Les bourgeoisies blanches et noires en prennent [...]
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